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20/05/2025 | FRANCE | N°24PA03546

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 20 mai 2025, 24PA03546


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français.



Par un jugement n° 2225360 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 3 août 2024, M. A..., représenté par Me Escuillié, demande à la Cour :r>


1°) d'annuler ce jugement ;



2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;



3°) d'enjoindre au...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2225360 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2024, M. A..., représenté par Me Escuillié, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour en application des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et, dans l'attente de cette délivrance ou de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision d'expulsion méconnaît les dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2025, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 avril 2025, la clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 30 avril 2025 à 12h00.

Par une décision du 3 juin 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les conclusions de Mme Iliada Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien, né le 10 juin 1983, fait appel du jugement du 5 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 novembre 2022 du préfet de police prononçant son expulsion du territoire français.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ".

3. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

4. En l'espèce, il est constant que M. A... s'est rendu coupable de faits qualifiés de violence commise en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner, perpétrés le 9 janvier 2011 à Lyon et qui lui ont valu une condamnation, par un arrêt du 14 juin 2012 de la cour d'assises du Rhône, à une peine de 15 ans de réclusion criminelle, assortie d'une période de sûreté de plein droit de 7 ans et 6 mois, et d'une interdiction définitive du territoire français. En l'occurrence, l'intéressé a agressé, à l'aide d'un couteau à cran d'arrêt, avec deux autres individus, aux abords d'une boulangerie et sans raison apparente, la victime en lui portant des coups de poing et de pied ainsi que des coups de bouteille et de couteau. La victime est parvenue à s'échapper, mais a été rattrapée par ses agresseurs qui lui ont à nouveau porté des coups, en s'acharnant sur elle, y compris alors qu'elle était à terre. L'autopsie de la victime, qui est décédée le jour-même malgré l'intervention des secours, a, notamment, mis en évidence sept traumatismes par instrument tranchant et piquant et a indiqué que la mort était due à une déplétion sanguine en lien avec les multiples traumatismes par arme blanche. M. A..., après avoir appris par voie de presse la mort de la victime, a quitté la France pour gagner l'Espagne, puis l'Algérie, avant de revenir en France, et a été interpellé le 17 janvier 2011. Après sa condamnation, il a été incarcéré à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), puis, à compter du 31 octobre 2013, au centre pénitentiaire d'Aiton (Savoie) et, à compter du 19 novembre 2015, au centre pénitentiaire sud-francilien (Seine-et-Marne), avant de bénéficier d'une libération conditionnelle à compter du 22 janvier 2021. Au vu d'un avis favorable de la commission d'expulsion en date du 20 septembre 2022 et par l'arrêté attaqué du 21 novembre 2022, le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français.

5. M. A... soutient que les faits sont anciens, qu'il les a reconnus et a exprimé ses regrets, qu'il n'a fait l'objet que d'une seule condamnation et qu'il a eu un comportement exemplaire durant sa détention durant dix ans, notamment en travaillant et en suivant des formations en 2011, 2016 et 2017 et en obtenant, en particulier, un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) en cuisine. Il soutient également qu'il a bénéficié de l'intégralité des réductions de peine supplémentaires ainsi que, par un jugement du 13 décembre 2016 du tribunal de l'application des peines de Melun, du relèvement total de la période de sûreté assortissant la condamnation prononcée par la cour d'assises du Rhône le 14 juin 2012 et, par un jugement du 19 janvier 2021 du juge de l'application des peines de Melun, confirmé par un arrêt du 30 mars 2021 de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, d'une libération conditionnelle à compter 22 janvier 2021, assortie d'une prolongation des mesures d'assistance et de contrôle d'une durée de 12 mois, soit jusqu'au 4 février 2022, et de la suspension de l'exécution de la peine d'interdiction du territoire français prononcée par la cour d'assises du Rhône le 14 juin 2012, dont la durée avait été ramenée à 5 ans par un arrêt du 21 janvier 2020 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon.

6. Toutefois, si M. A... a eu un bon comportement en détention, sous réserve d'une sanction en commission de discipline le 9 avril 2020 pour violences verbales entre codétenus, et si l'intéressé a, notamment, reconnu les faits commis le 9 janvier 2011 et leur gravité et exprimé des remords et une empathie à l'égard de la victime et de ses proches, il n'apporte aucun commencement d'explication personnalisée et étayée sur les motifs, circonstances ou contexte de son passage à l'acte ce jour-là, alors que les faits commis avec une très grande violence revêtent un caractère d'une extrême gravité. En outre, si M. A... est entré en France en dernier lieu, selon ses déclarations, le 12 décembre 2006, il ne conteste pas sérieusement avoir fait l'objet de signalements, le 28 juillet 2004, pour des faits de recel, le 18 janvier 2005, pour des faits de vol avec violences en réunion et, le 19 janvier 2005, pour des faits d'entrée et séjour irréguliers, l'arrêt du 30 mars 2021 de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris mentionnant, au demeurant, que l'intéressé a été éloigné le 4 février 2005 à destination de l'Algérie. Par ailleurs, l'intéressé, qui s'est marié le 13 avril 2005 en Algérie avec une ressortissante française et qui, après être revenu en France, selon ses déclarations, le 12 décembre 2006, s'est vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour à compter du 8 février 2007, qui a été renouvelé jusqu'au 23 août 2007, puis un certificat de résidence de dix ans, valable du 8 février 2007 au 7 février 2017, a divorcé le 23 septembre 2010 et ne justifie pas avant le 17 janvier 2011, date de son interpellation, d'une insertion professionnelle stable et ancienne en France, le jugement de divorce de l'intéressé faisant état de ce que l'intéressé était au chômage. Enfin, si M. A..., âgé de 39 ans à la date de la décision attaquée, célibataire et sans charge de famille en France, a bénéficié d'une libération conditionnelle à compter du 22 janvier 2021, après avoir fait valoir devant le juge de l'application des peines de deux projets de réinsertion, l'un à Lyon, l'autre en région parisienne, en faisant état, en particulier, d'une promesse d'embauche en qualité de magasinier, le requérant n'apporte aucune précision, ni aucun élément sur ses différentes démarches de réinsertion socio-professionnelle entre le mois de janvier 2021 et la date de la décision attaquée, soit le 21 novembre 2022, l'intéressé s'étant borné à indiquer, devant la commission d'expulsion, qu'il travaillait sur les marchés.

7. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature et de l'extrême gravité des faits qui sont reprochés à M. A... et en l'absence de garanties sérieuses et suffisantes de distanciation, de non réitération et de réinsertion, le préfet de police, en estimant, par son arrêté du 21 novembre 2022, que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public et, en conséquence, en prononçant son expulsion du territoire français, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. A... soutient que sa mère, sa sœur, son frère et ses neveux et nièces, de nationalité française ou titulaire d'un certificat de résidence, résident en France, qu'il n'a jamais connu son père, ses parents ayant divorcé lorsqu'il avait un an, que ses grands-parents maternels et son oncle maternel sont décédés et qu'il se retrouverait dans une situation d'isolement en cas de retour en Algérie. Toutefois, le requérant n'établit, ni n'allègue qu'il vivrait avec les membres de sa famille qui résident sur le territoire, notamment sa mère, sa sœur ou son frère, ou que sa présence auprès d'eux revêtirait pour lui un caractère indispensable. De plus, ainsi qu'il a été dit au point 6, M. A..., âgé de 39 ans à la date de la décision attaquée, est célibataire et sans charge de famille en France. En outre, il ne justifie pas d'une insertion sociale ou professionnelle significative sur le territoire. Enfin, l'intéressé n'établit aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie à l'étranger et, en particulier, en Algérie où il n'allègue pas sérieusement être dépourvu de toute attache personnelle ou familiale, où il a vécu jusqu'à l'âge de 23 ans et où résident des cousins de l'intéressé. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature et de la gravité des faits qui sont reprochés à M. A..., la décision d'expulsion en litige ne peut être regardée comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées ci-dessus doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des frais de l'instance ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2025.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

M.-D. JayerLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA03546


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA03546
Date de la décision : 20/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : ESCUILLIE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-20;24pa03546 ?
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