Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices subis à la suite de l'accident médical dont il estime avoir été victime le 3 mars 2005, de prescrire une expertise aux fins de les décrire et de les évaluer, et de sursoir à statuer sur leur indemnisation définitive. Par un jugement du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Paris, avant dire droit sur les demandes de M. B..., a condamné l'Etat à lui verser une provision de 15 000 euros et a ordonné une expertise médicale. Suite au dépôt de son rapport par l'expert, il a demandé au tribunal de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 376 104,37 euros et d'ordonner un complément d'expertise afin d'évaluer d'autres postes de préjudices.
Par un jugement n° 2000753/5-4 et 2020191/5-4 du 26 janvier 2024, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme totale de 56 104,37 euros portant intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019 dont à déduire la somme de 15 000 euros versée à titre provisionnel, a mis les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme totale de 1 960 euros à la charge de l'Etat, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2024, M. B..., représenté par la SCP Tarlier - Rèche - Guille-Meghabbar, agissant par Me Rèche, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du 26 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire et a rejeté sa demande d'expertise complémentaire ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 157 826,37 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal sur la somme de 248 104,37 euros à compter de la demande préalable indemnitaire ;
3°) à titre subsidiaire, de prescrire une expertise en donnant mission à l'expert désigné de se prononcer sur le besoin d'assistance par une tierce personne et de sursoir à statuer sur l'indemnisation définitive de ce chef de préjudice ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'erreurs d'appréciation et de droit en estimant dans son jugement du 26 janvier 2024 qu'il ne pouvait pas demander une nouvelle expertise en invoquant la responsabilité pour faute de l'Etat, alors qu'il n'avait pas répondu dans son jugement avant-dire droit du 31 mars 2023 sur l'arbitrage entre responsabilité sans faute ou pour faute de l'Etat, avait sursis à statuer sur les moyens non jugés après s'être uniquement prononcé sur les préjudices non couverts par la pension militaire ;
- il est fondé à invoquer la responsabilité de l'Etat pour faute en raison de l'inutilité de la vaccination antiamarile qui lui a été imposée alors qu'il n'avait pas vocation à intervenir dans un pays à risque de contracter la fièvre jaune et, à titre subsidiaire et pour le même motif, celle sans faute de l'Etat pour soins défectueux administrés par un médecin militaire au sein d'un hôpital militaire ;
- la somme allouée au titre du préjudice d'agrément doit être portée à 100 000 euros, celle allouée au titre du préjudice sexuel à 25 000 euros et celle allouée au titre du préjudice d'établissement à 100 000 euros ;
- il ouvre également droit au versement de la somme de 909 722 euros au titre de l'assistance par une tierce personne dont l'évaluation pourra, si besoin est, faire l'objet d'une expertise complémentaire ;
- la réparation intégrale de ses préjudices pourra le cas échéant intervenir après un complément d'expertise aux fins d'évaluation des postes qui n'ont pas encore été examinés.
Par ordonnance du 5 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 janvier 2025 à 12 heures.
Un mémoire présenté par le ministre des armées, enregistré le 2 avril 2025 après la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rèche, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 9 janvier 1984, s'est engagé volontairement dans l'armée le 22 décembre 2003 et a été réformé le 1er décembre 2008. Il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour avoir développé une sclérose en plaques dans les suites de sa vaccination contre la fièvre jaune le 3 mars 2005, durant son incorporation. Par un arrêt définitif du 7 mars 2018, la cour régionale des pensions de Montpellier a confirmé le jugement par lequel le tribunal des pensions de Montpellier a annulé la décision du 5 octobre 2009 du ministre des armées rejetant la demande de M. B... tendant au bénéfice d'une pension, lui a reconnu le droit d'en bénéficier au motif qu'il rapportait la preuve de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir un lien causal entre la vaccination contre la fièvre jaune et l'apparition de la sclérose en plaques dont il est atteint. Par un arrêt définitif du 8 juin 2021, la cour administrative de Marseille a estimé que le requérant ouvrait droit à compter du mois de mars 2008 à une pension militaire d'invalidité à ce titre, au taux de 70 %. Le 13 mars 2019, M. B... a demandé au ministre des armées l'indemnisation des préjudices personnels résultant de sa maladie, imputables selon lui au service et non réparés par la pension militaire d'invalidité. Le 15 juillet 2019, il a formé un recours administratif préalable obligatoire contre la décision implicite de rejet, née du silence gardé par l'administration sur sa demande, devant la commission des recours des militaires. Il relève appel du jugement du 26 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir ordonné avant-dire droit une expertise, a condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 56 104,37 euros, en tant que le tribunal n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire et a rejeté sa demande d'expertise complémentaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, saisi d'une demande d'indemnisation sur le seul fondement de la responsabilité sans faute, par son jugement avant-dire droit du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a reconnu à l'intéressé le droit d'être indemnisé des préjudices subis du fait de la maladie imputable au service, autres que ceux que la pension militaire d'invalidité qui lui a été attribuée a pour objet de réparer, en raison du lien de causalité direct entre la vaccination contre la fièvre jaune du 3 mars 2005 et l'apparition de la sclérose en plaques diagnostiquée en 2006. Si par un mémoire enregistré le 4 décembre 2023, M. B... a invoqué en première instance la responsabilité pour faute de l'Etat, le caractère définitif du rejet de sa demande indemnitaire du fait de l'expiration des voies de recours s'opposait à ce qu'il demande la réparation des préjudices imputés à la même vaccination, en invoquant pour la première fois ce nouveau fondement de responsabilité. En tout état de cause, il ressort du point 2 du jugement attaqué que les premiers juges, qui ont visé ce moyen invoqué par le requérant, y ont répondu. Dès lors le jugement n'est pas entaché d'omission à statuer.
Sur les conclusions indemnitaires :
S'agissant de la responsabilité :
3. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, dès lors que la faute de l'Etat n'a pas été invoquée en temps utile devant le tribunal, les conclusions de la requête fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat, sont irrecevables. En tout état de cause, quand bien même était-il affecté à la date de sa vaccination comme cuisinier à Villacoublay, dès lors qu'en application de l'article L. 4121-5 du code de la défense, M. B... pouvait être appelé à servir en tout lieu et en tout temps, sa vaccination contre la fièvre jaune dans un but préventif ne saurait être constitutive d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service. Ainsi, en se bornant à soutenir que la vaccination contre cette maladie dont il a fait l'objet n'était pas nécessaire, il n'établit pas qu'une faute aurait été commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.
4. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée au titre d'une vaccination, non dépourvue d'intérêt, par un médecin militaire.
5. En dernier lieu, eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille. Lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qui dispose que : " les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie et qui, vivant chez eux, sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension lorsque les infirmités pensionnées sont la cause directe et déterminante du besoin d'assistance ", la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne.
6. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a ainsi entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'État de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Dès lors que le régime spécial susvisé permet aux militaires d'obtenir également la réparation de frais afférents à l'assistance par une tierce personne, M. B... qui n'allègue pas ne pas en bénéficier, n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit à indemnisation à ce titre.
S'agissant des préjudices indemnisables :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. B... subit un préjudice sexuel du fait de l'accident médical en cause. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant le montant de sa réparation à 10 000 euros.
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les troubles subis par M. B... rendent plus difficile la perspective de fonder une famille. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant le montant de sa réparation à 20 000 euros.
9. Il résulte de l'expertise que les conséquences de l'accident médical du 3 mars 2005 ont pour effet de priver M. B... de toute vie sociale et de limiter les activités sportives qu'il peut pratiquer. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'agrément en portant le montant de sa réparation à 20 000 euros.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, qu'il y a lieu de porter à 73 104,37 euros le montant de l'indemnité totale due par l'Etat à M. B....
Sur les frais d'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par l'article 1er du jugement du 26 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris est portée à 73 104,37 euros.
Article 2 : Le jugement du 26 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01392