Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 12 avril 2024 par lesquels le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.
Par un jugement n° 2408525/8 du 26 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés du préfet de police du 12 avril 2024 (article 1er), et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la même date (article 2).
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2024, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 26 avril 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu irrégulièrement, M. B..., n'ayant pas fait valoir dans sa requête qu'il aurait, alors qu'il était placé en rétention, sollicité la comparaison de ses empreintes décadactylaires avec les données du fichier Eurodac, et n'ayant produit aucune pièce en ce sens ; le premier juge ne pouvait donc se fonder sur cette circonstance ; M. B... a au contraire refusé la prise de ses empreintes le 25 avril 2014, alors qu'il se trouvait placé en rétention ;
- c'est à tort que le premier juge a estimé que la situation de M. B... n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans le champ des dispositions du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013 et de l'article L. 572-1 du même code ;
- les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 12 avril 2024, le préfet de police a fait obligation à M. B..., ressortissant libyen né le 14 août 1999 à Zinten (Lybie) de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination. Par un second arrêté du même jour, le préfet de police lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois. M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler ces deux arrêtés. Par un jugement du 26 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande. Le préfet de police fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français, le premier juge a notamment relevé que, si M. B..., lors de son audition, n'avait pas mentionné sa qualité de demandeur d'asile en Allemagne, il avait, alors qu'il était placé en rétention, sollicité la comparaison de ses empreintes décadactylaires avec les données du fichier Eurodac, lesquelles avaient confirmé qu'il avait été identifié en Allemagne le 14 octobre 2021, en tant que demandeur d'asile.
3. Pour contester la régularité du jugement attaqué, le préfet de police soutient que M. B..., n'avait pas fait valoir dans sa demande devant le tribunal administratif qu'il aurait, alors qu'il était placé en rétention, sollicité la comparaison de ses empreintes décadactylaires avec les données du fichier Eurodac, et n'avait produit aucune pièce en ce sens. Il ressort toutefois du dossier de première instance que M. B... a, dans sa demande présentée devant le tribunal administratif, expressément affirmé avoir " introduit une demande d'asile en Allemagne en 2019 ", et qu'il a produit le 25 avril 2024 une pièce datée du 23 avril 2024, émanant des services du ministère de l'intérieur, établie à partir des données du fichier Eurodac, qui mentionne que ses empreintes décadactylaires sont identiques à celles d'un individu identifié en Allemagne le 14 octobre 2021, et qui a été communiquée à l'avocat du préfet de police le 25 avril 2024. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 572-1 du même code : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / (...) ".
5. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (...) b) reprendre en charge (...) le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui (...) se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; / (...) d) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui (...) se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ". En outre, aux termes de l'article 24 du même règlement : " 1. Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne (...) / 4. Lorsqu'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point d), du présent règlement dont la demande de protection internationale a été rejetée par une décision définitive dans un État membre, se trouve sur le territoire d'un autre État membre sans titre de séjour, ce dernier État membre peut soit requérir le premier État membre aux fins de reprise en charge de la personne concernée soit engager une procédure de retour conformément à la directive 2008/115/CE (...) ".
6. Les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Dès lors, lorsqu'en application des dispositions du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises, mais de celles d'un autre Etat, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui de ce règlement et dans celui des dispositions de l'article L. 572-1 du même code. En vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de transfert prise sur le fondement de ce dernier article. En revanche, en application des dispositions de l'article 24 du règlement (UE) du 26 juin 2013, lorsqu'il a été définitivement statué sur sa demande, l'étranger peut faire l'objet soit d'une procédure de réadmission vers l'Etat qui a statué sur sa demande, soit d'une obligation de quitter le territoire français.
7. Pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français comme entachée d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 611-1 et L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013, après avoir recueilli les observations des parties sur ce moyen à l'audience, dans le cadre de la procédure de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le premier juge a notamment relevé qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir que la demande d'asile formée par M. B... auprès des autorités allemandes aurait été définitivement rejetée.
8. En premier lieu, le préfet de police ne conteste pas la réalité de la demande d'asile introduite en Allemagne par M. B.... Il ressort d'ailleurs du procès-verbal d'audition établi par les services de police le 12 avril 2024 à 9h54 avant la notification des arrêtés en litige, le même jour à 18h30, que le préfet de police a produit devant le tribunal administratif, qu'il avait connaissance d'une précédente décision prise par le préfet de la Vienne le 2 mars 2023, décidant le transfert de M. B... vers l'Allemagne, responsable de l'examen de sa demande d'asile.
9. En deuxième lieu, le préfet de police ne conteste pas davantage qu'aucune pièce ne permet d'établir que la demande d'asile formée par M. B... auprès des autorités allemandes aurait été définitivement rejetée.
10. En troisième lieu, en faisant état des conditions de l'interpellation de M. B..., de l'irrégularité de son entrée et de sa situation sur le territoire français, de son intention de partir pour le Portugal plutôt que de présenter une demande d'asile en France, de la précédente décision de transfert vers l'Allemagne prise à son endroit par le préfet de la Vienne le 2 mars 2023 et de sa mise à exécution le 15 mars suivant, ainsi que de sa situation familiale, le préfet de police ne fait valoir aucun élément de nature à remettre en cause les motifs du jugement attaqué.
11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés en litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2025.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02376