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12/03/2025 | FRANCE | N°24PA02089

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 12 mars 2025, 24PA02089


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2311609 du 8 février 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 8 mai 2024, Mme D... C..., représentée par

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2311609 du 8 février 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mai 2024, Mme D... C..., représentée par

Me Masilu, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2311609 du 8 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation dans le même délai et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Masilu, en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit ;

- la décision portant refus de séjour aurait dû être précédée de la saisine de la commission du titre de séjour ;

- cette décision méconnait les dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant refus de séjour ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 611-3,5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2025, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est tardive ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une décision du 3 avril 2024, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a admis Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant,

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Palis De Koninck.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... C..., ressortissante comorienne née le 2 janvier 1992, est entrée irrégulièrement en France en août 2015 et y a sollicité, le 24 septembre 2020, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 26 mai 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme C... relève appel du jugement susvisé du 8 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 776-1 du code de justice administrative : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; (...) ". Aux termes de l'article R. 776-9 du même code : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être

exercée. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 43 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles :

" Sans préjudice de l'application de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et du II de l'article 44 du présent décret, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : / 3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 69 et de l'article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée (...) ". Aux termes de l'article 69 du même décret : " Le délai du recours prévu au deuxième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée est de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision à l'intéressé (...) ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le délai de recours contentieux d'un mois prévu par l'article R. 776-9 du code de justice administrative précité peut être interrompu par une demande d'aide juridictionnelle enregistrée dans ce délai, lequel court de nouveau à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision prise sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire au titre de l'aide juridictionnelle. Il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester cette décision.

5. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du 8 février 2024 a été notifié à

Mme C... le 16 février suivant avec mention des voies et délais de recours. L'intéressée a présenté le 26 février 2024 une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle dans le cadre de la contestation de ce jugement. Ainsi, cette demande présentée dans le délai de recours d'un mois applicable en l'espèce, a interrompu le délai de recours contentieux. Cette demande a fait l'objet d'une décision du 3 avril 2024 par laquelle l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme C.... La date de notification de cette décision n'est pas connue. Par suite, la requête enregistrée le 8 mai 2024 ne peut être regardée comme tardive et la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Seine-Saint-Denis doit être écartée.

Sur la légalité de l'arrêté :

6. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... réside en France depuis 2015, soit près de huit ans à la date de la décision contestée, où elle a donné naissance à trois enfants en 2017, 2018 et 2021. Elle réside avec M. A... B..., ressortissant comorien titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2027, qui est le père de l'ainée et de la benjamine de ses enfants.

M. A... B... est par ailleurs le père de deux enfants français nés en 2012 et 2013 sur lesquels il a l'autorité parentale conjointe avec leur mère de nationalité française et dont la résidence habituelle a été fixée chez lui. La stabilité et l'ancienneté de la relation de Mme C... et de

M. A... B... ne sont pas contestées par le préfet. Le père de Mme C... dispose par ailleurs de la nationalité française. La cellule familiale de Mme C... est donc constituée en France. En outre, l'intéressée justifie avoir travaillé dans des entreprises de nettoyage de manière continue entre 2020 et 2022, période au cours de laquelle elle disposait d'autorisations provisoires de séjour. Elle justifie s'être engagée dans le suivi d'une formation au cours de l'année scolaire 2022-2023 ayant abouti à l'obtention, en juillet 2023, d'un CAP accompagnement éducatif petite enfance. Dans ces conditions, compte tenu des efforts d'intégration de Mme C... et de la présence en France des membres de sa famille, son compagnon étant titulaire d'un certificat de résidence, la requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C..., que celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 mai 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. Le présent arrêt implique nécessairement qu'un titre de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de Seine-Saint-Denis ou au préfet devenu territorialement compétent de procéder à cette délivrance, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, au titre des frais exposés devant le tribunal et la cour, la somme globale de 1 200 euros à verser à

Me Masilu, avocat de Mme C..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Masilu renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2311609 du 8 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 26 mai 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet devenu territorialement compétent de délivrer un titre de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " à

Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera la somme de 1 200 euros à Me Masilu au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Saint-Denis et à Me Masilu.

Délibéré après l'audience du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Delage, président,

Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

Mme Mélanie Palis De Koninck, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2025.

La rapporteure,

M. PALIS DE KONINCK

Le président,

Ph. DELAGE Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02089


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02089
Date de la décision : 12/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DELAGE
Rapporteur ?: Mme Mélanie PALIS DE KONINCK
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : MASILU LOKUBIKE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-12;24pa02089 ?
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