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07/02/2025 | FRANCE | N°23PA02766

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 07 février 2025, 23PA02766


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme BNP Paribas a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à raison de la remise en cause par l'administration de la déduction des déficits des succursales portugaise et grecque de sa filiale intégrée, la so

ciété BNP Paribas Wealth Management.



Par un jugement n° 2010516 du 27 avril 2023, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme BNP Paribas a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à raison de la remise en cause par l'administration de la déduction des déficits des succursales portugaise et grecque de sa filiale intégrée, la société BNP Paribas Wealth Management.

Par un jugement n° 2010516 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2023 et 5 décembre 2023, la société anonyme BNP Paribas, représentée par Me Philibert, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2010516 du tribunal administratif de Montreuil en date du 27 avril 2023 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à raison de la remise en cause par l'administration de la déduction des déficits des succursales portugaise et grecque de sa filiale intégrée, la société BNP Paribas Wealth Management ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision W AG de la Cour de justice de l'Union européenne C-538/20 du 22 septembre 2022 n'est pas applicable au litige dès lors que la France a renoncé, sur le fondement de son droit interne et non en vertu d'une convention préventive de double imposition, à imposer les résultats des établissements stables non-résidents ; en conséquence de ce renoncement, les situations nationales et transnationales sont comparables et l'exigence de proportionnalité s'applique ;

- conformément au droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C 650/16 du 12 juin 2018 A/S Bevola, l'interdiction de déduction des pertes définitives subies par un établissement situé dans un autre Etat membre viole la liberté d'établissement et contraint la France, Etat de la société mère, à permettre l'imputation des déficits de ses filiales et établissements stables européens lorsque ceux-ci ont épuisé, dans leur Etat de résidence, toutes les possibilités de prise en compte de ces pertes ; en l'espèce les pertes des succursales grecque et portugaise de sa filiale intégrée BNP Wealth Management, présentent un caractère définitif.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 novembre 2023, 12 février 2024, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, et 3 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société BNP Paribas ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 55 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention fiscale conclue entre la France et la Grèce du 21 août 1963 ;

- la convention fiscale du 14 janvier 1971 conclue entre la France et le Portugal ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-650/16 du 12 juin 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-538/20 du 22 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme BNP Paribas Wealth Management, membre du groupe d'intégration fiscale dont la société anonyme BNP Paribas est la société mère, a déduit de ses résultats imposables en France les déficits fiscaux de ses succursales exploitées en Grèce et au Portugal jusqu'à la date de leur cessation d'activité consécutive au retrait de leur licence bancaire respectivement en 2011 et 2012. A la suite d'une vérification de comptabilité de la société BNP Paribas Wealth Management au titre de ces deux exercices, l'administration a réintégré ces pertes aux résultats imposables de la société contrôlée et mis à la charge de la société BNP Paribas des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et de contribution exceptionnelle à cet impôt. Par la présente requête, la société BNP Paribas relève appel du jugement du 27 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

2. D'une part, aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions / (...) ". Une société mère dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés en France ne peut, en outre, imputer les pertes subies par une filiale sur le résultat d'ensemble du groupe fiscal intégré auquel les deux sociétés appartiennent que dans les conditions prévues par les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts. Aux termes de l'article 223 A de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les termes : sociétés du groupe, ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les termes : sociétés intermédiaires, détenus à 95 % au moins par la société mère, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires. (...) ". Aux termes de l'article 223 B du même code : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 214. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre (...) ". Aux termes de l'article 54 de ce traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres (...) ".

4. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet (aff. C-650/16) du 12 juin 2018, une disposition permettant la prise en compte des pertes d'une succursale aux fins de la détermination du bénéfice imposable de la société à laquelle appartient cette succursale constitue un avantage fiscal. Le fait d'accorder un tel avantage lorsque les pertes sont encourues au titre de l'activité d'une succursale établie dans l'Etat membre de la société résidente, mais non lorsque ces pertes proviennent d'un établissement stable situé dans un autre Etat membre que celui de cette société résidente, a pour conséquence que la situation fiscale d'une société résidente qui possède un établissement stable dans un autre Etat membre est moins favorable que celle qui serait la sienne si cette même activité était exercée au travers d'une succursale établie dans le même Etat membre qu'elle. Toutefois, une différence de traitement résultant de la législation fiscale d'un Etat membre au détriment des sociétés qui exercent leur liberté d'établissement n'est pas constitutive d'une entrave à cette liberté si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnée à cet objectif.

5. Enfin, aux termes de l'article 4 de la convention fiscale du 21 août 1963 conclue entre la France et la Grèce : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une telle activité, l'impôt peut être perçu dans l'autre État sur les bénéfices de l'entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable. / 2. Lorsqu'une entreprise d'un État contractant exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chacun des deux États, à cet établissement stable les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable ". Aux termes de l'article 7 de la convention fiscale du 14 janvier 1971 conclue entre la France et le Portugal : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. / 2. Lorsqu'une entreprise d'un État contractant exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chaque État contractant, à cet établissement stable, les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable ". Il en résulte que les pertes réalisées par des établissements stables situés en Grèce et au Portugal ne sont imputables que dans ces Etats, selon les règles d'imputation qui y sont applicables.

6. Tant ces stipulations que le principe de territorialité de l'impôt mentionné au I de l'article 209 du code général des impôts faisaient donc obstacle à ce que la société BNP Paribas Wealth Management, filiale française de la société BNP Paribas, puisse déduire de son bénéfice imposable en France les pertes d'exploitation subies par ses succursales grecque et portugaise, alors que si les succursales avaient été établies en France, une telle imputation aurait toujours été possible, ainsi que, le cas échéant, la prise en compte de tout ou partie de ces pertes pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe fiscal auquel cette société appartient, dans les conditions et limites prévues par les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts.

7. Une telle différence de traitement ne saurait toutefois, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, constituer une atteinte à la liberté d'établissement, pour la société privée de la possibilité de prise en compte des pertes réalisées par son établissement stable non-résident pour la détermination de son résultat imposable, si elle ne se trouve pas, à l'égard des mesures prévues par la France afin de prévenir ou d'atténuer la double imposition des bénéfices d'une société résidente et, symétriquement, la double prise en compte de ses pertes, dans une situation objectivement comparable à celle d'une société détenant une succursale implantée en France. A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet cité au point 4, qu'en principe, la situation d'un établissement stable non-résident et celle d'une succursale résidente ne sont pas comparables au regard d'un tel objectif, à moins que la législation fiscale nationale n'ait elle-même assimilé ces deux catégories d'établissement aux fins de la prise en compte des pertes et des bénéfices réalisés par eux.

8. En l'espèce, les conventions signées par la France avec la Grèce et le Portugal interdisant à la France d'imposer les bénéfices réalisés par une succursale grecque ou portugaise d'une société établie en France, conformément au demeurant à ce que prévoit la loi fiscale, la France n'a pas assimilé à des fins fiscales les succursales résidentes et les établissements stables établis en Grèce et au Portugal. Dans ces conditions, et ainsi qu'il découle nécessairement de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 22 septembre 2022 dans l'affaire Finanzamt B contre W AG (C-538/20) pour le cas d'un Etat membre ayant renoncé par une convention préventive de double imposition au pouvoir d'imposer les résultats des établissements stables non-résidents normalement prévu par son droit national, une société résidente de France détenant une succursale en Grèce ou au Portugal doit être regardée comme ne se trouvant pas dans une situation objectivement comparable à celle d'une société de France détenant une succursale dans ce même Etat.

9. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère définitif ou non des pertes subies par les succursales grecque et portugaise, aucune restriction à la liberté d'établissement garantie par les articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne saurait être constatée en raison de l'impossibilité pour la société BNP Paribas Wealth Management, filiale française de la société BNP Paribas, d'imputer sur ses résultats les pertes réalisées par ses succursales grecque et portugaise, pas plus qu'en raison de l'impossibilité qui en résulte de bénéficier de toute prise en compte de ces pertes pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe fiscalement intégré au titre duquel la société requérante est, en sa qualité de tête de groupe, seule redevable de l'impôt sur les sociétés en France.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société BNP Paribas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tenant aux frais liés à l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société BNP Paribas est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société BNP Paribas et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Lemaire, président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 7 février 2025.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

O. LEMAIRE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02766


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02766
Date de la décision : 07/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LEMAIRE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : KPMG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-07;23pa02766 ?
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