Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision implicite de rejet par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) de sa demande préalable formée par courrier du 4 mars 2020 en tant qu'elle refuse le paiement de la somme de 98 326,80 euros au titre de factures non soldées pour son intervention en qualité de médecin conseil de victimes d'actes de terrorisme, de condamner le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions à lui verser la somme de 98 326,80 euros au titre des honoraires exposés en qualité de médecin conseil de victimes d'attentats, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, ou d'enjoindre, à titre subsidiaire, au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions de lui verser la somme de 98 326,80 euros.
Par un jugement n° 2004822 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 5 janvier 2024, 15 octobre 2024, 30 octobre 2024 et 3 novembre 2024, la société B... A..., représentée par
Me Delarue, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions de sa demande préalable de paiement de ses prestations ;
3°) de condamner le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions à lui verser la somme de 98 326,80 euros au titre des honoraires exposés en qualité de médecin conseil de victimes d'attentats, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le sens des conclusions du rapporteur public n'a été mis en ligne que moins de vingt heures avant l'audience, le 9 octobre 2023 à 14h30 alors que l'audience s'est tenue le 10 octobre à 10 heures ;
- le jugement attaqué méconnait le principe de l'indemnisation intégrale des victimes d'actes de terrorisme qui implique qu'elles soient indemnisées également pour les frais correspondant aux honoraires des médecins-conseils ;
- il a à tort également jugé que la requérante ne pouvait se prévaloir des termes du communiqué de presse et du guide élaborés par le FGTI alors que de tels documents peuvent faire grief et avoir des effets juridiques ; or le guide pour l'indemnisation des victimes prévoit expressément que les victimes peuvent être assistées d'un médecin conseil de leur choix dont les honoraires sont pris en charge par le FGTI, ce qui est confirmé par le communiqué de presse du
22 septembre 2016 ;
- l'obligation de prise en charge par le FGTI des honoraires des médecins conseils doit être identique que la demande de remboursement soit effectuée par les victimes après avoir avancé le coût de ces honoraires, ou par le médecin conseil lui-même ;
- le FGTI a d'ailleurs procédé à de nombreux remboursements d'honoraires au docteur A..., sans faire état d'une quelconque procédure à suivre ;
- à supposer que le docteur A... n'ait pu demander directement le remboursement de ses honoraires au FGTI, il a été induit en erreur par le guide et le communiqué de presse de cet organisme et dès lors le FGTI doit être regardé comme ayant commis une faute à l'origine du préjudice du requérant ;
- le FGTI n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait à assumer dans le paiement des honoraires des médecins conseil que le reste à charge après l'intervention d'une assurance alors qu'il ne saurait faire une telle assimilation avec le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, aucune disposition du code des assurances ne prévoyant qu'il n'indemnise que le reliquat non pris en charge par les assurances ;
- le FGTI étant un organisme de droit public le juge administratif est compétent pour statuer sur la réparation des préjudices résultant de fautes commises par cet organisme ;
- elle subit un préjudice résultant du fait qu'elle ne pourra plus être réglée de certaines de ses factures du fait que le FGTI n'a pas répondu à ses relances et que les procédures d'indemnisation des victimes concernées sont désormais closes.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 septembre 2024 et 18 octobre 2024, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par Me Fabbro, conclut au rejet de la requête pour irrecevabilité ou du moins comme mal fondée, et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SASI B... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de première instance est irrecevable faute d'intérêt à agir dès lors que l'indemnisation par le FGTI est subordonnée à l'existence d'un préjudice résultant d'une atteinte à la personne, condition à laquelle la société requérante ne satisfait pas ;
- le tribunal judiciaire de Paris a compétence exclusive pour connaitre en matière civile des demandes formées par les victimes contre le FGTI, en application de l'article L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire ;
- les moyens soulevés par la société B... A... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office les moyens tirés, pour l'un de ce que, compte tenu notamment des dispositions de l'article L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaitre du présent litige, et pour l'autre de ce que les conclusions tendant à engager la responsabilité du FGTI, et plus seulement à contester le refus de régler ses factures, présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont par suite irrecevables.
Par un mémoire, enregistré le 21 novembre 2024, la société B... A... soutient, en réponse à cette information, d'une part, que ses conclusions avaient dès la première instance le caractère de conclusions de plein contentieux et tendaient à engager la responsabilité du FGTI et, d'autre part, que l'article L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire attribuant compétence au juge judiciaire pour l'indemnisation par le FGTI des victimes ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce dès lors qu'elle ne peut être regardée comme une victime d'acte de terrorisme.
Par un mémoire, enregistré le 22 novembre 2024, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), soutient, en réponse à cette information, que l'article
L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire attribuant compétence au juge judiciaire pour l'indemnisation par le FGTI des victimes n'est pas applicable au présent litige dès lors que la société B... A... ne peut être regardée comme une victime d'acte de terrorisme.
Par une ordonnance du 4 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 21 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'organisation judiciaire ;
- la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- les observations de Me Delarue, avocat de la SASU B... A...,
- et les observations de Me Fabbro, avocat du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... exerce sa profession de médecin psychiatre honoraire dans le cadre d'une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) dénommée B... A... dont il est l'unique associé. Il a assisté en qualité de médecin conseil des victimes de différents attentats dans le cadre de leur procédure d'indemnisation par le Fonds de garantie des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), laquelle prévoit que lors de l'expertise médicale diligentée par le médecin expert désigné par ce fonds, la victime peut être assistée par un médecin conseil. Le docteur A... a fait le choix, plutôt que de demander le règlement de ses honoraires par les victimes, qui pouvaient ensuite en inclure le montant dans l'indemnisation due par le FGTI, de demander directement le paiement de ses prestations à ce Fonds. C'est dans ce cadre que, par courrier daté du 4 mars 2020, reçu le 9 mars suivant, M. A..., représentant la SASU B... A..., a demandé au FGTI le règlement de la somme de 126 245 euros au titre du règlement de factures non acquittées, suite à ses interventions en qualité de médecin conseil auprès de victimes des attentats du Bataclan et de Nice. Une décision implicite de rejet est née suite à cette demande. Par un nouveau courrier du 26 avril 2023, reçu le 9 mai 2023, la SASU B... A... a demandé le règlement de factures d'intervention en qualité de médecin conseil, et dans le silence du Fonds une décision implicite de rejet est intervenue le 9 juillet 2023. M. A... a dès lors saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite du 20 août 2020 par laquelle le FGTI a refusé de faire droit à sa demande de paiement de ses factures et au paiement de ces factures. Le tribunal a toutefois rejeté cette demande par un jugement du 16 novembre 2023 dont la SASU B... A... relève dès lors appel.
2. Aux termes de l'article L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire " Le tribunal judiciaire de Paris a compétence exclusive pour connaître, en matière civile, à moins qu'ils n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire : /1° Des demandes formées par les victimes mentionnées à l'article L. 126-1 du code des assurances ainsi que des demandes formées par les victimes mentionnées à l'article 706-14-2 du code de procédure pénale et répondant aux conditions prévues à l'article L. 126-1 du code des assurances, après saisine du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et relatives : /a) A la reconnaissance de leur droit à indemnisation ; /b) Au versement d'une provision ; /c) A l'organisation d'une expertise judiciaire en cas de contestation de l'examen médical pratiqué en application de l'article L. 422-2 du même code ou en cas de refus du fonds de garantie de désigner un médecin à cette fin ; /d) A l'offre d'indemnisation qui leur est faite ; /2° Des recours subrogatoires du fonds de garantie en remboursement des indemnités ou provisions mentionnées au 1° du présent article ; /3° Des demandes formées contre toute personne, autre que le fonds de garantie, en réparation du dommage résultant d'un acte de terrorisme. ". L'article L. 126-1 du code des assurances dispose que " Les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3./La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions combinées que les litiges relatifs à l'indemnisation, et, en particulier, au montant de l'indemnisation due par le FGTI aux victimes d'actes de terrorisme relèvent de la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris. Par ailleurs il n'est pas contesté que lorsque ces victimes règlent elles-mêmes, comme c'est en principe le cas, les honoraires du médecin conseil chargé de les assister lors de l'expertise réalisée par le médecin diligenté par le FGTI, le remboursement de ces honoraires est inclus dans l'indemnisation que lesdites victimes peuvent percevoir de ce fonds, et par suite qu'un différend éventuel entre eux sur le remboursement de ces honoraires ne pourrait relever que de la seule compétence du tribunal judiciaire de Paris. Lorsque la demande de remboursement de ces honoraires est présentée au FGTI directement par le médecin conseil, qui en a fait l'avance aux victimes, et que le fonds fait droit à cette demande, ce remboursement est alors déduit de la somme globale susceptible d'être versée à la victime et a ainsi un impact direct sur le montant de l'indemnisation due à celle-ci, montant qui ne peut être contesté que devant le juge judiciaire. En outre, le juge judiciaire étant seul compétent pour connaitre des litiges relatifs au remboursement des honoraires du médecin conseil lorsque la demande est faite par les victimes, est de ce fait également seul compétent pour se prononcer sur les modalités de remboursement de ces honoraires par le FGTI, en déterminant notamment comment combiner le principe de réparation intégrale par ce fonds des préjudices des victimes avec la prise en compte des éventuelles assurances privées dont celles-ci peuvent bénéficier et des remboursements de toutes sortes dont elles peuvent faire l'objet.
4. Toutefois, d'autre part, il résulte de la décision du Conseil d'Etat n° 427786 du 22 mai 2019 que le FGTI doit être regardé comme un organisme de droit public. Ainsi, bien qu'il ne soit pas étranger au droit à indemnité de la victime, ni au montant susceptible de lui être alloué, le présent litige est susceptible de relever d'un régime de droit public et de la juridiction administrative ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Melun.
5. L'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 visé ci-dessus dispose que : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. (...) ".
6. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 3 et 4 que le litige né de l'action de la société B... A... présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du
27 février 2015. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si l'action introduite par la société requérante relève ou non de la compétence de la juridiction administrative et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal.
DÉCIDE :
Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la société B... A... jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si le litige relève ou non de la compétence de la juridiction administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU B... A... et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Delage, président de chambre,
- Mme Labetoulle, première conseillère,
- Mme Palis De Koninck, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.
La rapporteure,
M-I. LABETOULLE Le président,
Ph. DELAGE
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00056