Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qui lui ont été assignées au titre des années 2006 à 2010.
Par un jugement n° 2014457/1-1 du 16 novembre 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 janvier 2023, Mme F..., représentée par Me Annabelle Jaulin, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les documents sur lesquels sont fondées les impositions litigieuses ont été obtenus irrégulièrement ;
- l'administration a méconnu les principes de loyauté, d'équité et d'égalité des armes, dès lors que les éléments de preuves de la détention d'avoirs à l'étranger ne lui ont pas été communiqués ;
- le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- l'administration n'a pas justifié le recours à la procédure L. 16 du livre des procédures fiscales, faute d'avoir disposé d'éléments tangibles, ce qui rend l'ensemble de la procédure irrégulière, notamment le recours à la taxation d'office ;
- le tribunal n'a pas pris en compte la demande de renseignements adressée aux Iles Vierges britanniques après l'envoi de la proposition de rectification, qui démontre pourtant que l'administration ne disposait pas d'éléments suffisants ;
- la procédure de contrôle fiscal est située en dehors du cadre légal, dès lors qu'elle s'apparente à un examen de situation fiscale personnelle sans être assortie des garanties offertes aux contribuables telles que prévues aux articles L. 12 et L. 47 du livre des procédures fiscales ;
- la proposition de rectification n'était pas motivée de manière à lui permettre de faire valoir ses observations ;
- les transcriptions de fichiers sur lesquels se fonde l'administration fiscale sont dépourvues d'authenticité ;
- subsidiairement, les modalités de calcul des revenus générés par les avoirs prétendument détenus à l'étranger sont erronées, faute de prise en compte des frais et charges bancaires, de conversion en euros, à compter de 2008, des avoirs détenus en dollars, et du fait de l'application d'une capitalisation qui n'est pas conforme à l'article 151 du code général des impôts ;
- la majoration de 80 % n'est pas fondée, faute pour l'administration d'établir l'existence de manœuvres frauduleuses.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Par une ordonnance du 6 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brotons,
- les conclusions de Mme B...,
- et les observations de Me Jaulin, représentant Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une demande d'entraide judiciaire présentée par les autorités suisses, le procureur de la République de Nice a fait procéder, le 20 janvier 2009, à une perquisition au domicile de M. A..., ancien informaticien de la filiale suisse de l'établissement britannique HSBC Private Bank, soupçonné d'avoir dérobé des données de la " base client " de cet établissement. L'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, a communiqué les données saisies à l'administration fiscale qui, après avoir analysé les fichiers recueillis et retranscrit les éléments d'information qu'ils contenaient dans des synthèses individuelles, a estimé qu'il existait une présomption que Mme D... née E... soit détentrice de comptes ouverts en Suisse dans les livres de la banque HSBC de Genève, par l'interposition de sociétés sises aux Iles Vierges britanniques, les sociétés Joystone Investments Limited et Roseport Holding SA. Sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, l'administration a porté plainte le 30 novembre 2012 contre Mme F... auprès du procureur de la République du Tribunal de grande instance de Paris pour avoir souscrit des déclarations minorées en matière d'impôt sur le revenu dû au titre des années 2008 à 2010 ainsi qu'en matière d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre des années 2009 à 2010, et pour défaut de souscription de déclarations, notamment en matière d'ISF, au titre de l'année 2011. Une enquête préliminaire a été ouverte le 15 février 2013. Dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès des autorités judiciaires, sur le fondement des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, l'administration a pu consulter et prendre copie des pièces de la procédure judiciaire ouverte à l'encontre de la requérante. Eu égard aux informations précises en sa possession, elle a adressé à Mme F..., le 13 septembre 2016, sur le fondement de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, une demande d'éclaircissements ou de justifications, puis, faute de justifications apportées dans les délais, notamment après mise en demeure, a mis en œuvre la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 69 du même livre des procédures fiscales. Par la présente requête, Mme F... relève appel du jugement n° 2014457/1-1 du 16 novembre 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvement sociaux qui lui ont été assignées à l'issue de cette procédure au titre des années 2006 à 2010.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a répondu, au point 2. de son jugement, au moyen tiré de ce que l'administration avait méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas à la requérante les fichiers informatiques à partir desquels elle avait établi la fiche individuelle de synthèse sur laquelle elle se fondait. Il a, par ailleurs précisé, au point 11. que, pour établir cette fiche, l'administration fiscale s'était bornée à rapprocher et à transcrire des données informatiques dans des fichiers de synthèse pour en matérialiser le contenu. Par ailleurs, le tribunal, qui a répondu, au point 5. de son jugement, au moyen tiré de ce que l'administration ne disposait pas d'éléments suffisants de nature à justifier l'envoi d'une demande de justifications, n'était pas tenu de répondre à tous les arguments venant au soutien de ce moyen, notamment celui afférent à l'envoi ultérieur d'une demande de renseignements adressée aux autorités des Iles vierges britanniques. Par suite, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait, sur ces deux points, entaché d'une omission à statuer.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales : " Dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l'exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance (...) en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes ". Par une décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.
4. Mme F... fait valoir que les documents qui lui sont opposés, et qui ont été obtenus par l'administration par l'usage de son droit de communication, ont une origine illicite. Il résulte toutefois de l'instruction que le procureur de la République de Nice a fait procéder, le 20 janvier 2009, à une perquisition au domicile de M. A..., ancien informaticien de la filiale suisse de l'établissement britannique HSBC Private Bank, soupçonné d'avoir dérobé des données de la " base client " de cet établissement. Il ne résulte pas de l'instruction que ces modalités d'obtention des pièces transmises par l'autorité judiciaire à l'administration fiscale ayant exercé son droit de communication aient été déclarées illégales par le juge compétent. Au contraire, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a, dans sa décision du 31 janvier 2012 n° 11-13.097, refusé de constater l'illicéité de la perquisition à laquelle a fait procéder le procureur de la République de Nice le 20 janvier 2009. La chambre criminelle de la Cour de cassation a également, dans sa décision du 27 novembre 2013, confirmé la validité de la perquisition et de la transmission des documents obtenus à l'administration fiscale. Les informations ainsi obtenues, et qui sont opposées au contribuable dans le présent litige, ne peuvent donc être regardées comme ayant été obtenues par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge, alors même qu'elles sont entrées de manière illicite en possession de M. A.... L'administration était par suite, et sans manquer à son devoir de loyauté, en droit de les opposer au contribuable.
5. Si Mme F... soutient que les fichiers informatiques à partir desquels l'administration a établi une fiche individuelle de synthèse faisant apparaître l'existence et le montant des avoirs détenus par elle à l'étranger ne lui ont pas été communiqués, en méconnaissance du principe du contradictoire, du principe de loyauté et des droits de la défense, protégés notamment par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort de la proposition de rectification du 27 décembre 2016 que les rectifications sont fondées sur les pièces de la procédure judiciaire, notamment les procès-verbaux d'audition de la requérante et les documents communiqués par la banque HSBC Private Bank, obtenus par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès du juge d'instruction en charge de l'enquête pénale, lesdites pièces étant précisément détaillées dans la proposition de rectification. Le moyen susanalysé ne peut, dès lors, qu'être écarté.
6. Il résulte de l'instruction et notamment des éléments rappelés au point 1. ci-dessus que, lorsque l'administration fiscale a adressé à Mme F..., le 13 septembre 2016, une demande de justifications fondée sur l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, elle disposait des documents obtenus de la banque HSBC Private Bank ainsi que des procès-verbaux d'audition issus de la procédure pénale, notamment en date des 8 janvier 2014, 28 janvier 2014, 22 novembre 2014 et 16 janvier 2015, dont il ressortait que la requérante admettait être détentrice des comptes en cause, soit d'éléments suffisants permettant de présumer que l'intéressée disposait d'avoirs à l'étranger. Par ailleurs, il est constant que Mme F... n'a fourni aucune précision sur la nature et les montants de ces avoirs et n'a pas répondu de manière satisfaisante à la demande de justifications qui lui a été adressée, notamment après mise en demeure. La procédure de taxation d'office prévue par l'article L. 69 du livre des procédures fiscales a par suite été régulièrement mise en œuvre.
7. Pour les motifs retenus à bon droit par le tribunal aux points 6 à 8 de son jugement, et qu'il y a lieu pour la Cour d'adopter, les moyens tirés, d'une part, de l'illégalité de la procédure de contrôle suivie dès lors qu'elle s'apparenterait à un examen de situation fiscale personnelle sans être assortie des garanties offertes aux contribuables par les articles L. 12 et L. 47 du livre des procédures fiscale et, d'autre part, de ce que la proposition de rectification ne serait pas motivée, ne peuvent qu'être écartés.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
8. Dès lors qu'elle a fait l'objet d'une procédure de taxation d'office régulièrement mise en œuvre, comme indiqué au point 6 du présent arrêt, il appartient à Mme F... d'apporter la preuve de l'exagération des impositions qu'elle conteste, en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales.
9. En premier lieu, aucun élément du dossier n'est de nature à remettre en cause l'authenticité des fichiers à partir desquels l'administration a établi la fiche de synthèse individuelle concernant Mme F..., alors au demeurant que la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt n° 82467 du 27 septembre 2016, que la méthode utilisée par l'administration fiscale n'avait consisté qu'à rapprocher et à transcrire des données informatiques dans des fichiers de synthèse ayant pour seul objet d'en matérialiser le contenu. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les éléments apparaissant dans les documents obtenus de la banque HSBC Private Bank concernaient précisément la requérante, notamment ses nom, prénom, adresse, date et lieu de naissance et numéro de carte d'identité, ainsi que le numéro de téléphone de la galerie d'art exploitée par l'intéressée. Enfin, Mme F... à expressément admis être détentrice des avoirs litigieux, par l'intermédiaire des sociétés Joystone Investments Limited et Roseport Holding SA, lors de son audition par le juge pénal, la seule évocation, non assortie de précisions, des conditions difficiles de sa garde à vue ne suffisant pas à remettre en cause ses déclarations dûment portées sur procès-verbal.
10. En deuxième lieu, Mme F..., qui n'a produit, devant l'administration ou devant le juge, aucun document bancaire relatif aux frais et charges ayant effectivement grevé les avoirs litigieux, ne démontre pas l'exagération des impositions qu'elle conteste en se bornant à invoquer un montant moyen qui serait habituellement pratiqué dans la gestion de fortune par certains établissements bancaires suisses, tel que ressortant d'un simple article de presse.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 151 du code général des impôts : " Pour l'application de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, l'impôt sur les revenus des avoirs à l'étranger est établi sur le produit du montant de ces avoirs par la moyenne annuelle des taux de rendement brut à l'émission des obligations des sociétés privées ". Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification, que l'administration fiscale a reconstitué les revenus des avoirs à l'étranger de Mme F... en se fondant sur les soldes des comptes aux 31 décembre 2005, 31 décembre 2006 et 28 février 2007, tels qu'ils apparaissaient dans la synthèse individuelle issue des fichiers émanant de la banque HSBC Private Bank. Faute de détenir les soldes des comptes en cause au 31 décembre 2007 et pour les années postérieures, en l'absence des relevés bancaires correspondants, que la requérante n'a jamais produits, et dès lors qu'aucun élément n'indiquait que lesdits comptes auraient été clôturés ou débités, l'administration a déterminé le montant des revenus générés par les avoirs détenus au titre des années 2007 à 2010, en se fondant sur la moyenne annuelle des taux de rendement brut à l'émission des obligations des sociétés privées, conformément aux dispositions précitées de l'article 151 du code général des impôts, et en procédant par extrapolation sur la base du solde détenu au 28 février 2007. Pour ce faire, elle a préalablement converti en euros les soldes connus aux 31 décembre 2005, 31 décembre 2006 et 28 février 2007, qui étaient libellés en dollars. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait dû procéder à la conversion de dollars en euros des avoirs estimés à compter de l'année 2008, dès lors que les avoirs des années en cause étaient déterminés à partir d'un montant des avoirs détenus en 2007 déjà converti en euros. De même, Mme F... ne soutient pas à bon droit que l'administration aurait fait une application inexacte des dispositions de l'article 151 du code en déterminant les avoirs détenus au 1er janvier de chaque année par la prise en compte des revenus générés au cours de l'année précédente, capitalisés au début de l'année suivante.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 11 que Mme F... ne démontre pas l'exagération des impositions qu'elle conteste.
Sur les pénalités :
13. Pour appliquer la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue par les dispositions du c. de l'article 1729 du code général des impôts aux impositions supplémentaires mises à la charge de Mme F... au titre des années en litige, à raison des revenus des avoirs qu'elle détenait à l'étranger, l'administration fiscale s'est fondée sur la circonstance que l'intéressée avait une parfaite connaissance de l'existence de son patrimoine financier à l'étranger ainsi qu'il ressort des déclarations qu'elle avait faites lors de sa garde à vue et devant le juge d'instruction, ledit patrimoine étant détenu auprès d'un établissement situé en Suisse, de surcroît par l'intermédiaire de sociétés situées dans un territoire à fiscalité privilégiée. L'administration justifie ainsi de la matérialité et du caractère intentionnel du manquement, et par suite de l'existence de manœuvres frauduleuses au sens du c. de l'article 1729 du code général des impôts. Et la requérante ne conteste pas utilement la majoration appliquée en se bornant à invoquer les conditions de sa garde à vue.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel ne peut, en conséquence, qu'être rejetée, en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur de la direction des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Brotons, président honoraire,
- Mme Hamon, présidente-assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
I. BROTONS
Le président,
B. AUVRAY
La greffière,
C. BUOT La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00198