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06/11/2024 | FRANCE | N°22PA02692

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 06 novembre 2024, 22PA02692


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Indigo Infra France a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris au paiement de la somme de 11 499 000 euros hors taxes (HT) au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis au cours de l'exécution de deux contrats de concession de l'exploitation de parcs de stationnement, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire par la Ville de Paris le 30 décembre 2019, avec capitalisation.<

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Par un jugement n° 2004576/4-1 du 31 mars 2022, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Indigo Infra France a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris au paiement de la somme de 11 499 000 euros hors taxes (HT) au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis au cours de l'exécution de deux contrats de concession de l'exploitation de parcs de stationnement, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire par la Ville de Paris le 30 décembre 2019, avec capitalisation.

Par un jugement n° 2004576/4-1 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 juin 2022 et le 29 août 2024, la société Indigo Infra France, représentée par Me Tenailleau, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2004576/4-1 du 31 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner la Ville de Paris à lui payer la somme de 11 499 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019 et de la capitalisation des intérêts.

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreurs de droit et d'appréciation ;

- à titre principal, la responsabilité contractuelle sans faute de la Ville de Paris est engagée pour fait du prince, celle-ci ayant adopté des mesures imprévisibles en matière de circulation automobile qui ont affecté directement la fréquentation des parcs de stationnement parisiens, ont porté atteinte à un élément essentiel des contrats dont l'équilibre financier a été bouleversé ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité contractuelle pour faute est engagée, pour méconnaissance du principe d'exécution de bonne foi des contrats, pour s'être abstenue de lui proposer la conclusion d'avenants pour rétablir leur équilibre économique et prendre en compte les conséquences financières des mesures qu'elle avait adoptées sur l'exploitation des parcs ;

- à titre plus subsidiaire, elle est fondée à demander une indemnisation sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, faute pour la Ville de Paris de lui avoir fait part, lors de la conclusion des contrats, de son intention de poursuivre de façon durable sa politique en matière de circulation automobile ;

- enfin, la responsabilité de sa cocontractante est engagée sur le fondement de l'imprévision en raison de certaines mesures de réduction de la circulation automobile prises par le préfet de police.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2023, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Indigo Infra France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2024, non communiqué, la Ville de Paris conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- les observations de Me Tenailleau, pour la société Indigo Infra France,

- et les observations de Me Londono Lopez pour la Ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 novembre 2011, la société Vinci Park France à laquelle a succédé la société Indigo Infra France, a conclu avec la Ville de Paris deux contrats de concession sous forme d'affermage, pour une durée de huit ans à compter, respectivement, des 26 février et 25 janvier 2012, ayant pour objet l'exploitation et l'entretien des parcs de stationnement souterrains " Lobau " et " Madeleine - Tronchet ". Par un courrier du 27 décembre 2019, la société Indigo Infra France a demandé à la Ville de Paris de l'indemniser du préjudice financier qu'elle estime avoir subi dans le cadre de l'exploitation de ces parcs. Elle relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Ville de Paris à lui verser la somme totale de 11 499 000 euros HT.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société Indigo Infra France présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute de la Ville de Paris, au point 6 de leur jugement, les premiers juges ont estimé, qu'en l'absence de stipulations contractuelles le prévoyant expressément, l'autorité administrative n'était pas tenue, durant l'exécution des contrats, de proposer à son cocontractant de rétablir leur équilibre par des avenants et, qu'ainsi, la société requérante n'était pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'intimée pouvait être engagée pour s'être abstenue de le faire. En statuant ainsi, le tribunal a nécessairement examiné le fondement de responsabilité invoqué. La société Indigo Infra France n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation ou d'une omission à statuer sur le moyen tiré de ce que la responsabilité de l'Etat serait engagée à raison d'une faute de nature contractuelle.

4. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, pour contester sa régularité, de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit et d'appréciation.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité fondée sur la théorie du fait du prince :

5. La société Indigo Infra France soutient que les mesures de restriction de la circulation automobile édictées par la Ville de Paris dans le centre de la capitale postérieurement à la conclusion des contrats telles que, notamment, le réaménagement et la piétonnisation des voies sur berges rive droite en 2012 et rive gauche en 2013, la fermeture définitive du transit nord-sud dans le tunnel des Halles en 2015, l'adoption par délibération du " programme 2015 de zone 30 " visant à favoriser le déplacement " doux ", de même que l'adoption du plan vélo 2015-2030 et la création d'une zone de circulation restreinte par arrêté en 2007, n'étaient prévisibles, ni dans leur principe, ni dans leurs effets et qu'il existe une corrélation déterminante entre la diminution de la circulation automobile à Paris et celle de la fréquentation horaire des parcs de stationnement Lobau et Madeleine qu'elle exploite. Il résulte toutefois de l'instruction que la Ville de Paris avait engagé une politique publique de réduction de la circulation automobile bien avant la signature des contrats de concession en cause, dont la société requérante ne pouvait ignorer les effets, à moyen et long termes, à la date de leur signature. Dès le 1er octobre 2007, le conseil de Paris avait en effet adopté un Plan climat de déplacement dont l'objectif était la réduction des émissions de gaz carbonique des véhicules circulant dans Paris intra-muros à raison de 25 % à l'horizon 2013 et de 60 % en 2020, en donnant la priorité aux moyens de transport alternatifs à la voiture. Le 14 avril 2010, soit avant la signature des contrats de concession en cause, le maire de Paris avait également annoncé dans la presse le projet de la Ville de reconquérir les berges de la Seine en réduisant la circulation automobile rive droite, et en interdisant la circulation rive gauche. Cette politique de baisse de la circulation automobile dans la capitale ne pouvait être ignorée par la société requérante en sa qualité de professionnelle du secteur du stationnement en milieu urbain, attributaire de plusieurs concessions pour l'exploitation de parkings bien antérieurement à 2011. Surtout, il résulte de l'instruction que les dossiers de consultation remis aux candidats lors de la passation des marchés en cause mentionnaient les objectifs de la Ville de Paris consistant à favoriser une baisse de la circulation automobile et faisaient obligation aux attributaires de s'inscrire dans la démarche du Plan climat adopté visant, notamment, à renforcer les offres de transports alternatifs ou le covoiturage. Ainsi, si le trafic automobile a diminué en moyenne de 3,4 % par an entre 2011 et 2019, l'affirmation voire l'accentuation de cette baisse ne pouvait être ignorée par la société requérante lorsqu'elle s'est engagée, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, au point 4 de leur jugement. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que la part des pertes d'exploitation et du manque à gagner imputable aux mesures incriminées serait d'une ampleur suffisante pour caractériser une atteinte à l'équilibre économique des contrats de concession de nature à ouvrir un droit à indemnisation de la société Indigo Infra France sur le fondement du fait du prince.

6. Au surplus, s'il résulte de l'instruction qu'au cours de la période considérée d'exécution des contrats, la maire de la Ville de Paris a continué d'adopter des mesures restreignant la circulation automobile à proximité des secteurs concernés, il n'est pas établi que les déficits d'exploitation enregistrés seraient directement imputables auxdites mesures. En effet, par les pièces qu'elle produit, la société requérante n'établit pas que la baisse de fréquentation des parcs Lobau et Madeleine résulterait directement et/ou exclusivement de la politique incriminée de la Ville et non d'autres facteurs, tels que l'existence d'offres concurrentes plus attractives, l'amélioration des modes de transport en commun, ou encore l'augmentation des tarifs horaires appliqués dans les parcs de stationnement en cause les rendant moins attractifs. Au demeurant, il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires dû aux abonnements souscrits au sein du parc Madeleine-Tronchet a atteint en 2019 un montant supérieur à celui de 2012. Aussi, la corrélation déterminante entre la diminution de la fréquentation horaire des parcs et la diminution du trafic automobile dans Paris n'est pas établie de façon certaine.

En ce qui concerne la responsabilité pour imprévision :

7. Une indemnité d'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un évènement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat.

8. Si la société Indigo Infra France se prévaut également du bouleversement de l'économie des contrats consécutif à l'avis conforme donné par le préfet de police à la création d'une aire piétonne dénommée " Berges de Seine - Centre Rive droite " préalablement à l'arrêté du 18 octobre 2016 de la maire de Paris, il est constant que, même intervenu après avis conforme du représentant de l'Etat, l'arrêté litigieux émane de la maire de Paris, cocontractante de la société Indigo Infra France. Celle-ci n'est dès lors pas fondée à solliciter une indemnité pour imprévision.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

9. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

10. Il résulte de l'instruction que les contrats de concession ne contenaient aucune clause stipulant que l'autorité concédante serait tenue de pallier les conséquences des mesures de police de la circulation susceptibles d'intervenir pendant l'exécution du contrat. La société Indigo Infra France soutient que la Ville de Paris a néanmoins commis une faute et méconnu le principe d'exécution de bonne foi des contrats en s'abstenant de lui proposer la conclusion d'avenants pour rétablir leur équilibre économique et de prendre en compte les conséquences financières des mesures sur l'exploitation des parcs. Toutefois, le principe de loyauté contractuelle n'obligeant pas l'administration cocontractante, dans le silence des contrats, à garantir leur équilibre économique par la passation d'avenants modificatifs dans la mesure où les fondements de responsabilité sans faute de l'administration du fait du prince ou de l'imprévision peuvent être invoqués, aucune faute contractuelle ne saurait être retenue sur ce fondement.

En ce qui concerne la responsabilité " quasi- délictuelle " :

11. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat.

12. Si la société Indigo Infra France soutient que la Ville de Paris a méconnu le principe d'exécution de bonne foi des contrats en s'abstenant de lui faire part, lors de la conclusion des contrats litigieux, de ses intentions en matière de réduction de la circulation automobile, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que, lors de la passation des contrats portant reconduction de précédentes conventions, la société requérante ne pouvait ignorer la politique menée par la Ville de Paris depuis, a minima, 2007 et non remise en cause depuis lors.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Indigo Infra France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Indigo Infra France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application de mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Indigo Infra France une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Ville de Paris et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Indigo Infra France est rejetée.

Article 2 : La société Indigo Infra France versera la somme de 1 500 euros à la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Indigo Infra France et à la Ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 novembre 2024.

La rapporteure,

M-D. JAYERLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02692
Date de la décision : 06/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : SCP FOUSSARD-FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-06;22pa02692 ?
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