Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de police du 24 décembre 2020 portant changement d'affectation, d'enjoindre à ce dernier de l'affecter dans un emploi vacant de son grade dans des conditions respectueuses des préconisations émises par la médecine du travail, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation de l'intégralité de son préjudice.
Par un jugement n° 2126620/5-4 du 30 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 12 000 euros outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 août 2023 et 5 avril 2024, M. B..., représenté par Me Viegas, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2126620/5-4 du 30 juin 2023 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il rejette ses conclusions à fins d'annulation de l'arrêté du 24 décembre 2020 du préfet de police et qu'il limite l'indemnité allouée à la somme de 12 000 euros ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2020 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de l'affecter dans un emploi vacant de son grade, dans des conditions respectueuses des préconisations émises par la médecine de prévention, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation de l'intégralité de son préjudice ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier faute d'être signé ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté du 24 décembre 2020 portant changement d'affectation s'analysait en une mesure d'ordre intérieur et ne pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
- cette décision est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 désormais codifié aux articles L. 131-12 et L. 133-3 du code général de la fonction publique ;
- elle méconnaît également les dispositions de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 désormais codifié aux articles L. 131-8 et 10 du code général de la fonction publique, les articles L. 114-1, L. 114-1-1 et 2 du code de l'action sociale et des familles, les stipulations des articles 2 du Traité de l'UE et 19 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, les articles 21 et 26 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE ainsi que l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute de prise en compte des aménagements nécessaires pour adapter son poste de travail à son handicap ;
- l'illégalité fautive de cette décision ainsi que la carence de l'administration dans l'adoption de mesures appropriées lui permettant de conserver un emploi correspondant à sa qualification et de travailler dans des conditions normales, outre sa négligence dans le respect de son obligation de protection des travailleurs handicapés, engagent sa responsabilité ;
- l'indemnisation accordée par le tribunal est en revanche insuffisante et doit être portée à la somme de 50 000 euros.
Par ordonnance du 8 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mai 2024 à 12 heures.
Un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2024, a été présenté par le ministre de l'intérieur postérieurement à la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique
- et les observations de Me Viegas, pour M. B....
Une note en délibéré a été présentée le 4 octobre 2024 par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1964, reconnu travailleur handicapé le 23 août 2016 en raison d'une déficience visuelle, a été recruté en qualité d'agent contractuel dans un emploi d'adjoint administratif de 1ère classe de l'intérieur et de l'outre-mer au titre des travailleurs en situation de handicap et a été affecté à compter du 15 décembre 2006 à la préfecture de police, au sein de l'unité de gestion opérationnelle (UGO) du commissariat central du 2ème arrondissement de Paris, sur un poste de secrétariat. Titularisé le 22 novembre 2017, il a été affecté le 23 septembre 2019 à l'UGO du commissariat central de Paris-Centre et, à compter du 25 août 2020, était en poste au service de l'accueil et de l'investigation de proximité. Par arrêté du 24 décembre 2020 du préfet de police, M. B... a été affecté au sein de l'UGO du commissariat central du 15ème arrondissement de Paris. Les 9 août et 11 octobre 2021, celui-ci a demandé au préfet de police, d'une part, que l'administration lui donne dans les meilleurs délais une affectation " normale ", sur un " emploi digne de ce nom " comportant des responsabilités et des fonctions typiques de son grade tout en respectant les préconisations de la médecine préventive ; d'autre part, la réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis. En l'absence de réponse à ses demandes, M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2020 du préfet de police et d'enjoindre audit préfet de l'affecter dans un emploi vacant de son grade dans des conditions respectueuses des préconisations émises par la médecine du travail ; d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi. Par jugement du 30 juin 2023, le tribunal a condamné l'Etat à verser au requérant une indemnité de 12 000 euros outre la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes. M. B... en relève appel en tant que ce jugement rejette ses conclusions à fins d'annulation de l'arrêté du 24 décembre 2020 du préfet de police et limite l'indemnité allouée à la somme de 12 000 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement est signée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
3. En second lieu, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.
4. Par ailleurs, un changement d'affectation prononcé d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " Il appartient au juge de rechercher si la décision portant changement d'affectation contestée a porté atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressé tient de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours. Enfin, aux termes de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs (...) d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée (...) Ces mesures incluent notamment l'aménagement de tous les outils numériques concourant à l'accomplissement de la mission des agents, notamment les logiciels métiers et de bureautique ainsi que les appareils mobiles. ".
6. M. B... conteste en appel, comme il le faisait en première instance, le changement d'affectation litigieux en remettant en cause l'intérêt du service qui s'y attache et en affirmant qu'une intention répressive justifie cette mesure. Toutefois, ainsi que l'a jugé le tribunal au point 8 de son jugement, la mesure en litige, quand bien même modifie t'elle son affectation et ses tâches professionnelles, ne porte atteinte ni aux droits et prérogatives que le requérant tient de son statut, ni à l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux, et n'a pas eu pour effet de diminuer ses responsabilités ou encore sa rémunération. Dès lors que la situation de M. B... résultant du changement d'affectation en litige ne correspond pas à l'une des deux conditions cumulatives d'existence d'une sanction déguisée, rappelées au point 3, la décision contestée ne peut être regardée comme telle, alors même qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a été prise pour mettre fin aux tensions relationnelles existant entre l'intéressé et ses collègues ou sa hiérarchie et, partant, en considération de sa personne, et également, à la demande de ce-dernier.
7. Par ailleurs, si M. B... soutient que la décision litigieuse s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral et de discrimination en raison de son handicap, contrairement à ce qu'il allègue, les pièces produites au dossier ne peuvent faire présumer une mise à l'écart au sein de son service avant l'intervention de la décision du 24 décembre 2020. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu d'entretien professionnel de l'intéressé au titre de l'année 2019, qu'intervenue, à sa demande, dans le contexte conflictuel susvisé nuisant à l'intérêt du service, la mesure litigieuse qui avait également pour finalité de mettre un terme au mal-être de l'intéressé et faisait suite aux préconisations du médecin de prévention, était dépourvue de caractère disciplinaire. Enfin, si M. B... soutient également que, depuis cette affectation, il est isolé et se voit confier des tâches inférieures à sa classification, ces circonstances, nécessairement postérieures à l'intervention de la décision contestée, ne sauraient révéler que celle-ci relèverait d'agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ou serait liée à son handicap. Par conséquent, la décision en litige n'a pas porté atteinte au droit de ce dernier de ne pas être soumis à un harcèlement moral, ni ne saurait être qualifiée de discriminatoire.
8. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le changement d'affectation litigieux présentait le caractère d'une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours contentieux. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre cette décision ainsi que celles présentées à fin d'injonction.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
9. En premier lieu, toute illégalité affectant une décision administrative est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration. Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant une décision administrative.
10. Il résulte de ce qui a été jugé ci-dessus que le requérant n'est pas recevable à rechercher la responsabilité de l'administration en raison de son changement d'affectation. Les conclusions à fin d'indemnisation de l'appelant, présentées à ce titre ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
11. En second lieu, M. B... n'établit pas que les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation de ses préjudices en lui allouant la somme de 12 000 euros en réparation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence qu'il a subis et de son préjudice moral, du fait de l'absence de mesures appropriées prises par l'administration pour lui permettre de travailler dans des conditions adaptées à son handicap, dans un bureau spécialement aménagé, bénéficiant d'un poste adapté et des outils préconisés par le médecin de prévention.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. B... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03887