Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... et la mutuelle confédérale d'assurances des buralistes de France (MUDETAF) ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à la MUDETAF la somme totale de 111 994,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2020 et capitalisation des intérêts le 27 janvier 2021, en réparation des dommages occasionnés au bureau de tabac exploité par M. A... sous l'enseigne " Flor de Cuba ", en marge de la manifestation des " gilets jaunes " du 1er décembre 2018.
Par un jugement n° 2019208 du 28 février 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la MUDETAF la somme de 111 994,57 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. A... et de la MUDETAF.
Il soutient que les dommages subis par le commerce de M. A... résultent de violences commises par un groupe constitué et organisé à seule fin de les commettre.
Par un mémoire enregistré le 10 juillet 2023, M. A... et la MUDETAF, représentés par Me Barety, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros à verser à la MUDETAF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête du préfet de police est irrecevable car insuffisamment motivée ;
- les dommages dont ils ont demandé l'indemnisation ont été commis en marge d'une manifestation de " gilets jaunes ", le 1er décembre 2018, dans le secteur des Champs-Elysées, et la responsabilité de l'Etat est dès lors engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de M. C..., représentant du préfet de police.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... exploite un bureau de tabac sous l'enseigne commerciale " Flor de Cuba " situé 1 avenue Raymond Poincaré dans le 16ème arrondissement de Paris, qui a fait l'objet de dégradations et de vols le 1er décembre 2018. Lui et son assureur, la MUDETAF, subrogée dans ses droits à hauteur de 111 994,57 euros, ont demandé au tribunal de condamner l'Etat à indemniser à ce titre la MUDETAF. Le préfet de police relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser la somme de 111 994,57 euros à la MUDETAF.
2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".
3. D'une part, il résulte de l'instruction que le 1er décembre 2018, entre 17h30 et 18h00, le rideau de fer et la vitrine protégeant le bureau de tabac exploité par M. A..., situé au 1 avenue Raymond Poincaré, ont été dégradés, le mobilier détruit et les articles dévalisés, alors qu'avait lieu, le même jour, une manifestation de " gilets jaunes " dans le secteur des Champs-Elysées. Il ressort du procès-verbal d'ambiance du commandant du dispositif opérationnel prévu pour cette manifestation que celle-ci a donné lieu à la formation de très nombreux groupes dans plusieurs rues du secteur mais aussi dans des endroits plus éloignés comme la place de la Concorde, les Tuileries ou la place Victor Hugo, que les manifestants se sont montrés de plus en plus violents et qu'ils ont commis de nombreuses dégradations. Il ressort de ce même procès-verbal d'ambiance qu'à 17h43, de nouvelles barricades ont été montées à l'angle de l'avenue Kléber et de la rue Boissière, et qu'à 17h45, une banque a été attaquée à l'angle de l'avenue Kléber et de la rue Saint-Didier, ces incidents se succédant dans la direction du bureau de tabac de M. A.... Au regard de l'ensemble de ces éléments, la circonstance que le commerce de M. A... est situé à une vingtaine de minutes à pied de la place de l'Etoile ne permet pas, dans les circonstances de l'espèce, d'établir que les dommages subis par le commerce " Flor de Cuba " auraient été le fait de groupes isolés constitués et organisés dans le seul but de commettre des délits. Il en va de même de la circonstance que des outils ont dû être utilisés pour détruire le rideau en fer du commerce de M. A... et que des compétences en électronique étaient nécessaires pour dérober l'enregistreur vidéo, alors notamment qu'il ressort du procès-verbal d'ambiance que les manifestants s'étaient rendus sur un chantier plus tôt dans la journée. Dans ces conditions, et compte tenu de leur concomitance géographique et temporelle avec un rassemblement de " gilets jaunes ", ces dommages doivent être regardés comme ayant été causés dans le cadre de celui-ci ou dans son prolongement immédiat, et sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
4. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la somme de 111 994,57 euros fixée par l'expert de la MUDETAF pour évaluer le préjudice subi par M. A..., qui inclut le coût des destructions et des vols ainsi que la perte d'exploitation subie en raison de la fermeture du commerce liée à ces dégradations jusqu'au 20 janvier 2019, et qui n'est d'ailleurs pas contestée par le préfet de police, serait erronée.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a condamné l'Etat à verser à la MUDETAF la somme de
111 994,57 euros.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la MUDETAF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la MUDETAF une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la MUDETAF et à
M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01612