Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 2 janvier 2024 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes.
Par un jugement n° 2401097 du 16 février 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir admis M. D..., à titre provisoire, à l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. D... une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mars 2024, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2401097 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. D... dirigée contre l'arrêté de transfert aux autorités croates.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité à raison d'une méconnaissance du principe du contradictoire ;
- c'est à tort que la juge de première instance a retenu que l'arrêté en litige avait été pris en méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 ;
- le motif d'annulation retenu par la magistrate désignée est infondé, dès lors notamment que le requérant n'a pas fait état d'un suivi psychiatrique lors de son entretien individuel du 3 octobre 2023 ni mentionné qu'il aurait transité par la Croatie dans son parcours migratoire ;
- le requérant n'établit pas que son transfert en Croatie serait susceptible d'entraîner un risque réel d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé ni même d'interrompre sa prise en charge entamée en France ;
- le requérant n'établit pas non plus les mauvais traitements qu'il aurait prétendument subis en Croatie ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017, C.K., H.F. et A.S. c/ Slovénie (C- 578/16) ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 23 mars 1988 à Kermanshah (Iran), entré en France le 17 septembre 2023 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé des empreintes de M. D... avait révélé qu'il avait présenté une demande d'asile dans quatre pays européens, à savoir en Bulgarie, le 8 octobre 2019, en Croatie le 22 septembre 2022, en Slovénie le
12 octobre 2022 et en Suisse le 11 novembre 2022, le préfet de police a saisi, le
16 novembre 2023, les autorités de ces quatre pays d'une demande de reprise en charge de M. D... sur le fondement de l'article 18 1. b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités croates ayant seules, explicitement, accepté, le 30 novembre 2023, la reprise en charge de M. D..., le préfet de police a décidé le transfert de ce dernier à ces autorités par un arrêté du 2 janvier 2024 qui a été annulé par un jugement du 16 février 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris. Le préfet de police relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, par une note en délibéré en date du 2 février 2024, qui a été visée par le jugement attaqué mais n'a pas été communiquée, M. D... a produit une attestation d'un médecin attaché au centre de santé sexuelle d'approche communautaire CheckPoint Paris, datée du 15 janvier 2024, et que, d'autre part, la première juge a expressément tenu compte de cette pièce pour rendre le jugement attaqué. Par suite, le jugement du tribunal administratif est entaché d'irrégularité et doit être annulé sauf en ce qu'il admet M. D..., qui a présenté des conclusions en ce sens, au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
4. Par suite, il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les autres conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
5. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-01598 du 28 décembre 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial, le préfet de police a donné délégation à Mme C... B..., attachée principale d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entré et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
7. En application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée,
c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
8. L'arrêté en litige vise les stipulations applicables, notamment la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté mentionne également les éléments de fait pertinents relatifs à la situation de M. D.... Il précise qu'il est entré irrégulièrement sur le territoire français et qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui a été délivrée le 3 octobre 2023. Il mentionne, en outre, que les autorités croates, qui doivent être regardées comme responsables de sa demande d'asile en application de l'article 18 1. B) du règlement Dublin III, ont été saisies d'une demande de prise en charge le 16 novembre 2023 en application du même règlement
UE n° 604/2013 et qu'elles ont donné leur accord exprès à cette reprise en charge le
30 novembre 2023. Il indique également qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. D..., sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, il relève que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, l'arrêté contesté, qui comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.
9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment pas de l'arrêté attaqué, que le préfet de police n'aurait pas fait usage de son pouvoir d'appréciation afin de procéder à un examen complet de la situation personnelle de M. D....
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Droit à l'information : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre en temps utile, le 3 octobre 2023, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement, en langue persan qu'il a déclaré comprendre, et que ces documents étaient complets. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
13. Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur.
14. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a bénéficié d'un entretien individuel mené dans les locaux de la préfecture de police, le 3 octobre 2023. Le résumé de cet entretien, établi le jour même et versé au dossier par le préfet, sur lequel est apposé le cachet de la préfecture, mentionne que l'entretien a été mené par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, assisté d'un interprète en langue persane, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national et dans les locaux de la préfecture. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait été prise en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
15. En sixième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) ". Si M. D... soutient ne pas avoir déposé de demande d'asile en Croatie, il ressort des pièces du dossier que les empreintes digitales de l'intéressé ont été enregistrées dans le fichier " Eurodac " en Croatie le 22 septembre 2022 sous la référence " HIT 1 ", qui s'applique aux personnes qui sollicitent l'asile, les autorités croates ayant d'ailleurs donné leur accord explicite le 30 novembre 2023 à la reprise en charge de M. D... sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il ne serait pas établi que M. D... aurait déposé une demande d'asile en Croatie doit être écarté.
16. En septième lieu, d'une part, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
17. D'autre part, dans son arrêt du 16 février 2017, C.K., H.F. et A.S. c/ Slovénie
(C- 578/16), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que " dès lors qu'un demandeur d'asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l'article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d'apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu'elles décident du transfert de l'intéressé (...) Il appartiendrait alors à ces autorités d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé (...). ".
18. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
19. D'une part, les rapports et notes d'organisations non gouvernementales (ONG) invoqués par M. D..., ainsi que les déclarations de la médiatrice européenne, faisant état de témoignages de violences policières dans le cadre des opérations frontalières relevant du mécanisme indépendant de surveillance des frontières mis en place par la Croatie, ne permettent pas d'établir l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
20. D'autre part, M. D..., qui se définit comme une femme transgenre, soutient qu'il fait l'objet depuis son arrivée sur le territoire français, en septembre 2023, d'un suivi médical et d'un traitement médicamenteux, pour accompagner sa mutation sexuelle, qu'il a subi des violences du fait de son apparence en Croatie et qu'au regard de sa grande fragilité physique et psychologique, son transfert aux autorités croates entraînerait un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Toutefois, et alors que M. D... n'a fait état, lors de l'entretien du 3 octobre 2023 avec les services de la préfecture, ni d'une vulnérabilité particulière ni des violences mentionnées ci-dessus, les documents qu'il a produit, notamment la lettre de vulnérabilité de l'association Front Transfem du 3 octobre 2023 ainsi que les attestations de suivi d'un médecin généraliste et d'un psychiatre en dates des 10 et 15 janvier 2024, ne permettent pas d'établir, d'une part, que la prise en charge dont il fait l'objet en France depuis septembre 2023 pour sa transition ne pourrait être poursuivie en Croatie et que le transfert vers ce pays aurait des conséquences significatives et irrémédiables pour son état de santé et, d'autre part, de confirmer la réalité des mauvais traitements qui lui auraient été infligés en Croatie. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
21. Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
22. Eu égard à la faible durée de sa présence en France et à la circonstance qu'il n'y a aucune famille, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, l'intéressé n'établit pas qu'il ne pourrait pas bénéficier en Croatie d'une prise en charge adaptée à sa transition et à son état de santé, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que cet arrêté méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
23. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la demande de M. D... doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2 à 5 du jugement n° 2401097/8 du tribunal administratif de Paris du 16 février 2024 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris, à l'exception de sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à
M. A... D....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01239