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12/07/2024 | FRANCE | N°24PA01004

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 12 juillet 2024, 24PA01004


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... You Lou a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes.



Par un jugement n° 2327327 du 29 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de Mme You Lou, a annulé cet arrêté, en

joint au préfet de police de délivrer à Mme You Lou une attestation de demandeur d'asile en procédure no...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... You Lou a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 2327327 du 29 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de Mme You Lou, a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme You Lou une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 février 2024, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2327327 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de Mme You Lou.

Il soutient que :

- c'est à tort que le juge de première instance a retenu que l'arrêté en litige avait été pris en méconnaissance de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 ;

- le motif d'annulation retenu par la magistrate désignée est infondé, en l'absence d'établissement de défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Italie ;

- l'accord implicite donné par l'Italie à la demande de transfert ayant la même valeur qu'un accord exprès, Mme You Lou n'est nullement empêchée de déposer une première demande d'asile en Italie ;

- la circulaire du 5 décembre 2022 des autorités italiennes n'est pas de nature à établir que la demande d'asile de Mme You Lou ne sera pas examinée en Italie ;

- Mme You Lou n'établit pas qu'elle serait personnellement exposée à voir sa demande d'asile ne pas être traitée dans le respect du droit d'asile au sens de l'article 3.2 précité ;

- les autres moyens soulevés par Mme You Lou devant le tribunal administratif, à savoir l'insuffisance de motivation, la violation des stipulations de l'article 4 du règlement

UE n° 604/2013, la violation de l'article 5 de ce règlement et l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Mme You Lou qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme You Lou, ressortissante ivoirienne née le 12 août 1989, a sollicité la protection internationale par une demande déposée le 17 août 2023. Par un arrêté du 15 novembre 2023, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 29 janvier 2024 en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à Mme You Lou une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement(UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".

3. Pour annuler l'arrêté du 15 novembre 2023 portant transfert de Mme You Lou aux autorités italiennes, la première juge s'est fondée sur la circonstance que, par une circulaire en date du 5 décembre 2022, le ministre de l'intérieur italien a informé ses homologues membres de l'espace Schengen de la suspension temporaire, pour des raisons techniques, des reprises en charge de demandeurs d'asile vers l'Italie. Elle en a déduit que les craintes de Mme You Lou relatives au défaut de protection en Italie étaient fondées et que, en retenant que l'intéressée n'établissait pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes, le préfet de police avait méconnu les dispositions dérogatoires prévues au 2. de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013.

4. Le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux. Ainsi, il est présumé que l'Italie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de cette charte.

5. Mme You Lou soutient, en termes généraux, que l'Italie connaît des défaillances systémiques dues au durcissement de sa politique migratoire en se référant, d'une part, à des rapports publiés par des organisations non gouvernementales (ONG) telles que l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) et l'AIDA (Asylum Information Database), notamment en mai 2022 pour cette dernière, ainsi qu'à divers articles de presse parus dans des quotidiens ou hebdomadaires français et européens et, d'autre part, à la lettre circulaire du 5 décembre 2022 émanant du ministère de l'intérieur italien aux termes de laquelle l'Italie sollicite la suspension temporaire des transferts à destination de son territoire pour des motifs techniques liés à la saturation de ses centres d'accueil. Elle invoque en outre sa situation de vulnérabilité dès lors qu'elle est accompagnée de sa fille de deux ans et qu'elle souffre d'une maladie infectieuse qui n'aurait pas été prise en charge lors de son séjour en Italie.

6. Toutefois, la circulaire du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien invoquée par Mme You Lou se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil. Or aucune pièce du dossier ne permet de démontrer qu'à la date de la décision contestée, la demande de suspension des transferts vers l'Italie était encore en vigueur. Par ailleurs, alors qu'il n'est pas même allégué que la Commission européenne aurait, sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, adressé aux autorités italiennes une lettre de mise en demeure quant à l'existence de défaillances systémiques, il ressort des pièces versées aux débats que, par une décision implicite du 8 novembre 2023, les autorités italiennes ont accepté la prise en charge de la demande d'asile de Mme You Lou dont le transfert a été ordonné par l'arrêté litigieux pris le 15 novembre 2023, soit onze mois après la note du ministre de l'intérieur italien. Dans ces conditions, et alors que Mme You Lou ne produit aucun élément précis de nature à faire état d'une situation de particulière vulnérabilité, les craintes de cette dernière quant à l'existence de défaillances systémiques en Italie, notamment au regard des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, doivent être regardées comme infondées. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté du 15 novembre 2023 prononçant le transfert de Mme You Lou aux autorités italiennes au motif qu'il aurait méconnu les stipulations de l'article 3 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

7. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme You Lou devant le tribunal administratif à l'encontre de cet arrêté.

Sur les autres moyens soulevés par Mme You Lou devant le tribunal administratif de Paris :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entré et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

9. En application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile susmentionné, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

10. L'arrêté en litige vise les stipulations applicables, notamment la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté mentionne également les éléments de fait pertinents relatifs à la situation de Mme You Lou. Il précise qu'elle est entrée irrégulièrement sur le territoire français et qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui a été délivrée le 17 août 2023. Il mentionne en outre que les autorités italiennes, qui doivent être regardées comme responsables de sa demande d'asile en application de l'article 13 du règlement Dublin III, ont été saisies d'une demande de prise en charge le 7 septembre 2023 en application du même règlement UE n° 604/2013 et qu'elles ont donné leur accord implicite à cette prise en charge le 8 novembre 2023. Il indique également qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de Mme You Lou, sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, il relève que l'intéressée ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France, que les autorités italiennes ont accepté de prendre en charge son enfant mineure et qu'elle n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, l'arrêté contesté, qui comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

11. En second lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment pas de l'arrêté attaqué, que ce dernier n'aurait pas été précédé d'un examen complet de la situation personnelle de Mme You Lou.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) ".

13. Il ressort des pièces du dossier que Mme You Lou s'est vu remettre contre signature, le 10 août 2023, la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A), et le 17 août 2023, la brochure intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), en langue française qu'elle a déclaré comprendre, et en a accusé réception sans réserves. Il résulte en outre du résumé de l'entretien individuel dont Mme You Lou a bénéficié le

17 août 2023 qu'elle a confirmé lors de cet entretien que l'information sur les règlements communautaires lui avait été remise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

15. Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur.

16. D'une part, ni les dispositions mentionnées au point 14 ni aucun principe n'imposent que figure sur le compte rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme You Lou a été reçue le 17 août 2023 par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, lequel, en l'absence de tout élément qui conduirait à mettre en doute sa qualification, - et alors que le résumé de l'entretien montre que celui-ci a permis d'inviter le requérant à fournir les informations en sa possession utiles au processus de détermination de l'Etat membre responsable - doit être regardé comme une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. A cette occasion,

Mme You Lou a été mise en mesure de faire part de ses observations de façon circonstanciée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'entretien n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité. Enfin, l'entretien a fait l'objet d'un résumé reprenant les principales informations fournies par l'intéressée. Par suite,

Mme You Lou n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait été prise en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

17. En cinquième lieu, aux termes de l'article 31 du règlement susvisé du 26 juin 2013, intitulé " Echange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert " : " 1. L'État membre procédant au transfert d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), communique à l'État membre responsable les données à caractère personnel concernant la personne à transférer qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables, aux seules fins de s'assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l'État membre responsable sont en mesure d'apporter une assistance suffisante à cette personne, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d'autres instruments juridiques pertinents en matière d'asile. Ces données sont communiquées à l'État membre responsable dans un délai raisonnable avant l'exécution d'un transfert, afin que ses autorités compétentes conformément au droit national disposent d'un délai suffisant pour prendre les mesures nécessaires. / 2. L'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable les informations qu'il juge indispensables à la protection des droits de la personne à transférer et à la prise en compte de ses besoins particuliers immédiats, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, et notamment : / a) les mesures immédiates que l'État membre responsable est tenu de prendre aux fins de s'assurer que les besoins particuliers de la personne à transférer sont adéquatement pris en compte, y compris les soins de santé urgents qui peuvent s'avérer nécessaires ; (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement, intitulé " Échange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert " : " 1. Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de torture, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'État membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis. (...) ".

18. Il résulte des termes mêmes des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, et notamment de leur titre, qu'ils sont relatifs aux modalités d'exécution d'une décision de transfert. Leurs dispositions n'imposent pas que l'échange d'information ait lieu avant l'édiction de la décision de transfert, mais seulement dans un délai raisonnable avant le transfert effectif de la personne intéressée. Dès lors, leur inobservation à la date de l'arrêté en litige, à la supposer même établie, est sans incidence sur la légalité de ce dernier.

19. En sixième lieu, aux termes de l'article 10 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". En vertu du g) de l'article 2 du même règlement, sont inclus dans les " membres de la famille ", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, le conjoint du demandeur. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Et aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

20. Mme You Lou soutient qu'elle vit en concubinage avec M. C..., compatriote avec lequel elle a entamé une relation amoureuse en avril 2021 en Tunisie. Elle fait valoir que si M. C... n'est pas le père de son enfant âgé de presque deux ans à la date de l'arrêté attaqué, il se comporte comme tel et contribue à son entretien et son éducation. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, d'une part, Mme You Lou, dont l'enfant est née en décembre 2021 en Côte d'Ivoire, a déclaré lors de son entretien individuel du 17 août 2023, qu'elle était célibataire et qu'elle avait quitté son pays d'origine en janvier 2022, en contradiction avec les allégations qui précèdent. D'autre part, et en admettant même la relation de concubinage avec M. C... établie, ce dernier ne peut en tout état de cause être regardé comme membre de famille au sens des articles 2 g) et 10 du règlement (UE) n° 604/2013 dès lors que Mme You Lou n'établit ni même n'allègue que la famille existait déjà dans le pays d'origine, à savoir la Côte d'Ivoire. En outre, si la demande d'asile de M. C... n'avait pas fait l'objet, à la date de l'arrêté attaqué, d'une décision sur le fond, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme You Lou et M. C... auraient tous les deux exprimé par écrit leur souhait que la demande d'asile de Mme You Lou soit examinée en France. Enfin et en tout état de cause, Mme You Lou, dont l'entrée en France, en août 2023, était extrêmement récente à la date de l'arrêté attaqué, ne saurait se prévaloir d'une relation stable et inscrite dans la durée avec M. C..., lequel ne conteste d'ailleurs pas ne pas avoir informé la préfecture du Val d'Oise dont il dépend de l'identité de sa concubine et de sa présence à ses côtés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 10 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être également écartés.

21. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée par ces dispositions à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

22. Ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, Mme You Lou ne démontre pas qu'elle serait exposée à un risque personnel de traitement inhumain et dégradant en cas de transfert vers l'Italie ou qu'il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays de nature à faire obstacle à l'examen de sa demande dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Si l'intéressée fait valoir qu'elle souffre d'une maladie infectieuse grave, elle ne démontre pas qu'elle ne pourrait être prise en charge par les infrastructures sanitaires italiennes dans des conditions au moins équivalentes à celles existant en France ou que son état de santé constituerait un obstacle à la mesure de transfert attaquée. Dans ces conditions, Mme You Lou, qui a déclaré lors d'un entretien du 24 août 2023 avec un auditeur de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) chargé d'évaluer sa vulnérabilité que ni elle ni sa fille n'avaient de maladie grave, n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou qu'en s'abstenant de faire usage de la clause dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, il aurait entaché la mesure de transfert en litige d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 15 novembre 2023 décidant le transfert de

Mme You Lou aux autorités italiennes et a fait droit aux conclusions à fin d'injonction de cette dernière ainsi qu'à celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 à 5 du jugement n° 2327327 du tribunal administratif de Paris du

29 janvier 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par Mme You Lou devant le tribunal administratif de Paris, à l'exception de sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme D... You Lou.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bruston, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01004


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01004
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;24pa01004 ?
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