Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2022 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
Par un jugement n° 2222942/2-3 du 22 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 12 juillet 2023, 27 août 2023 et 14 mars 2024, M. A..., représenté par Me Bozize, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 22 décembre 2022 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 2 novembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
4°) d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la fixation du pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2023, le préfet des Hauts-de-Seine conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une décision du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les observations de Me Bozize pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 11 novembre 1986 et entré en France en décembre 2019 selon ses déclarations, a présenté une demande d'asile, laquelle a été rejetée par une décision du directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 27 mai 2020, confirmée par une décision de la cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 3 février 2021. Par un arrêté du 2 novembre 2022, le préfet des Hauts-de-Seine a obligé l'intéressé à quitter le territoire, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... fait appel du jugement du 22 décembre 2022 par lequel le magistrat, désigné par le président du tribunal administratif de Paris, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose. Le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit donc être écarté.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
4. M. A... fait valoir qu'il souffre de stress post-traumatique à l'origine d'un syndrome dépressif sévère, de douleurs chroniques du rachis lombaire irradiant ses membres inférieurs et évoluant par crises, ainsi que de multiples cicatrices sur le pectoral gauche principalement. Il produit, outre plusieurs ordonnances, une lettre du 7 février 2023 de son médecin traitant, dans laquelle le praticien indique, dans des termes très généraux, à propos de son patient qu'un " retour en Guinée aggraverait grandement ses troubles anxieux, avec un risque important de dégradation psychologique et de syndrome dépressif caractérisé, dans un contexte où il serait compliqué pour lui d'obtenir des soins adaptés ". Il ressort également des pièces du dossier que M. A... bénéficie d'un suivi psychologique régulier au sein du centre Primo Levi, et qu'il est régulièrement ausculté par un chirurgien spécialisé en orthopédie et traumatologie pour ses douleurs du rachis lombaire, lesquelles sont traitées par des antalgiques et du Versatis. Si M. A... produit un courrier électronique du laboratoire Grunenthal qui commercialise ce médicament, indiquant que celui-ci ne dispose d'aucune autorisation de mise sur le marché en Guinée-Conakry et n'y est, par suite pas disponible à la vente, il n'établit, ni n'allègue, que le principe actif qui constitue ce médicament ne serait pas substituable. Dans ces conditions, l'intéressé n'établit pas, par les pièces qu'il produit, que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni, à supposer que tel soit le cas, qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un traitement médical approprié dans son pays d'origine. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de police a commis une erreur dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision fixant le pays de destination :
5. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision fixant le pays de destination par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
6. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
7. M. A... persiste à soutenir qu'il encourt des risques de persécutions et d'exposition à des souffrances psychologiques en cas de retour en Guinée. Toutefois, les pièces qu'il produit, à savoir principalement un " acte de témoignage " de la secrétaire fédérale de l'union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) indiquant, d'une part, que M. A... est adhérent à ce parti, ce qui lui aurait valu plusieurs arrestations et séjours en prison, d'autre part, qu'il continue de militer depuis la France auprès de la section Ile-de-France Paris-Centre rattachée à l'UFDG-France et une lettre de son cousin décrivant une situation très critique en Guinée, ne sauraient suffire à l'établir. Du reste, sa demande d'asile a été rejetée par la CNDA du 3 février 2021. Le moyen doit donc être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire ne peut qu'être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
10. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen le conduisant à apprécier les conséquences de la mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de l'étranger et que sont invoquées des circonstances étrangères aux quatre critères posés par les dispositions précitées de l'article L. 612-10, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
11. M. A... fait valoir qu'il réside en France depuis plus de trois ans. Il soutient que l'un de ses frères y réside également, sous le statut de réfugié, et qu'une de ses nièces dispose de la nationalité française. Toutefois, ces seuls éléments ne sauraient suffire à établir l'existence d'un ancrage fort de l'intéressé en France, alors que, célibataire et sans charge de famille, il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans. Par ailleurs, ainsi qu'il a été exposé aux points 4 et 7, M. A... n'établit pas, à supposer que son état de santé nécessite des soins dont le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, ni même qu'il y encourrait en cas de retour des risques de persécutions ou d'exposition à des souffrances psychologiques. Ce faisant, le requérant ne démontre aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour, ni même que le préfet aurait, en la fixant à douze mois, entaché cette interdiction d'une erreur d'appréciation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEULa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23PA03077