Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 décembre 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a refusé l'entrée en France au titre de l'asile.
Par un jugement n° 2329791 du 3 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 28 décembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, lui a enjoint d'admettre M. D... au séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par la SCP Saidji et Moreau, demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le premier juge, qui, par erreur, a fondé son jugement d'annulation sur une méconnaissance des dispositions de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à raison d'une prétendue absence de prise en considération suffisante de l'état de vulnérabilité de M. D..., s'est en réalité fondé sur le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 352-2 de ce code, qui n'est pas d'ordre public et qui n'a pas été soulevé par l'intéressé ;
- aucune pièce du dossier ne permet d'attester de la réalité et de la gravité des pathologies de M. D... ;
- s'agissant des moyens soulevés par M. D..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.
La requête n'a pu être communiquée à M. D..., faute d'une adresse connue.
Par une décision en date du 1er septembre 2023, la présidente de la Cour administrative d'appel de Paris a désigné M. d'Haëm, président assesseur à la 6ème chambre, pour statuer, en application des dispositions de l'article L. 352-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur les requêtes d'appel relatives au contentieux des refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,
- et les observations de Me Ben Hamouda, avocate du ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo), né le 26 juin 1970 et arrivé, le 25 décembre 2023, à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle par un vol en provenance de Sao Paulo, sous couvert d'un faux passeport au nom de M. E..., a demandé, le 27 décembre 2023, le bénéfice de l'asile. Par une décision du 28 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, au vu d'un avis du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du même jour, refusé son entrée en France au titre de l'asile et a ordonné son réacheminement vers le Brésil ou vers tout pays où il sera légalement admissible. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait appel du jugement du 3 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 28 décembre 2023, lui a enjoint d'admettre M. D... au séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : / (...) 3° La demande d'asile est manifestement infondée. / Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves ". Aux termes de l'article L. 352-2 du même code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au titre III du livre V. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. / (...) Sauf si l'accès de l'étranger au territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, l'avis de l'office, s'il est favorable à l'entrée en France de l'intéressé au titre de l'asile, lie le ministre chargé de l'immigration ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 351-3 du même code : " Lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans le cadre de l'examen tendant à déterminer si la demande d'asile n'est pas irrecevable ou manifestement infondée, considère que le demandeur d'asile, notamment en raison de sa minorité ou du fait qu'il a été victime de torture, de viol ou d'une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle, nécessite des garanties procédurales particulières qui ne sont pas compatibles avec sa présence en zone d'attente, il y est mis fin. L'étranger est alors muni d'un visa de régularisation de huit jours. Dans ce délai, l'autorité administrative compétente lui délivre, à sa demande, une attestation de demande d'asile lui permettant d'introduire cette demande auprès de l'office ".
4. L'unique moyen sur lequel le premier juge a fondé son jugement d'annulation doit être regardé comme étant tiré d'une méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 352-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le jugement mentionnant par erreur l'article L. 352-1 de ce code, à raison de la circonstance que l'OFPRA, lors de l'examen tendant à déterminer si la demande d'asile de M. D... n'était pas manifestement infondée, n'aurait pas été en mesure de tenir compte correctement de la vulnérabilité de l'intéressé qui a indiqué, devant le tribunal administratif, " sans être contredit souffrir d'un cancer de la prostate et d'un diabète sévère ", et l'attestation du 2 janvier 2024 d'un médecin du service médical de la zone d'attente pour personnes en instance (ZAPI) de Roissy mentionnant que l'intéressé " doit toujours porter son traitement ".
5. Cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, aurait été soulevé par M. D... en première instance. Au surplus, il ne ressort pas davantage de ces pièces que M. D..., qui a, d'ailleurs, été mis à même, lors de l'entretien dont il a bénéficié devant l'OFPRA le 28 décembre 2023, de répondre aux questions posées et d'exposer les motifs de sa demande, se serait prévalu, au cours de cet entretien, de son état de santé, ou aurait fait état d'une quelconque vulnérabilité qui aurait nécessité des garanties procédurales particulières incompatibles avec sa présence en zone d'attente, ni qu'il aurait produit, devant l'Office ou auprès de l'autorité ministérielle, le moindre document d'ordre médical avant l'intervention de la décision contestée du 28 décembre 2023. En outre, alors que l'attestation du 29 décembre 2023 d'un autre médecin de la ZAPI n'indique aucune pathologie, ni aucun traitement, l'attestation du 2 janvier 2024 susmentionnée, au demeurant postérieure à la décision attaquée, si elle se borne à indiquer que l'intéressé " doit toujours porter son traitement ", ne fournit aucune précision sur sa ou ses pathologies ou leur gravité. Ainsi, le premier juge, en soulevant d'office un tel moyen, a entaché son jugement sur ce point d'irrégularité. Par suite, le jugement du 3 janvier 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris doit être annulé.
6. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif.
Sur la légalité de la décision attaquée :
7. En premier lieu, la décision contestée du 28 décembre 2023, qui mentionne, en caractères lisibles, les prénom, nom et qualité de sa signataire, a été signée par Mme B... A..., agente contractuelle directement placée sous l'autorité de la cheffe du département de la coopération et de la dimension extérieure de l'asile de la direction de l'asile de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur et qui disposait d'une délégation de signature à cet effet consentie par une décision du 12 octobre 2023 de la directrice de l'asile, modifiant la décision du 24 août 2020 portant délégation de signature et publiée au Journal officiel de la République Française le 14 octobre 2023. Par suite, les moyens tirés de ce que la signataire de la décision attaquée serait difficilement identifiable et de ce que cette décision aurait été signée par une autorité incompétente doivent être écartés.
8. En deuxième lieu, la décision contestée, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, est, par suite, suffisamment motivée.
9. En troisième lieu, il ne ressort ni de cette motivation, ni de la transcription de l'entretien dont M. D... a bénéficié devant l'OFPRA le 28 décembre 2023, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'avant de refuser son entrée en France au titre de l'asile, le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer n'aurait pas procédé à un examen particulier de la demande de M. D.... En particulier, ainsi qu'il a été dit au point 5 et contrairement à ce qu'il soutient, M. D... a été mis à même, lors de cet entretien devant l'OFPRA, de répondre aux questions posées et d'exposer les motifs de sa demande. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit doit être écarté.
10. En dernier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant à la frontière du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents qu'il produit à leur appui, sont sans pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou, du fait notamment de leur caractère inconsistant ou trop général, incohérent ou très peu plausible, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les craintes de persécutions ou d'atteintes graves alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la protection subsidiaire.
11. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande d'asile, M. D..., né en 1970, a fait valoir qu'originaire de Kinshasa, d'appartenance communautaire Mukongo, de confession protestante et mécanicien ou commerçant de profession, il a effectué, au début des années 2000, du commerce entre Kinshasa et la localité de Gbadolite. Sur place, des pêcheurs avec qui il commerçait l'ont informé des exactions commises par le mouvement rebelle de Jean-Pierre Bemba dans la région. Il a diffusé ces informations par l'intermédiaire de son téléphone portable, puis des réseaux sociaux à des amis se trouvant à Kinshasa. Ayant été identifié comme l'auteur de ces diffusions, il n'est plus retourné à Gbadolite et est resté à Kinshasa où il est devenu un sympathisant de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Au début des années 2010, il a commencé à faire remonter, à son insu, des informations au gouvernement Kabila sur les activités de l'UDPS par l'intermédiaire d'un ami, qui était en réalité un agent de l'Agence nationale de renseignements (ANR). Ayant été identifié par le parti comme l'auteur de ces fuites, il a été menacé par des membres radicaux du parti. Craignant pour sa sécurité, il a quitté son pays en 2014 pour l'Angola. En 2016, les autorités ont tué sa compagne et ses enfants par empoisonnement. Après avoir transité par le Brésil, il est arrivé en France le 25 décembre 2023.
12. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et, notamment, du compte-rendu de l'entretien du 28 décembre 2023 ainsi que de ses écritures que M. D... a tenu des propos particulièrement sommaires ou évasifs sur son activité professionnelle au début des années 2000 entre Kinshasa et Gbadolite, située à plus de mille kilomètres, sur la manière dont il aurait récolté des informations sur les exactions commises par le mouvement de Jean-Pierre Bemba et sur la nature ou le contenu de ces informations. De plus, l'intéressé n'a livré que des indications élusives ou inconsistantes et très peu plausibles tant sur les conditions dans lesquelles il aurait diffusé ces informations auprès d'amis à Kinshasa que sur les circonstances selon lesquelles il aurait été identifié comme l'auteur de ces diffusions. En outre, il n'a fourni aucun commencement d'explication sérieuse sur son engagement en faveur de l'UDPS, les modalités de cet engagement ou sa fréquence, tandis que ses déclarations selon lesquelles, à son insu, il aurait livré des informations au gouvernement Kabila sur les activités de l'UDPS sont apparues tout aussi inconsistantes et très peu vraisemblables. Par ailleurs, il n'a présenté aucun développement un tant soit peu précis et crédible sur les menaces dont il aurait fait l'objet de la part de membres radicaux de ce parti ainsi que sur l'élément déclencheur, l'organisation et les modalités de son départ de son pays en 2014 pour gagner l'Angola. Enfin, il n'a apporté aucune précision sur ses conditions de vie entre 2014 et 2023 ou sur les circonstances de l'assassinat allégué de sa compagne et de ses enfants en 2016, ni aucune indication tangible et crédible sur ses craintes actuelles et personnelles en cas de retour dans son pays d'origine.
13. Il suit de là qu'en estimant, par sa décision du 28 décembre 2023, que la demande d'asile de M. D... était manifestement infondée et en refusant en conséquence son entrée sur le territoire français au titre de l'asile, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 352-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 28 décembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles portant sur les frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement n° 2329791 du 3 janvier 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... D....
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
Le magistrat désigné,
R. d'HAËMLa greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00566