Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris à lui verser une somme de 76 000 euros en indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de plusieurs fautes qu'elle aurait commises dans la gestion de sa carrière et du harcèlement moral dont il estime avoir été victime.
Par un jugement n° 2011403 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a condamné la Ville de Paris à verser à M. B... une somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 30 août 2022 et 11 janvier 2024, M. B..., représenté par la SELARL Guillon, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner la Ville de Paris à lui verser les sommes de 16 885 euros en réparation de son préjudice financier et de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, majorées des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2020 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il a été victime de faits de harcèlement moral en raison de son orientation sexuelle ;
- la Ville de Paris a commis une faute en le reclassant pour raisons médicales ;
- elle a commis une faute dans la gestion de sa reconversion professionnelle ;
- elle a commis une faute en le laissant sans affectation pour une période de seize mois ;
- ces fautes lui ont causé un préjudice financier de 16 885 euros et un préjudice moral de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 janvier 2024, la Ville de Paris, représentée par la SELARL Bazin et associés avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- les demandes indemnitaires relatives à la réparation des préjudices qui seraient liés à des agissements de harcèlement moral et à la réparation des préjudices qui seraient liés au déclenchement fautif d'une procédure de reclassement sont prescrites ;
- elle n'a commis aucune faute ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guillon, représentant M. B... et de Me Mercier, représentant la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par la Ville de Paris en qualité d'éboueur le 6 janvier 1992 et a été titularisé le 6 janvier 1993. Il a exercé les fonctions d'éboueur auprès de la direction de la propreté et de l'eau jusqu'en 2014, année à partir de laquelle il s'est engagé dans une procédure de reconversion professionnelle, puis a de nouveau exercé ces fonctions à compter du
16 janvier 2020. Il a demandé à la Ville de Paris de l'indemniser à hauteur de 76 000 euros au titre des préjudices financier et moral que lui auraient causé plusieurs fautes qu'elle aurait commises dans la gestion de sa carrière et du harcèlement moral dont il estime avoir été victime. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a limité à 1 000 euros la condamnation de la Ville de Paris.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le tribunal a suffisamment motivé son jugement en retenant, au point 4, que M. B... ne lui soumettait pas d'éléments susceptibles de laisser présumer qu'il avait été victime de harcèlement moral et en écartant, au point 6, le moyen tiré de ce que la procédure de reclassement était fautive, le moyen tiré de ce que le dispositif de reconversion professionnelle n'aurait été mis en œuvre que dans le but de ne pas traiter le harcèlement moral dont il s'estimait victime n'étant soulevé qu'au titre des fautes commises par la ville dans la gestion de sa carrière.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour démontrer le harcèlement moral dont il soutient avoir été victime, M. B... produit une plainte pénale du 10 avril 2010 pour des injures à caractère homophobe qui auraient été proférées par l'un de ses collègues le 5 avril 2010 et un courrier du 8 janvier 2013 par lequel la directrice adjointe de la propreté et de l'eau a reconnu un environnement de travail parfois peu enclin à la tolérance. M. B..., qui dit avoir été victime d'insultes homophobes de 2001 à 2013, n'apporte cependant pas d'éléments suffisants de nature à révéler que ces agissements auraient présenté un caractère réitéré. S'il soutient que la procédure de reconversion professionnelle qu'il a suivie, à compter de 2014, alors qu'il n'était pas inapte physiquement, lui a été imposée pour mettre fin au harcèlement qu'il subissait, il résulte de l'instruction qu'il a exprimé, dès 2008, le souhait de changer de métier, qu'il a signé une demande de reconversion, le 30 janvier 2013, et qu'il a indiqué, lors du bilan de compétences réalisé le 13 novembre 2013 dans le cadre de cette reconversion, prendre celle-ci " comme une récompense et une reconnaissance d'un système utile et protecteur " et que cela était pour lui " un vrai bonheur ". Dans ces conditions, l'initiation de cette procédure de reconversion ne saurait être regardée comme révélant le harcèlement moral dont M. B... prétend avoir été la victime
5. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la procédure de reconversion professionnelle de M. B... aurait été fondée sur son inaptitude physique à l'exercice des fonctions d'éboueur, la circonstance qu'il était apte à l'exercice de ces fonctions ne faisant par ailleurs pas obstacle à ce qu'il bénéficie d'un dispositif mis en place pour la reconversion professionnelle des éboueurs. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que la Ville de Paris aurait commis une faute en initiant à son égard une procédure de reconversion professionnelle alors qu'il était apte à poursuivre ses fonctions d'éboueur.
6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. B... a suivi une formation théorique et pratique à l'emploi d'ATSEM à compter d'octobre 2014 et a obtenu, le
17 juin 2015, le certificat d'aptitude professionnelle " Petite enfance ". Du 31 août au
15 décembre 2015, il a réalisé un stage en qualité d'ATSEM à l'école Blanche, dans le 9ème arrondissement. Si M. B... soutient qu'il a été mis fin à ses fonctions du fait d'un désaccord sur ses primes, un tel motif ne résulte pas de l'instruction. Au demeurant, il ne résulte pas davantage de l'instruction que la non-perception de certaines primes alors qu'il avait la qualité de stagiaire serait la conséquence d'une faute de la Ville de Paris.
7. Il résulte également de l'instruction que M. B... a été affecté au poste d'agent d'accueil et de surveillance auprès de la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection du 26 septembre 2016 au 23 avril 2017, puis aux parcs et jardins du 24 avril au 24 août 2017. Si M. B... soutient que ces changements d'affectation sont fautifs, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations alors qu'il ressort du courrier du 31 août 2017 qu'il produit qu'il avait rejoint la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection dans le cadre du dispositif de reconversion " emploi tremplin ". La Ville de Paris soutient, en outre, sans être contredite, que c'est en raison du peu d'intérêt de M. B... pour ce type de postes qu'il lui a, par la suite, été proposé des postes administratifs, ce que corroborent les écritures de première instance de l'intéressé indiquant qu'il a quitté la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection en raison de l'absentéisme, de " malades en tout genre " et d'un " manque de professionnalisme avéré ".
8. Il résulte enfin de l'instruction que M. B... a suivi une formation au poste d'adjoint administratif, du 25 septembre au 22 décembre 2017, puis a été affecté, à compter du
23 juillet 2018, sur des fonctions de soutien au secrétariat de contractualisation auprès de la direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé (DASES) et qu'il lui appartenait, avec l'aide de la Ville de Paris, de trouver une affectation pérenne sur un poste d'adjoint administratif. Il résulte également de l'instruction que M. B... était aidé dans ses recherches par une tutrice et il a lui-même indiqué en première instance que c'est en raison du grand nombre de candidats que ses recherches n'ont pas abouti. S'il soutient qu'il devait être affecté à un poste d'adjoint administratif au sein du service parisien de santé environnementale de la DASES à compter du 3 février 2020 mais que la Ville de Paris aurait décidé de mettre un terme au processus de reconversion, il ne produit aucun élément en ce sens, alors que le courrier de la Ville de Paris du 23 janvier 2020 mettant fin à la procédure de reconversion fait état de ce que sa recherche d'emploi n'a pas abouti. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'une faute de la Ville de Paris serait à l'origine de l'absence d'affectation de M. B... sur un emploi d'adjoint administratif.
9. En quatrième lieu, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.
10. Il résulte de l'instruction qu'après la fin de son affectation en qualité d'ATSEM, il a été décidé de réaffecter temporairement M. B... sur un emploi d'éboueur avant un stage prévu en septembre pour devenir électrotechnicien, et que M. B... a fait l'objet d'avis contradictoires de médecins quant à son aptitude à reprendre, avec ou sans réserves, un emploi d'éboueur. Compte tenu de ces circonstances, et de la procédure de reconversion professionnelle dans laquelle était par ailleurs engagé B..., il ne résulte pas de l'instruction que le délai écoulé entre le 1er janvier et le 25 septembre 2016, période pendant laquelle il est resté sans affectation, serait déraisonnable.
11. En dernier lieu, M. B... se borne, pour contester le caractère suffisant de la somme de 1 000 euros qui lui a été accordée en première instance au titre de son préjudice moral, à se prévaloir des fautes qu'aurait commises la Ville de Paris et que n'a pas retenues le tribunal. Il résulte de ce qui précède que sa demande ne peut qu'être rejetée.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale opposée par la Ville de Paris en défense, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité la condamnation de la Ville de Paris à lui verser une somme de 1 000 euros.
Sur les frais du litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme que la Ville de Paris demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Ville de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04025