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31/05/2024 | FRANCE | N°23PA02355

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 31 mai 2024, 23PA02355


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. L... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de l'intérieur lui ont imposé une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et lui ont interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois.



Par un jugement n° 2126514 du 27

mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de l'intérieur lui ont imposé une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et lui ont interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2126514 du 27 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 mai 2023, M. L..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2126514 du 27 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de la relance ainsi que du ministre de l'intérieur en date du 11 octobre 2021 lui imposant une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et lui interdisant la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 du ministre de l'économie des finances et de la relance et du ministre de l'intérieur portant application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaires et financier ;

3°) d'enjoindre à ces ministres de publier la décision à intervenir au Journal officiel de la République française dans le délai de sept jours sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté ne comporte pas la signature de son auteur ;

- il est entaché d'erreurs de fait ;

- il est entaché d'erreur d'appréciation ;

- il est entaché de détournement de pouvoir ;

- il méconnaît le droit à un procès équitable consacré par l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît la présomption d'innocence ;

- il méconnaît la liberté de culte et d'expression ;

- il est discriminatoire ;

- il méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale consacré par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- il méconnaît le droit de propriété protégée par l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- il méconnaît la liberté d'association protégée par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 avril 2024 le ministre de l'intérieur et

des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. L... ne sont pas fondés.

La requête a été transmise au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a produit aucune observation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 ;

- la position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... ;

- et les conclusions de M. F..., rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 11 octobre 2021, pris sur le fondement des dispositions des articles

L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de l'intérieur ont imposé à M. L... une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et lui ont interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois. Par un jugement n° 2126514 dont il interjette régulièrement appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité.

2. Si M. L... fait valoir que les ministres ont fait preuve d'ingérence dans le pouvoir judiciaire et de brutalité procédurale, il ne peut être regardé, par cette affirmation contenue dans la partie de sa requête consacrée au " rappel des faits et de la procédure ", comme ayant soulevé un moyen, auquel le juge, à peine d'irrégularité, serait tenu de répondre.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration. ". Aux termes de l'article L. 773-9 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. / Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L.212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision. ".

4. L'arrêté en cause, pris pour des motifs liés à la prévention des actes de terrorisme, est au nombre des décisions pouvant faire l'objet d'une notification régulière sous la forme d'une ampliation anonyme, en application des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. En l'occurrence, le ministre de l'intérieur a produit le 20 juin 2022 dans le cadre de la première instance, dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, l'original de l'arrêté du 11 octobre 2021, revêtu de l'ensemble des mentions requises par le 1er alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et notamment de l'identité et de la signature de son auteur, lequel disposait d'une délégation pour le signer au nom du ministre. Par suite, le moyen soulevé par M. L... tiré de l'absence de signature de l'arrêté litigieux doit être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier : " Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : / 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent (...) ". Aux termes de l'article L. 562-1 du même code : " Pour l'application du présent chapitre, on entend par : / 1° " Acte de terrorisme " : les actes définis au 4o de l'article 1er du règlement (UE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; (...) ". Ces dispositions renvoient elles-mêmes à la définition qui figure à l'article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931/PESC, aux termes duquel : " Aux fins de la présente position commune, on entend par " acte de terrorisme ", l'un des actes intentionnels suivants, qui, par sa nature ou son contexte, peut gravement nuire à un pays ou à une organisation internationale, correspondant à la définition d'infraction dans le droit national, lorsqu'il est commis dans le but de : / i) gravement intimider une population, ou / ii) contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque, ou / iii) gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale : / a) les atteintes à la vie d'une personne, pouvant entraîner la mort ; / b) les atteintes graves à l'intégrité physique d'une personne ; / c) l'enlèvement ou la prise d'otage ; / d) le fait de causer des destructions massives à une installation gouvernementale ou publique, à un système de transport, à une infrastructure, y compris un système informatique, à une plate-forme fixe située sur le plateau continental, à un lieu public ou une propriété privée susceptible de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques considérables ; / e) la capture d'aéronefs, de navires ou d'autres moyens de transport collectifs ou de marchandises ; / f) la fabrication, la possession, l'acquisition, le transport, la fourniture ou l'utilisation d'armes à feu, d'explosifs, d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques ainsi que, pour les armes biologiques ou chimiques, la recherche et le développement ; / g) la libération de substances dangereuses, ou la provocation d'incendies, d'inondations ou d'explosions, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; /h) la perturbation ou l'interruption de l'approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; / i) la menace de réaliser un des comportements énumérés aux point a) à h) ; / j) la direction d'un groupe terroriste ; / k) la participation aux activités d'un groupe terroriste, y compris en lui fournissant des informations ou des moyens matériels, ou toute forme de financement de ses activités, en ayant connaissance que cette participation contribuera aux activités criminelles du groupe. ".

6. L'arrêté édictant la mesure de gel des avoirs de M. L..., président des associations cultuelles " Allonnaise pour le Juste Milieu " et " Al Qalam ", gestionnaires du lieu de culte " mosquée d'Allonnes " (Sarthe) est fondé sur les circonstances que les gestionnaires de la mosquée, dont le requérant, et les prédicateurs, ainsi que certains fidèles ou intervenants extérieurs, ont diffusé au sein de ce lieu une conception de l'islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les " mécréants français ", destinés à être combattus, légitimant le recours au djihad armé (guerre sainte), la mort en martyr ainsi que l'instauration de la charia (justice religieuse) et un rejet total de toute forme de pratique concurrente de l'islam, et ont diffusé un enseignement religieux notamment en légitimant des actes terroristes commis en France.

7. Il ressort des pièces du dossier que pour prendre la décision contestée de renouvellement de gel d'avoirs, le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ont pris en considération les éléments mentionnés dans deux " notes blanches " des services de renseignement. Aucune disposition législative, ni aucun principe ne s'opposent à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre de l'intérieur, qui ont été versées aux débats et soumises aux échanges contradictoires, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif dès lors que leur contenu peut être utilement contesté par tout élément tendant à établir l'inexactitude matérielle des faits qu'elles rapportent, leurs éventuelles contradictions ou leur imprécision.

8. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer produit ainsi deux notes des services de renseignement contenant notamment des propos réitérés et datés, prononcés par M. L... ou les gestionnaires de la mosquée d'Allonnes ou certaines personnes intervenant dans ce lieu du culte, placé sous son autorité, par lesquels est régulièrement rappelée l'importance du djihad, considéré comme un moyen d'humilier " les ennemis de l'islam ", est appelé à la " victoire des Musulmans " en opposant régulièrement ces derniers et les " mécréants ", et sont proférées des incitations à la haine envers les Juifs ou les Chrétiens et des apologies du djihad et de la charia.

9. Il ressort de ces notes que les principaux dirigeants des associations cultuelles mentionnées au point 6 du présent arrêt, dont M. L..., l'imam de la mosquée et la personne qui animait alors l'école coranique ont, selon le cas, justifié l'assassinat d'un enseignant en 2020 et celui d'une agente administrative en 2021, et énoncé, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo en 2020, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir. Ont également été tenus à de multiples reprises, par ces personnes, ainsi que par certains intervenants extérieurs, des propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en " martyr ". Par ailleurs, il est apparu que la mosquée gérée par les deux associations précitées dans lesquelles M. L... occupait un rôle majeur en sa qualité de président était fréquentée par des intervenants ou des fidèles appartenant à la mouvance islamiste radicale légitimant les attentats terroristes survenus en France, tenant des propos violents antisémites ou dirigés contre les femmes ou les homosexuels, et incitant à la commission d'actes de meurtre, ce que ne pouvaient ignorer les dirigeants des deux associations. Enfin, ont été découverts sur place, lors d'une perquisition réalisée le 12 octobre 2021, plusieurs ouvrages religieux se rattachant à une tradition intolérante et violente.

10. Si M. L... essaye de remettre en cause le contenu desdites notes blanches en produisant de nombreuses attestations de fidèles de la mosquée, dont deux sont d'ailleurs identifiés dans les " notes blanches " mentionnées, réfutant l'existence de prêches ou de propos à caractère radical, celles-ci soit émanent de personnes fréquentant de manière occasionnelle la " mosquée d'Allonnes ", soit sont rédigées en termes généraux, ne contiennent aucun élément précis relatif à une prise de position qui s'écarterait des propos mentionnés aux points 8 et 9 ci-dessus, ou les modérerait, et ne sont ainsi pas de nature à remettre en cause les éléments précis, concordants et situés dans le temps, relevés par l'administration et mentionnés aux points précédents. Si sont également produites des attestations de membres de la famille, de proches ou de tiers à la communauté de la " mosquée d'Allonnes ", y compris d'autorités publiques locales, faisant état des qualités professionnelles et humaines et de l'absence de tout propos radical de la part de M. L..., agent du service municipal de la jeunesse, titulaire d'une médaille d'honneur et invité es qualités à des réunions de responsables religieux en préfecture, et de l'implication des membres des deux associations précitées dans la vie de la collectivité locale et de leurs bonnes relations avec les représentants de la confession catholique, ces attestations sont sans incidence sur la réalité des propos tenus dans le cadre des activités de la " mosquée d'Allonnes ", mentionnés ci-dessus.

11. Par ailleurs, la circonstance qu'aucune décision judiciaire n'aurait été rendue à l'encontre de M. L... pour apologie du terrorisme est sans incidence sur la mesure de police administrative constituée par la décision litigieuse, qui a été prise en application des dispositions précitées des articles L. 562-1 et L. 562-2 du code des marchés financiers, qui n'ont pas d'autre finalité que la préservation de l'ordre public et la prévention des infractions, qui n'emportent aucune conséquence en matière de poursuites pénales et qui n'empiètent pas sur l'exercice des prérogatives de l'autorité judiciaire.

12. En outre, si M. L... soutient que les ouvrages retrouvés dans la bibliothèque de la mosquée dont l'ouvrage intitulé " Ryad es salihine - les jardins des vertueux ", la " voie du Musulman ", " le livre de l'unicité " et " Boulough al Maram " ne seraient pas des livres à contenu religieux radical, lesdits ouvrages étant en vente libre dans des librairies, d'une part, il ne conteste pas avoir pu disposer de ces ouvrages ainsi qu'en fait état la note des services de renseignement, et d'autre part, il ressort des éléments produits par le ministre de l'intérieur que ces ouvrages de morale islamique rédigés à partir des traditions prophétiques, constitués de compilations sans commentaires touchant tous les thèmes de la religion et comprenant notamment des chapitres faisant l'apologie du djihad comme facteur de rétablissement de la justice entre les hommes ou du martyre ainsi qu'une " entrée " sur l'interdiction de saluer en premier des non-Musulmans et les " infidèles ", sont notamment diffusés dans le cadre de l'enseignement dispensé par des cheikhs salafistes. Ils contiennent également des passages appelant à la haine et à la discrimination à l'égard des femmes, des Juifs, des Chrétiens ou des non-Musulmans, et des passages justifiant la lapidation des auteurs d'adultère et la mise à mort des apostats et des homosexuels, ces ouvrages fondant les messages diffusés par les imams. L'ensemble de ces ouvrages présente un contenu religieux violent, quelle que puisse en être donnée l'interprétation.

13. Enfin, il résulte des " notes blanches " précitées que l'enseignement dispensé au sein de l'école coranique, à raison d'une heure et demie chaque jour du mardi au vendredi auprès des enfants, ainsi qu'à raison de deux heures les mardis, jeudis et samedis auprès des adultes, et qui doit être distingué des cours d'arabe également dispensés, valorise également le djihad armé ainsi que la haine des Juifs et des homosexuels ce qui a conduit certains parents à se plaindre, en octobre 2020, des propos tenus par l'enseignant, qui a cependant été maintenu dans ses fonctions, le nouveau responsable de l'enseignement ayant en outre, en janvier 2021, manifesté son adhésion à ces propos. Les attestations produites par le requérant indiquant que l'enseignement dispensé est limité à des cours de langue arabe, rédigées en termes généraux, ne sont dès lors pas de nature à remettre en cause les éléments circonstanciés relevés par les services de renseignements.

14. Compte tenu des faits précités, il apparaît que M. L... a promu et laissé promouvoir une pratique rigoriste et radicale de l'islam et la supériorité des règles religieuses sur celles des lois de la République, appelé à la haine et à la discrimination de certaines personnes en justifiant des actes de guerre sainte allant jusqu'au meurtre, de nature à intimider une partie de la population française, à contraindre les pouvoirs publics français à commettre certains actes et, par suite, à déstabiliser gravement les structures politiques et sociales de l'Etat français, en conférant aux propos ainsi tenus, diffusés auprès d'un large public, le caractère d'incitation à des actes de terrorisme, sans qu'il soit besoin de déterminer une action terroriste précise déjà réalisée. Dans ces conditions, M. L... n'est pas fondé à soutenir que le ministre de l'économie et le ministre de l'intérieur auraient tenu des faits matériellement inexacts, commis une erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier ou un détournement de pouvoir.

15. En troisième lieu, le requérant observe que les " notes blanches " et la décision querellée tiennent pour établis les agissements à caractère terroristes, en dépit de toute condamnation en ce sens, ce qui procède d'une violation de la présomption d'innocence. Toutefois, eu égard à la nature préventive de la mesure en litige qui constitue une mesure de police administrative et ne revêt pas le caractère de sanction, M. L... ne peut utilement invoquer à l'encontre d'une telle mesure les principes constitutionnels régissant la matière répressive, dont le principe de la présomption d'innocence.

16. En quatrième lieu, le requérant ne saurait utilement invoquer à l'encontre d'une mesure de police administrative les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives aux droits de la défense. Par suite, le moyen doit être écarté.

17. En cinquième lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

18. D'une part, les conditions de publication d'un acte administratif étant par elles-mêmes sans influence sur sa légalité, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir du fait qu'ayant été publié au Journal officiel de la République française et pouvant, de ce fait, être consulté sur Internet, l'arrêté attaqué, qui les associe à des actes terroristes, porte atteinte à leur vie privée. D'autre part, il ressort de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016 qu'à l'exception du gel des avoirs appartenant à des personnes qui, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre les actes concernés par ces dispositions, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le législateur a prévu des mesures nécessaires et fixé des critères en adéquation avec l'objectif poursuivi. En l'espèce, l'arrêté attaqué n'a pas, compte tenu du but légitime de la mesure, de la nature des faits retenus à l'encontre de l'intéressé et de l'autorisation de dégel partiel qu'il était en droit de solliciter en application des dispositions de l'article L. 652-11 du code monétaire et financier dès l'édiction de la mesure de gel de ses avoirs, porté au droit de l'intéressé de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen doit être écarté.

19. En sixième lieu, aux termes de l'article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques susvisé : " 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ". Aux termes du 4 de l'article 5 du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Le comité fait part de ses constatations à l'Etat, partie intéressée, et au particulier ". Les ministres des finances et de l'intérieur ne s'étant pas fondés sur des faits matériellement inexacts pour prendre l'arrêté en litige, ainsi qu'il a été dit précédemment, et compte tenu de la nécessité que la décision de gel des avoirs financiers identifie la personne concernée, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la publication de cet arrêté porterait une atteinte à son honneur ou à sa réputation prohibée par les stipulations précitées du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, en tout état de cause, il résulte de l'article 5 du protocole facultatif précité que les constatations du Comité des droits de l'homme des Nations-Unies ne revêtent pas de caractère contraignant à l'égard de l'Etat auquel elles sont adressées. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que l'arrêté attaqué aurait méconnu ces constatations.

20. En septième lieu, le requérant soutient que cette mesure méconnaît sa liberté d'expression. Toutefois, contrairement à ce que soutient le requérant, la mesure de gel d'avoirs dont M. L... a fait l'objet n'a pas pour but de le priver de sa liberté d'expression politique, ni même de la restreindre, mais elle tend uniquement à prévenir la commission d'actes de terrorisme. En tout état de cause, et quand bien même la mesure contestée aurait pour effet de limiter concrètement les activités politiques qu'il mène sur le sol français, la liberté d'expression peut être légalement restreinte quand cette restriction, ce qui est le cas en l'espèce, constitue une mesure nécessaire à la prévention du crime.

21. En huitième lieu, compte tenu du but légitime de la mesure de gel des avoirs financiers visant le requérant, tiré du maintien de l'ordre public, de la préservation de la sécurité et de la sûreté publiques et de la prévention d'infractions en matière d'actes terroristes, et de la nature des faits retenus à l'encontre du requérant mentionnés aux points 8 à 14, M. L... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'association et à la liberté de culte garanties par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou serait discriminatoire.

22. En neuvième lieu, si les dispositions précitées de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier comportent une restriction à l'usage du droit de propriété, cette restriction est fondée sur un but légitime, tiré du maintien de l'ordre public, de la préservation de la sécurité et de la sûreté publiques et de la prévention d'infractions en matière d'actes terroristes. Une telle restriction est nécessaire afin d'atteindre efficacement le but poursuivi. En l'espèce, compte tenu de la nature des faits précédemment mentionnés, les restrictions à l'usage du droit de propriété des intéressés, pour une durée de six mois, prévues par la mesure de police litigieuse, ne présentent pas de caractère disproportionné aux buts poursuivis, au regard des stipulations des articles 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, d'autant plus qu'en application des dispositions de l'article L. 562-11 du même code, le requérant pouvait demander à disposer mensuellement d'une somme d'argent destiné à couvrir dans la limite des disponibilités de ses comptes bancaires, les frais courants du foyer familial et les frais d'assistance juridique. Par suite, ce moyen doit être écarté.

23. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. / 2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification. 3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante ".

24. D'une part, conformément à l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, toute limitation de l'exercice des droits et des libertés consacrés par la Charte doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à ces droits que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. D'autre part, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, constituent un objectif d'intérêt général de l'Union la lutte contre le terrorisme international en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi que la lutte contre la criminalité grave, afin de garantir la sécurité publique. Il suit de là que des données de la nature de celles utilisées dans les " notes blanches " peuvent être utilisées. En tout état de cause, si le requérant invoque une méconnaissance de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il n'apporte pas de précisions à l'appui de son argumentation qui permettrait d'en apprécier le bien-fondé.

25. Il résulte de tout ce qui précède que M. L... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, l'ensemble de ses conclusions doit être rejeté, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. L... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... L..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. E..., président,

- M. B..., premier conseiller.

- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 31 mai 2024.

La rapporteure,

H...Le président,

I...

La greffière,

G...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA02355 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02355
Date de la décision : 31/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. A...
Rapporteur ?: Mme B...
Rapporteur public ?: M. C...
Avocat(s) : L...

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-31;23pa02355 ?
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