Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile et d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale.
Par un jugement n° 2321866 du 2 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 8 septembre 2023 et a enjoint au préfet de police de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2023, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2321866 du 2 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en œuvre des articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013, dès lors que n'est pas établie l'existence de défaillances systémiques dans les procédures d'asile en Italie et que les autorités italiennes auraient décidé, de façon unilatérale et en violation du droit de l'Union, de refuser systématiquement d'appliquer les règles qui s'imposent à elles dans le cadre du règlement Dublin ;
- les autorités italiennes ont donné leur accord implicite qui a la même valeur qu'un accord explicite pour la mise en œuvre du règlement et oblige les autorités italiennes.
M. A..., à qui la requête a été communiquée, n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Hamdi a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant pakistanais, né le 20 juin 1997, entré irrégulièrement sur le territoire français, a sollicité, le 24 mai 2023, son admission au titre de l'asile. Après avoir été informé de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé que M. A... avait irrégulièrement franchi la frontière italienne le 14 avril 2023, le préfet de police a saisi, le 8 juin 2023, les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de M. A... sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités italiennes ayant implicitement accepté, le 9 août 2023, de le prendre en charge, le préfet de police a décidé le transfert de M. A... par un arrêté du 8 septembre 2023 dont M. A... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Paris. Le préfet de police fait appel du jugement du 2 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". Cette faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le règlement est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile.
3. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.
4. Pour annuler l'arrêté en litige comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations citées ci-dessus, affectant le refus de faire usage de la faculté d'instruire en France la demande d'asile de M. A..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé, d'une part, sur une circulaire du 5 décembre 2022, par laquelle la présidente du Conseil italien a annoncé à ses homologues européens une " suspension temporaire " des transferts à destination de l'Italie, en raison de motifs techniques liés à la saturation des centres d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, ce qui aurait pris effet dès décembre 2022 et, d'autre part, sur le risque que les autorités de ce pays ne l'autorisent pas à solliciter l'asile.
5. Toutefois, M. A..., qui se borne à invoquer la circulaire du 5 décembre 2022 précitée qui ne saurait, par elle-même, établir qu'il existerait en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, n'établit par aucun document, ni aucune précision, que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il serait personnellement exposé à un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en cas de transfert aux autorités italiennes. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur l'autre moyen soulevé par M. A... en première instance :
7. Si M. A... soutient qu'il se sent en danger en Italie, il n'assortit son moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, à supposer le moyen soulevé, le requérant n'est pas fondé à se prévaloir de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 8 septembre 2023. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2321866 du 2 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 septembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et
à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère président,
- Mme Boizot, première conseillère,
- Mme Hamdi, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 26 avril 2024.
La rapporteure,
S. HAMDILe président,
S. CARRERELa greffière,
C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04905