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23/04/2024 | FRANCE | N°22PA04329

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 23 avril 2024, 22PA04329


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2021 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'arrêté du même jour par lequel le préfet a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.



Par une ordonnance n° 2126757 du 14

décembre 2021, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Montre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2021 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'arrêté du même jour par lequel le préfet a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.

Par une ordonnance n° 2126757 du 14 décembre 2021, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Montreuil, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la demande de M. D....

Par un jugement n° 2117559 du 29 août 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 septembre 2022 et le 5 mars 2023, M. D..., représenté par Me Dalus, demande à la Cour :

1°) de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement ;

3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces deux arrêtés ;

4°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation et de mettre fin à son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué, qui ne répond pas au moyen tiré de l'absence de menace pour l'ordre public, ni ne prend en compte la circonstance qu'il a été placé sous contrôle judiciaire, est entaché d'irrégularité ;

- les décisions attaquées portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français ont été signées par une autorité incompétente ;

- elles sont entachées d'une insuffisance de motivation ;

- elles sont entachées d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 611- 1, L. 611-2, L. 612-1, L. 612-2, L. 612-3, L. 612-6 à L. 612-11, L. 614-1 et suivants, L. 711-1, L. 711-2, L. 721-3, L. 721-4 et L. 741-1 et suivants ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il entend solliciter le réexamen de sa demande d'asile ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il n'existe pas de risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement en litige ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et eu égard à ses attaches en France et à l'absence d'une précédente mesure d'éloignement ;

- les décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les observations de Me Dalus, avocat de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant turc, né le 12 décembre 1998 et entré en France, selon ses déclarations, en juin 2017, a été interpellé le 9 décembre 2021 et placé en garde à vue. Par un arrêté du 10 décembre 2021, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination. Par un arrêté du même jour, le préfet a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. M. D... fait appel jugement du 29 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur les conclusions à fin d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. M. D..., déjà représenté par un avocat, ne justifie pas du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle et n'a pas joint à sa requête une telle demande. Aucune urgence ne justifie que soit prononcée, en application des dispositions précitées, son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

4. Contrairement à ce que soutient le requérant, le jugement attaqué répond, à son point 16, au moyen qu'il a soulevé à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et tiré de ce que cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public. Par ailleurs, alors que l'intervention de l'arrêté du 10 décembre 2021 portant obligation de quitter le territoire français sans délai pris à l'encontre de M. D... n'a pas eu pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet de soustraire l'intéressé à l'exécution de la mesure de contrôle judiciaire dont il a fait l'objet postérieurement à cet arrêté, le tribunal administratif, en ne répondant pas à son argumentation tirée de l'existence de cette mesure de contrôle judiciaire, circonstance sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

5. En revanche, le jugement attaqué ne répond pas au moyen soulevé par M. D... à l'encontre de la décision portant refus de délai de départ volontaire et tiré de ce qu'en estimant que son comportement constituait une menace pour l'ordre public, le préfet a commis une erreur d'appréciation, moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation de cette décision portant refus de délai de départ volontaire.

6. Il y a lieu, pour la Cour, de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de M. D... tendant à l'annulation de la décision portant refus de délai de départ volontaire et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus des conclusions de sa requête.

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions attaquées portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et fixation du pays de destination :

7. En premier lieu, par l'article 14 de l'arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture, le préfet de police a donné délégation à M. F... E..., attaché principal d'administration de l'Etat, directement placé sous l'autorité de Mme B... C..., cheffe du 8ème bureau, pour signer tous arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions en cas d'absence ou d'empêchement de celle-ci, laquelle disposait elle-même d'une délégation de signature dans la limite de ses attributions en cas d'absence ou d'empêchement d'autres délégataires. Contrairement à ce que soutient le requérant, il n'appartient pas au préfet de police d'établir que la cheffe du 8ème bureau ou les autres délégataires auraient été absents ou empêchés à la date de la signature des trois décisions attaquées du 10 décembre 2021 et il ne ressort pas des pièces du dossier que cela n'aurait pas été le cas. Par ailleurs, la délégation de signature accordée à M. E... est suffisamment précise dès lors qu'elle est donnée dans la limite de ses attributions et que celui-ci est placé sous l'autorité de la cheffe du 8ème bureau de la préfecture qui, en vertu de l'article 16 de l'arrêté n° 2021-00355 du 26 avril 2021 du préfet de police, est chargée de l'instruction des décisions et mesures relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et, en particulier, des mesures d'éloignement des étrangers et de toutes décisions prises pour leur exécution. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des trois décisions contestées doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, les décisions contestées portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et fixation du pays de destination comportent les considérations de droit et de fait qui les fondent, et sont, par suite, suffisamment motivées.

9. En troisième lieu, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'avant de prendre les trois décisions en litige, le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D....

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Si M. D... allègue être entré en France le 1er juin 2017, il ne fournit aucune précision suffisante, ni aucun élément probant sur l'ancienneté et la continuité de son séjour sur le territoire avant l'année 2019 au cours de laquelle il a sollicité l'asile en déclarant être entré sur le territoire au mois de juin 2019. De même, il s'y est maintenu irrégulièrement après le rejet de sa demande d'asile par une décision du 17 juin 2020 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 19 mai 2021 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). De plus, s'il fait état de la présence en France de plusieurs membres de sa famille, notamment un frère, un oncle et une tante, il n'apporte aucune précision, ni aucun élément sur leur situation au regard du séjour, ni sur l'effectivité des liens qu'il entretiendrait avec eux. En outre, en se bornant à alléguer qu'il travaille comme " carreleur ", il ne justifie d'aucune insertion professionnelle sur le territoire. Par ailleurs, en alléguant être " objecteur de conscience " et en déclarant ne pas vouloir effectuer son service militaire en Turquie, sans apporter le moindre développement personnalisé, cohérent et vraisemblable sur cette objection de conscience, ni le moindre élément sur sa situation au regard de ses obligations militaires en Turquie, il ne justifie pas des craintes qu'il allègue en cas de retour dans son pays d'origine, alors qu'au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée. Enfin, le requérant, célibataire et sans charge de famille en France, n'établit, ni n'allègue sérieusement aucune autre circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie privée et familiale à l'étranger et, en particulier, en Turquie où résident ses parents et une grande partie de sa fratrie et où lui-même a vécu jusqu'à l'âge de vingt-ans, de sorte qu'il y dispose d'attaches personnelles et familiales au moins aussi fortes qu'en France. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conditions du séjour en France de l'intéressé et des liens qu'il a conservés dans son pays d'origine, les décisions contestées n'ont pas porté au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces mesures ont été prises. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces décisions sur sa situation personnelle doit également être écarté.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L.542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ". Aux termes de cet article L. 542-1 : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ".

13. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, du relevé des informations de la base de données " Telemofpra ", produit en défense par le préfet, et il n'est d'ailleurs pas contesté que la décision de la CNDA rejetant la demande d'asile de M. D... a été lue en audience publique le 19 mai 2021. Ainsi, en application des dispositions de l'article L. 542-1 précité, le droit de l'intéressé de se maintenir sur le territoire français a pris fin à cette date. Par suite, le préfet de police pouvait légalement, par son arrêté du 10 décembre 2021, l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 précité.

14. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement serait entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 611- 1, L. 611-2, L. 612-1, L. 612-2, L. 612-3, L. 612-6 à L. 612-11, L. 614-1 et suivants, L. 711-1, L. 711-2, L. 721-3, L. 721-4 et L. 741-1 et suivants, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée ou le bien-fondé.

15. En dernier lieu, la seule circonstance que M. D... entend solliciter le réexamen de sa demande d'asile et a ainsi obtenu un rendez-vous le 17 mars 2023 auprès du guichet unique de Bobigny est sans incidence sur la mesure d'éloignement du 10 décembre 2021, dont la légalité s'apprécie à la date de son édiction.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :

16. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; / (...) 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...) ".

17. Pour refuser à M. D... un délai de départ volontaire, le préfet de police a estimé que son comportement constituait une menace pour l'ordre public et qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet.

18. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été interpellé le 9 décembre 2021 et placé en garde à vue pour des faits, commis courant 2021 et jusqu'au 23 mai 2021 et dans la nuit du 22 au 23 mai 2021, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs actes de terrorisme, de tentative de dégradation ou détérioration du bien d'autrui par l'effet d'une substance explosive ou tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes en relation avec une entreprise terroriste et de dégradation du bien d'autrui en réunion et en relation avec une entreprise terroriste, faits qui lui ont valu d'être mis en examen et, par une ordonnance du 11 décembre 2021 de la vice-présidente chargé de l'instruction, placé sous contrôle judiciaire. Toutefois, alors que le requérant, qui bénéficie de la présomption d'innocence, nie les faits qui lui sont ainsi reprochés, le préfet de police ne fournit aucune précision suffisante, ni aucun élément probant de nature à démontrer que M. D... aurait commis ces faits. Dans ces conditions, en lui refusant un délai de départ volontaire au motif que son comportement constituait une menace pour l'ordre public, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

19. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet de police aurait pris la même décision de refus de délai de départ volontaire en se fondant sur les autres motifs de son arrêté, au demeurant non contestés, à savoir, notamment, que M. D..., qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et dont l'attestation de demande d'asile a expiré le 21 mai 2020, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour après le rejet de sa demande d'asile par une décision du 17 juin 2020 du directeur général de l'OFPRA, confirmée par une décision du 19 mai 2021 de la CNDA et qu'il a déclaré, lors de son audition par les services de police, ne pas vouloir repartir en Turquie. De plus, ainsi que le fait valoir en défense le préfet de police, sans être davantage contesté sur ce point, M. D... n'a pas été en mesure, lors de son interpellation et de sa garde à vue, de présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité. Au surplus, l'intéressé a également déclaré, lors de son audition, avoir travaillé sous couvert d'une fausse carte d'identité bulgare.

20. Par ailleurs, l'intervention de l'arrêté du 10 décembre 2021 portant obligation de quitter le territoire français sans délai pris à l'encontre de M. D... n'a pas eu pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet de soustraire l'intéressé à l'exécution de la mesure de contrôle judiciaire dont il a fait l'objet postérieurement à cet arrêté. L'existence d'une mesure de contrôle judiciaire est, par suite, sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux.

21. Dans ces conditions, le préfet de police, en estimant qu'il existait un risque que l'intéressé se soustraie à la mesure d'éloignement en litige et, en conséquence, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées du 3° de l'article L. 612-2 et de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :

22. D'une part, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.

23. D'autre part, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes des stipulations de cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

24. Ainsi qu'il a été dit au point 11, M. D..., dont la demande d'asile a été, au demeurant, rejetée, ne fournit aucune précision suffisante ou crédible, ni aucun élément probant sur les risques qu'il courrait en cas de retour dans son pays d'origine. En particulier, il ne livre aucun développement étayé, personnalisé et cohérent sur l'objection de conscience dont il se prévaut ou sur les motifs pour lesquels il refuserait d'effectuer son service militaire dans son pays d'origine, ni aucun élément sur sa situation au regard de ses obligations militaires en Turquie. Ainsi, il n'apporte aucun élément sérieux et convaincant permettant de considérer qu'il encourrait dans le cas d'un retour dans son pays d'origine, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, en décidant, par la décision attaquée, que l'intéressé pourra être éloigné d'office à destination de la Turquie, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations et dispositions précitées.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois :

25. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

26. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté du 10 décembre 2021 que, pour prononcer à l'encontre de M. D... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois, le préfet de police s'est fondé, notamment, sur la circonstance que sa présence en France représente une menace pour l'ordre public. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 18, le préfet de police n'apporte aucune précision suffisante, ni aucun élément probant de nature à démontrer que l'intéressé aurait commis les faits qui lui sont reprochés. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision d'interdiction de retour d'une durée de trente-six mois en se fondant seulement sur les autres motifs qu'il a retenus, en particulier le fait que M. D..., entré irrégulièrement sur le territoire français, n'établit pas l'ancienneté, l'intensité et la stabilité de liens personnels et familiaux en France. Par suite, en prononçant à l'encontre de M. D... une telle interdiction de retour, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant à l'encontre de cette décision, M. D... est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de cette interdiction de retour.

27. Il résulte de tout ce qui précède que si M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, ni à demander l'annulation de la décision portant refus de délai de départ volontaire, il est, en revanche, fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

28. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".

29. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 26, le présent arrêt n'implique pas nécessairement le réexamen par l'autorité préfectorale de la situation de M. D..., mais seulement l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de police de faire procéder à cet effacement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

30. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2117559 du 29 août 2022 du tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions du 10 décembre 2021 du préfet de police portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.

Article 2 : L'arrêté du 10 décembre 2021 du préfet de police prononçant à l'encontre de M. D... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de faire procéder à l'effacement du signalement de M. D... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Montreuil, tendant à l'annulation de la décision du 10 décembre 2021 du préfet de police portant refus de délai de départ volontaire, et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04329


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04329
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : DEVÈZE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;22pa04329 ?
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