La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2024 | FRANCE | N°22PA01467

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 02 avril 2024, 22PA01467


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société européenne (SE) Valtech a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de crédit d'impôt recherche mis à sa charge au titre de l'année 2009 et de réduire l'assiette de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011 à hauteur de 91 375 euros.

Par un jugement n° 2000718 du 1er février 2022, le tribunal, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence

des dégrèvements prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société européenne (SE) Valtech a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de crédit d'impôt recherche mis à sa charge au titre de l'année 2009 et de réduire l'assiette de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011 à hauteur de 91 375 euros.

Par un jugement n° 2000718 du 1er février 2022, le tribunal, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Valtech.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les

30 mars 2022, 7 septembre 2022 et 13 octobre 2022, la société Valtech, représentée par Me Elbaz, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000718 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Paris, en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de lui restituer les montants de crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2009 remis en cause par l'administration fiscale ou, subsidiairement, de réduire cette remise en cause à

81 089 euros ou à 410 190 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les opérations de vérification du crédit d'impôt recherche afférent à l'exercice clos en 2009 ont débuté avant l'envoi de l'avis de vérification complémentaire du 5 juillet 2013, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ; le jugement attaqué, en ce qu'il écarte ce moyen, est insuffisamment motivé et procède d'une dénaturation des faits et des pièces produites ;

- en s'abstenant de l'informer de la réitération, le 10 novembre 2014, de l'exercice de son droit de communication auprès d'EDF et de lui communiquer la réponse qui lui a été adressée le

17 novembre suivant, l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et entaché la procédure d'imposition d'une irrégularité substantielle ; en écartant ce moyen, le tribunal a inversé la charge de la preuve et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'interlocuteur départemental, dans son courrier du 23 décembre 2014, a modifié la base légale de la rectification portant sur les dépenses relatives au projet " Vulcain ", sans procéder à l'envoi d'une nouvelle proposition de rectification, et l'a ainsi privée de la possibilité de présenter des observations sur ce point, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ; en écartant ce moyen, le tribunal a commis une erreur de droit ; la circonstance que la réponse aux observations du contribuable du 22 octobre 2014 retienne l'inéligibilité du projet ne purge pas le vice de procédure soulevé, dès lors qu'elle ne permettait pas de présenter des observations en réponse ;

- la substitution de base légale opérée est intervenue postérieurement à l'expiration du droit de reprise de l'administration et est donc atteinte par la prescription ;

- le projet " Vulcain ", commandé par la Gendarmerie Nationale, entre dans les prévisions de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts, eu égard à son caractère innovant ; son éligibilité au crédit d'impôt recherche est confirmée par le rapport d'expertise établi par M. A..., le 6 février 2010, à la demande de l'organisme Oseo Financement, qui est opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; en application des principes dégagés par la décision Société Sopra Steria Group (Conseil d'Etat,

18 juin 2021, n° 433319), elle est fondée à intégrer dans la base de son crédit d'impôt recherche les dépenses de recherche engagées pour son propre compte dans le cadre du projet en cause ;

- s'agissant des modalités de calcul de son crédit d'impôt recherche, elle est fondée à invoquer la tolérance administrative énoncée au point 147 de l'instruction 4 A-1-00 du

21 janvier 2000, reprise au point 40 de la documentation 4 A-4122 du 9 mars 2001, au point 20 de l'instruction 4 A-10-08 n° 108 du 26 décembre 2008 et à la notice n° 2069-A-NOT relative aux déclarations de l'année 2009 ; le jugement attaqué, en ce qu'il écarte ce moyen, est insuffisamment motivé ; dès lors qu'elle justifie que ses clients Dassault Aviation, Alcatel Lucent, Manutan International, EDF et Michelin n'ont pas intégré les honoraires facturés par l'appelante dans les bases de leurs crédits d'impôt recherche respectifs, elle était en droit de les prendre en compte pour le calcul de son propre crédit d'impôt.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 juin 2022, 3 octobre 2022 et

25 octobre 2022, ce dernier non communiqué, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société Valtech n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marjanovic ;

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public ;

- et les observations de Me Elbaz, représentant la société Valtech.

Considérant ce qui suit :

1. La société Valtech, qui exerce une activité de conseil en systèmes et logiciels informatiques, a obtenu le 20 juillet 2010 le versement par le Trésor public d'une somme de 2 103 706 euros en remboursement du crédit d'impôt recherche au titre de l'exercice clos en 2009. Ce remboursement a ensuite été remis en cause par l'administration à hauteur de la somme de 1 033 420 euros, mise en recouvrement le 31 mars 2015. Par la présente requête, la société relève régulièrement appel du jugement du 1er février 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence des dégrèvements de

49 812 euros et 231 231 euros prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de la somme mise en recouvrement le 31 mars 2015.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Le jugement attaqué, à ses points 3 et 4, d'une part, et à ses points 15 et 16, d'autre part, énonce, avec une précision suffisante, les considérations de droit et de fait sur lesquelles le tribunal s'est fondé pour écarter respectivement le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales et le moyen fondé sur les dispositions de l'article L. 80 A du même livre. Par suite, la société Valtech n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé sur ces points.

4. D'autre part, les moyens tirés de l'inversion de la charge de la preuve, de l'erreur de droit, de l'erreur manifeste d'apprécition et de la dénaturation des pièces et faits du dossier par le tribunal critiquent non la régularité mais le bien-fondé du jugement. A supposer que la société Valtech ait entendu les soulever distinctement des moyens par lesquels elle met en cause la régularité de la procédure d'imposition et le bien-fondé des impositions, ils ne peuvent qu'être écartés comme inopérants eu égard à l'office du juge d'appel.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure en litige : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. (...) ". La vérification de comptabilité consiste à contrôler sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par un contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont l'administration prend alors connaissance et dont elle peut, le cas échéant, remettre en cause l'exactitude.

6. Il résulte de l'instruction que la société Valtech a été informée, par un avis de vérification du 14 mars 2013, reçu le 18 mars suivant, de l'engagement d'une procédure de vérification de comptabilité visant l'ensemble de ses déclarations fiscales et opérations susceptibles d'être examinées au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, et qu'à l'issue de la première intervention sur place effectuée le 4 avril 2013, la vérificatrice lui a adressé une liste de " documents juridiques ", " documents comptables " et " documents fiscaux " à fournir pour la suite du contrôle, incluant notamment, au titre de la dernière de ces catégories, " tous les dossiers de crédit impôt recherche depuis 2009 ". La société Valtech établit avoir, en réponse, adressé à la vérificatrice, le 29 avril 2013, par courriel, le " dossier relatif au CIR 2009 ", les pièces ainsi transmises se limitant toutefois au dossier de présentation de ses efforts de recherche et développement et aux rapports d'expertise commandés par l'organisme OSEO Financement au ministère de la recherche pour les dossiers de crédit d'impôt recherche de l'année 2009 des sociétés " Valtech SA " et " Valtech Agency ", auxquels n'était annexée aucune pièce tirée de la comptabilité de la société vérifiée. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment du document " Mise à disposition de l'administration de copies des fichiers des écritures comptables - Inventaire des copies mises à disposition " établi le 4 octobre 2013, que les copies des fichiers des écritures comptables de la société Valtech relatifs aux exercices 2008 et 2009 n'ont été remis qu'à cette date à la vérificatrice, soit postérieurement à la réception, le 9 juillet 2013, de l'avis de vérification complémentaire du 5 juillet 2013 l'informant de l'extension des opérations de vérification de comptabilité à l'ensemble de ses déclarations fiscales ou opérations susceptibles d'être examinées portant sur le crédit d'impôt recherche afférent à la période du 1er janvier 2009 au

31 décembre 2009. S'il est vrai que la proposition de rectification du 23 décembre 2013 reproduit plusieurs éléments figurant dans les documents transmis dès le 29 avril 2013 par la société Valtech, l'administration n'a pu se livrer, avant le 4 octobre 2013, à aucun examen critique de la sincérité des déclarations fiscales souscrites au regard des écritures comptables ou des pièces justificatives correspondantes. Il s'ensuit que la société Valtech n'est pas fondée à soutenir qu'en méconnaissance des dispositions rappelées au point précédent, l'administration aurait engagé une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 2009 préalablement à l'envoi de l'avis de vérification du 5 juillet 2013.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

8. Il ressort des termes du courrier du 2 décembre 2014, signé par le directeur fiscal du groupe EDF et versé au dossier de première instance, que l'administration fiscale a exercé auprès de ce client de la société Valtech " un second droit de communication en date du 10 novembre 2014 ", soit après la proposition de rectification, du 23 décembre 2013, et la réponse aux observations du contribuable, du 22 octobre 2014, et qu'il y a été " répondu le 17 novembre 2014 " par l'indication que les prestations facturées par cette dernière société n'avaient pas été retenues dans la détermination du crédit d'impôt recherche de ce groupe pour l'année 2009. Toutefois, par courrier du 8 décembre 2014, l'administration a rejeté le recours hiérarchique de la contribuable au motif que " la non prise en compte par certains clients des dépenses dans leur propre crédit d'impôt ne saurait suffire pour invalider la position du service dès lors que le législateur n'avait pas invoqué cette condition ". La réponse précitée, que l'administration soutient au demeurant n'avoir pas reçu, n'a ainsi pas été utilisée pour confirmer les rectifications notifiées à la société Valtech. Au surplus, celle-ci, qui a été destinataire du courrier précité du directeur fiscal du groupe EDF en date du

2 décembre 2014, n'établit pas, en tout état de cause, avoir saisi l'administration fiscale, préalablement à l'émission, le 31 mars 2015, de l'avis de mise en recouvrement des impositions litigieuses, d'une demande de communication de la réponse, évoquée ci-dessus, faite au service par ce même directeur le 17 novembre 2014. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu ses obligations d'information et de communication découlant des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales citées au point précédent en s'abstenant de l'informer de l'existence d'une nouvelle demande adressée à la société EDF et de lui communiquer la réponse de cette société.

9. En troisième lieu, cependant, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". L'article R. 57-1 du même livre dispose : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'à la suite d'une première proposition de rectification et avant mise en recouvrement, l'administration modifie la base légale des rectifications qu'elle envisage, elle doit, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, en informer le contribuable par la notification d'une nouvelle proposition de rectification ou, si cette modification intervient dans la réponse à ses observations, en accordant au contribuable un nouveau délai de trente jours pour lui permettre de formuler ses observations.

10. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le service vérificateur, dans la proposition de rectification du 23 décembre 2013, a fondé la rectification concernant le projet " Vulcain ", mené par la société Valtech à la demande de la Gendarmerie Nationale, sur les dispositions du III de l'article 244 quater B du code général des impôts, faisant obstacle à la double déduction des dépenses facturées par les prestataires de recherche agréés à leurs clients. S'il soulignait par ailleurs qu'il pouvait " légitimement s'interroger sur l'éligibilité au crédit impôt recherche des travaux relatifs [à ce] projet ", une telle mention ne peut, ainsi formulée, être regardée comme un motif subsidiaire fondant également la proposition de rectification. Or, bien que, dans sa réponse aux observations du contribuable du 22 octobre 2014, l'administration ait indiqué qu'elle " maintient sa position quant à l'inégibilité du projet Vulcain au crédit d'impôt recherche ", la mention selon laquelle les dépenses engagées au titre de ce projet " ne sont pas admises dans la base du CIR 2009 de la société Valtech sur les fondements des articles 244 quater B et 49 septiès F de l'annexe III au code général des impôts qui définit les opérations de recherche " révèle l'adoption d'une nouvelle base légale à la rectification concernée. Par suite, elle devait accorder au contribuable un nouveau délai de trente jours pour lui permettre de formuler ses observations sur ce point. Or si cette réponse impartissait à la contribuable un délai de trente jours pour adresser ses " éventuelles observations ", cette invitation visait expressément les seules " sanctions fiscales qui sont mentionnées " et ne peut, dès lors, être regardée comme lui ayant accordé un nouveau délai de trente jours pour présenter des observations sur la nouvelle base légale fondant la rectification en litige. Dans ces conditions, la société Valtech est fondée à soutenir que l'exclusion, de la base de calcul de son crédit d'impôt recherche pour l'année 2009, des dépenses relatives au projet " Vulcain " est intervenue au terme d'une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé des impositions :

11. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies, 44 duodecies, 44 terdecies et 44 quater decies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. / Le taux de 30 % mentionné au premier alinéa est porté à 50 % et 40 % au titre respectivement de la première et de la deuxième année qui suivent l'expiration d'une période de cinq années consécutives au titre desquelles l'entreprise n'a pas bénéficié du crédit d'impôt (...). / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique (...) b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations (...) c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel mentionnées à la première phrase du b ; (...) d) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche publics (...) d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche (...) d ter) Les dépenses mentionnées aux d et d bis entrent dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche dans la limite globale de deux millions d'euros par an. Cette limite est portée à 10 millions d'euros pour les dépenses de recherche correspondant à des opérations confiées aux organismes mentionnés aux d et d bis, à la condition qu'il n'existe pas de lien de dépendance au sens des deuxième à quatrième alinéas du 12 de l'article 39 entre l'entreprise qui bénéficie du crédit d'impôt et ces organismes. (...) / III. Les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables. Il en est de même des sommes reçues par les organismes ou experts désignés au d et au d bis du II, pour le calcul de leur propre crédit d'impôt. (...) ".

12. Pour l'application de ces dispositions, l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, précise que : " (...) sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".

13. Il résulte des dispositions rappelées ci-dessus que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit. S'agissant des organismes de recherche sous-traitants, ils ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche, même lorsque ces dépenses ne seraient pas effectivement prises en compte dans l'assiette du crédit d'impôt recherche de l'entreprise donneuse d'ordre, soit par l'effet des règles de plafonnement prévues à ce même d bis et au d ter du même II, soit du fait d'une renonciation volontaire au bénéfice du crédit d'impôt auquel cette dernière pourrait prétendre.

14. En revanche, lorsqu'un tel organisme engage des dépenses de recherche pour son propre compte, y compris dans l'hypothèse où elles sont suscitées par l'exécution de prestations pour le compte d'un tiers dont l'objet ne porte pas sur la réalisation d'opérations de recherche, cet organisme peut inclure ces dépenses dans la base de calcul de son crédit d'impôt si elles satisfont aux exigences posées par l'article 244 quater B du code général des impôts, sans que ces dispositions ne lui imposent de déduire de cette assiette les sommes facturées au bénéficiaire des prestations, qui ne constituent pas, pour ce dernier, des dépenses éligibles à ce crédit d'impôt.

15. D'une part, il ressort de la réponse aux observations du contribuable du 22 octobre 2014 que les prestations facturées à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes ont, en définitive, été extournées de la base des rectifications maintenues par le service, au motif que cet organisme n'était pas susceptible de bénéficier en propre d'un crédit d'impôt recherche. Dès lors, la contestation de la société appelante relative aux dépenses correspondantes est sans objet et doit être écartée.

16. D'autre part, il résulte de ce qui est rappelé au point 13 du présent arrêt, et n'est d'ailleurs pas contesté par la société Valtech, que les dépenses qu'elle a exposées pour réaliser les prestations qui lui ont été commandées par ses clients Alcatel-Lucent, Dassault Aviation, EDF NR France, Manutan International et Groupe Michelin, lesquels entrent dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche, ne peuvent, sur le terrain de la loi fiscale, être incluses dans la base de calcul de son propre crédit d'impôt recherche.

17. Toutefois, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ".

18. Sur le fondement des dispositions citées au point précédent, la société Valtech se prévaut des énonciations du point 147 de l'instruction référencée 4 A-1-00 du 21 janvier 2000, publiée au Bulletin officiel des impôts du 8 février 2000, selon lesquelles : " Si l'entreprise qui a acquitté ces travaux de recherche ne bénéficie pas elle-même du crédit d'impôt recherche (en l'absence d'option par exemple), il convient à l'organisme de recherche de prendre les sommes correspondantes en compte pour le calcul de son propre crédit d'impôt ".

19. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des énonciations non contestées de la proposition de rectification du 23 décembre 2013, que la société Valtech, qui était déficitaire en 2009, a sollicité le remboursement d'un crédit d'impôt recherche au titre de cette année 2009, en déposant une déclaration 2069 A, et a obtenu ce remboursement le 20 juillet 2010 par un versement du Trésor public d'un montant de 2 228 179 euros. Par une proposition de rectification du

23 décembre 2013, l'administration fiscale a remis en cause ce remboursement à hauteur de 1 840 751 euros et, le 31 mars 2015, a procédé à la mise en recouvrement à ce titre de la somme de 1 033 420 euros. L'administration fiscale a ensuite procédé à deux dégrèvements à hauteur de, respectivement, 49 812 et 231.231 euros, et a maintenu 752 377 euros à la charge de la société. Une telle remise en cause par l'administration fiscale d'un crédit d'impôt, par la mise en recouvrement de tout ou partie du montant qu'elle avait remboursé au contribuable, constitue un rehaussement au sens et pour l'application des dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales citées au point 17, dans la limite du montant mis en recouvrement et demeuré à la charge du contribuable.

20. D'autre part, il est vrai que, postérieurement à cette instruction, l'article 45 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004 a modifié l'article 244 quater B du code général des impôts en plafonnant, au d ter) du II de cet article, à deux millions d'euros par an le montant des dépenses exposées pour la réalisation d'opérations confiées à des organismes de recherche publics ou à des universités ou encore à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche qui peuvent être prises en compte dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche. Contrairement à ce que soutient la société appelante, la tolérance administrative énoncée au point 147 de l'instruction 4 A-1-00 du 21 janvier 2000 ne peut être regardée comme ayant été reprise au point 20 de l'instruction 4 A-10-08 n° 108 du 26 décembre 2008, pas davantage, en tout état de cause, que par la notice n° 2069-A-NOT relative aux déclarations de l'année 2009. Dans ces conditions, la doctrine contenue dans l'instruction du 21 janvier 2000, qui ne pouvait envisager cette hypothèse, est devenue caduque à compter de l'entrée en vigueur des dispositions issues de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004 pour ce qui concerne les dépenses qui n'ont pas été effectivement prises en compte dans l'assiette du crédit d'impôt recherche de l'entreprise donneuse d'ordre par l'effet des règles de plafonnement prévues au d bis et au d ter du II de l'article 244 quater B. En revanche, contrairement à ce que soutient l'administration, ces dispositions législatives n'ont pas eu pour effet d'entraîner la caducité de la doctrine pour les dépenses qui n'ont pas été effectivement prises en compte dans la même assiette du fait d'une renonciation volontaire de l'entreprise donneuse d'ordre au bénéfice du crédit d'impôt auquel elle pouvait prétendre, de sorte qu'elle n'a été rapportée qu'en raison de son absence de reprise par le bulletin officiel des finances publiques - impôts le 12 septembre 2012. Il suit de là que la société appelante est fondée à s'en prévaloir seulement pour autant qu'il résulte de l'instruction que ses donneurs d'ordre se sont abstenus d'intégrer les dépenses litigieuses dans la base de calcul de leurs crédits d'impôt recherche respectifs pour un motif autre que le dépassement du plafond.

21. Il résulte de l'instruction que, s'agissant des dépenses exposées pour son client Dassault Aviation, ainsi que le fait valoir l'appelante, l'administration s'est prévalue, dans sa réponse du

22 octobre 2014 aux observations du contribuable, de ce qu'elle l'avait informée de la réponse donnée par cette société dans le cadre du droit de communication, selon laquelle elle n'aurait pas revendiqué de dépenses au titre du crédit d'impôt recherche de 2009. S'agissant des dépenses exposées pour son client Alcatel-Lucent, l'appelante justifie avoir interrogé les reponsables comptables et fiscaux de l'entreprise, qui lui ont répondu que celle-ci n'avait pas bénéficié du crédit d'impôt recherche en 2009 et 2010. Dans ces conditions, eu égard aux montants considérés, et alors que l'administration peut aisément apporter la preuve contraire, la société appelante doit être regardée comme établissant entrer dans les prévisions de la doctrine qu'elle invoque, s'agissant des travaux de recherche effectués pour ces deux clients. Tel n'est pas le cas, en revanche, pour ses clients Manutan International, pour lequel elle se prévaut seulement de ce qu'aucune mention d'un crédit d'impôt recherche n'apparaît dans les comptes publiés par la société, et Michelin, pour lequel elle n'apporte aucun élément.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens se rapportant au projet " Vulcain ", que la société Valtech est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a refusé de réintégrer dans la base de calcul de son crédit d'impôt recherche au titre de l'exercice 2009 les dépenses facturées à la Gendarmerie Nationale au titre du projet " Vulcain " ainsi que celles facturées à ses clients Alcatel-Lucent et Dassault Aviation.

Sur les frais liés au litige :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Valtech au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les dépenses facturées par la société Valtech à la Gendarmerie Nationale au titre du projet " Vulcain ", ainsi que celles facturées à ses clients Alcatel-Lucent et Dassault Aviation sont réintégrées dans la base de calcul de son crédit d'impôt recherche au titre de l'exercice 2009.

Article 2 : La société Valtech est déchargée des montants de crédit d'impôt recherche, résultant de la modification de la base de calcul mentionnée à l'article 1er, dont le remboursement a été remis en cause par l'administration fiscale par un avis de mise en recouvrement du 31 mars 2015 et qui sont demeurés à la charge de la société.

Article 3 : Le jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société Valtech une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Valtech est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société européenne Valtech et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur régional du contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- M. Marjanovic, président assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 2 avril 2024.

Le rapporteur,

V. MARJANOVICLa présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 22PA01467


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01467
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Vladan MARJANOVIC
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : ELBAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;22pa01467 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award