Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'annuler l'arrêté du 15 mai 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français, l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune de Guillestre et l'arrêté du 13 novembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune d'Embrun.
Par un jugement nos 2012942, 2016540 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire complémentaire enregistrées le 9 août 2021, le 5 juillet 2022 et le 15 juin 2023, M. D... E... B..., représenté par Me Oloumi, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement nos 2012942, 2016540 du 6 juillet 2021 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 15 mai 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français ;
4°) d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune de Guillestre ;
5°) d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune d'Embrun ;
6°) d'enjoindre au préfet compétent de renouveler son titre de séjour au titre de l'asile ;
7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros, à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat ou à lui verser directement sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative si l'aide juridictionnelle ne lui est pas accordée.
Il soutient que :
S'agissant de l'arrêté du 15 mai 2020 prononçant son expulsion du territoire français :
- il porte une atteinte disproportionnée à son droit à sa vie privée et familiale et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est insuffisamment motivé au regard de l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- il est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation à cet égard ;
- il méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- il ne peut faire l'objet d'une expulsion vers la Russie ;
S'agissant de l'arrêté du 31 juillet 2020 portant assignation à résidence :
- les premiers juges n'ont pas apprécié la proportionnalité de la décision, laquelle l'assigne à résidence à 11 heures de transport en commun de sa famille ;
S'agissant de l'arrêté du 13 novembre 2020 portant assignation à résidence :
- le jugement ne pouvait rejeter les conclusions dirigées contre cette décision comme dépourvue de moyens dès lors que cette décision est la même que la décision d'assignation à résidence du 31 juillet 2020.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par une lettre du 19 février 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que l'arrêté du 13 novembre 2020 ayant été notifié le 16 novembre 2020 avec la mention des voies et délais de recours, les conclusions à fin d'annulation de cet arrêté, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Paris le 31 mai 2021, sont tardives et donc irrecevables.
Par une décision du 20 mars 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. B....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. N...,
- les conclusions de M. T..., rapporteur public,
- et les observations de Me Oloumi, représentant M. B....
Une note en délibéré a été présentée pour M. B... le 12 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe d'origine tchétchène né le 6 septembre 1993, est entré en France le 18 mai 2001 et a obtenu le statut de réfugié le 5 octobre 2009. Le 23 juin 2017, il a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis avec mise à l'épreuve pendant une durée de trois ans pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Par des décisions du 19 novembre 2018 et du 31 juillet 2020, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis fin à son statut de réfugié. Ces décisions ont fait l'objet de recours devant la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 15 mai 2020, le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français. Par un arrêté du 31 juillet 2020, le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune de Guillestre. Par un arrêté du 13 novembre 2020, le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le département des Hautes-Alpes dans les limites de la commune d'Embrun. M. B... relève appel du jugement du 6 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces trois arrêtés.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. (...) ".
3. Par une décision du 20 mars 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande de M. B.... Par suite, il n'y a pas lieu de prononcer l'admission provisoire de l'intéressé au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la régularité du jugement en ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 novembre 2020 :
4. Pour rejeter comme irrecevables les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 13 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a estimé que M. B... n'avait formulé aucun moyen propre à l'encontre de cette décision.
5. M. B... soutient que les conclusions ainsi que les moyens dirigés contre la décision du 31 juillet 2020 doivent être regardés comme dirigées contre la décision du 13 novembre 2020 dès lors que la seconde décision a retiré la première et que les deux décisions ont la même portée.
6. Outre que l'arrêté du 13 novembre 2020 n'a pas retiré l'arrêté du 31 juillet 2020 et que ces deux décisions, la première l'assignant à résidence dans les limites de la commune de Guillestre et la seconde l'assignant à résidence dans les limites de la commune d'Embrun, n'ont pas la même portée de sorte que le requérant n'est ainsi pas fondé à soutenir que les premiers juges auraient dû regarder comme dirigés contre la seconde décision les moyens dirigés contre la première décision, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée, qui indiquait les voies et délais de recours, a été régulièrement notifiée à l'intéressé le 16 novembre 2020 de sorte que les conclusions aux fins d'annulation de cette décision, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Paris le 31 mai 2021, sont tardives et doivent être en tout état de cause rejetées, l'article R. 421-1 du code de justice administrative disposant que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ".
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'arrêté du 15 mai 2020 prononçant son expulsion :
7. En premier lieu, M. B... reprend en appel, sans apporter d'éléments nouveaux pertinents, les moyens selon lesquels l'arrêté contesté est insuffisamment motivé et est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, en particulier s'agissant de l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs de nationalité française. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 4 et 5 de leur jugement.
8. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
9. M. B... se prévaut de l'ancienneté de son séjour en France et de la circonstance que son épouse, ressortissante française, et leurs enfants mineurs également de nationalité française, résident à Nice. Toutefois, eu égard à la nature et à la gravité des faits reprochés à M. B... et mentionnés au point 7 du jugement attaqué, l'intéressé ne contestant au demeurant qu'une partie des faits sans apporter d'éléments probants, quand bien même le juge pénal n'a pas prononcé de mesure d'interdiction judiciaire du territoire à son encontre, le ministre de l'intérieur n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi et n'a pas davantage méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Sont à cet égard inopérants la délivrance de sauf-conduits en 2022 et en 2023 pour aller voir sa famille à Nice et les jugements du tribunal correctionnel de Nice des 26 septembre 2022 et du 19 mars 2023, tous éléments postérieurs à la décision contestée. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées doivent être écartés.
10. En dernier lieu, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il ne peut être expulsé vers la Russie dès lors que la décision ne fixe pas de pays d'expulsion.
En ce qui concerne l'arrêté du 31 juillet 2020 l'assignant à résidence :
11. M. B... soutient que cet arrêté porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de ses enfants dès lors que son lieu d'assignation à résidence se situe à onze heures de transports en commun de sa famille. Toutefois, le ministre de l'intérieur indique, sans être contesté, que le choix du lieu d'assignation est motivé par la nécessité de tenir M. B... éloigné des individus appartenant à la mouvance djihadiste radicale implantés dans la région de Nice avec lesquels il est resté en contact tout en permettant à son épouse et à ses enfants de lui rendre visite régulièrement, permettant ainsi de concilier la préservation de l'ordre public avec son droit à sa vie privée et familiale. Par suite, le ministre de l'intérieur n'a pas en l'espèce porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi et n'a pas davantage méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées au point 8 doivent être écartés.
12. Il résulte de ce qui précède, et en l'état des moyens soulevés, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 15 mai 2020 prononçant son expulsion du territoire français et de l'arrêté du 31 juillet 2020 l'assignant à résidence. Il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 13 novembre 2020 l'assignant à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. S..., président de chambre,
- M. C..., président-assesseur,
- M. N..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.
Le rapporteur,
N...Le président,
J. S...
La greffière,
Y. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04590 2