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05/03/2024 | FRANCE | N°23PA04994

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 05 mars 2024, 23PA04994


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 par lequel le ministre de l'intérieur a pris à son encontre une interdiction administrative du territoire.



Par un jugement n°2307995/3-1 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.





Procédure devant la Cour :



Par un recours, enregistré le 5 décembre 2023, le ministre de l'int

érieur et des outre-mer demande à la Cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 3 octobre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 par lequel le ministre de l'intérieur a pris à son encontre une interdiction administrative du territoire.

Par un jugement n°2307995/3-1 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 5 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 3 octobre 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que la présence de M. A... en France constituerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Wolsey, demande à la Cour :

1°) de rejeter le recours du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens du recours ne sont pas fondés ;

- il est victime d'un traitement discriminatoire contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par comparaison avec les citoyens français qui tiennent les mêmes positions que lui, sans être inquiétés ;

- il ne trouble pas l'ordre public ;

- l'arrêté en litige repose sur une erreur d'appréciation ;

- cet arrêté est entaché d'un vice de forme au regard du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en ce qu'il ne comporte ni la signature, ni la mention des nom, prénom et qualité de son auteur, alors que n'étant pas fondé sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme, il n'entre pas dans le champ de l'exception prévue au second alinéa du même article ;

- l'auteur de cet arrêté n'avait pas compétence pour prendre une telle mesure.

Un mémoire a été présenté par le ministre de l'intérieur et des outre-mer le 9 février 2024, et n'a, en application des articles L. 773-9 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, pas été soumis au contradictoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant belgo-israélien, né le 28 février 1977, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 par lequel le ministre de l'intérieur a pris à son encontre une interdiction administrative du territoire. Le ministre fait appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Sur le recours du ministre de l'intérieur :

2. Aux termes de l'article L. 321-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France ". Aux termes de l'article L. 222-1 du même code : " L'étranger dont la situation est régie par le présent livre peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet de la décision d'interdiction administrative du territoire prévue à l'article L. 321-1 lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. ".

3. Il ressort des motifs de l'arrêté en litige, que pour prendre l'interdiction administrative du territoire, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le " contexte actuel de menace terroriste particulièrement élevée ", et a estimé, en illustrant la motivation de sa décision de nombreux exemples, que M. A... a tenu des propos diffamatoires et outrageants à l'encontre des représentants et dirigeants de l'Etat, ainsi que de plusieurs chercheurs français en sciences humaines, et que " les nombreuses publications de l'intéressé sur les réseaux sociaux, sous couvert de débattre de thématiques historiques et culturelles, sont de nature à inciter au repli communautaire, voire à la haine et à la violence à l'encontre des institutions et des courants religieux (qu'il) estime contraires aux préceptes de l'islam. ".

4. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif qui a regardé les faits relevés par le ministre de l'intérieur comme établis, a estimé que M. A... dont le casier judiciaire est vierge, démontrait que ses propos ne dépassaient pas les limites de la liberté d'expression, participaient du débat d'opinion en relevant d'une idéologie politique, et n'étaient ni violents ni menaçants. Le tribunal en a déduit que les faits reprochés à M. A... ne sont pas constitutifs d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 222-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de la " note blanche " établie par les services de renseignement et produite par le ministre, que, par ses comptes sur les réseaux sociaux, sur le site Internet " Islamologues de France " et sur le blog " Histoire d'islam ", M. A... a publié en grand nombre des propos, dont certains outranciers, sur l'actualité nationale et internationale, ainsi que sur l'histoire de la civilisation musulmane, tendant, y compris explicitement, à imposer l'idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que certains chercheurs français en sciences humaines seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l'antisémitisme pour nuire aux musulmans.

6. Il ressort en outre de l'annexe 5 de la même " note blanche ", que M. A... a adressé, le 14 octobre 2020, via les réseaux sociaux, des messages de soutien au président de l'association " Barakacity ", dont de nombreuses publications sur les mêmes réseaux, comportant des propos particulièrement polémiques sur des événements de l'actualité nationale et internationale, en particulier au Proche-Orient, ont suscité des commentaires ouvertement antisémites, incitant à la violence et au meurtre voire y appelant parfois directement, ou des propos faisant l'apologie de crimes contre l'humanité, sans que ni l'association " Barakacity ", ni M. A... ne tentent de les contredire. L'association " Barakacity " a d'ailleurs été ultérieurement dissoute par un décret du 28 octobre 2020, au motif que ses agissements étaient de nature à provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une religion ou à propager des idées ou théories tendant à les justifier ou les encourager.

7. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que, contrairement à ce que le tribunal administratif a estimé, les agissements de M. A... constituent du point de vue de l'ordre et de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.

8. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. A... :

9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration. " En vertu de l'article L. 773-9 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. / Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L.212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision ".

10. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige qu'il est fondé, notamment, sur le " contexte actuel de menace terroriste particulièrement élevée ". Ainsi, il entrait, contrairement à ce que soutient M. A..., dans le champ du second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, cité ci-dessus. M. A... ne saurait donc se plaindre de ce que seule une ampliation de cet arrêté ne faisant pas apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, lui a été notifiée.

11. Il ressort en outre des pièces produites par le ministre de l'intérieur, par un mémoire distinct en application des articles L. 773-9 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, que l'original de l'arrêté en litige comporte la signature, le prénom, le nom et la qualité de son signataire en caractères lisibles. De plus, le signataire de cet arrêté, agent du ministère de l'intérieur, bénéficie d'une délégation de signature à l'effet de signer, notamment, les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la réglementation relative à l'éloignement et à l'interdiction du territoire des ressortissants étrangers pour des motifs d'ordre public. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige manquent en fait et doivent donc être écartés.

12. En deuxième lieu, eu égard aux agissements en cause, les moyens tirés de l'atteinte disproportionnée que la mesure d'interdiction administrative du territoire porterait à la liberté d'expression garantie par la Constitution et par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

13. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 à 7 ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à se plaindre du caractère, selon lui, disproportionné de la mesure d'interdiction administrative du territoire.

14. En dernier lieu, compte tenu de la différence de situations qui sépare les étrangers des ressortissants français, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il serait victime d'un traitement discriminatoire.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 mars 2022.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2307995/3-1 du tribunal administratif de Paris du 3 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2024.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23PA04994


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04994
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : WOLSEY

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;23pa04994 ?
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