Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... alias B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2022 par lequel le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours à compter de sa notification, en fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2303876/8 du 7 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis provisoirement M. A... alias C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, d'autre part, annulé l'arrêté du 30 décembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de renvoi, en outre, rejeté les conclusions de M. A... alias C... tendant au versement d'une somme au bénéfice de Me Victor, son conseil, en application de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991, en disant toutefois que, dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à titre définitif à M. A... alias C... par le bureau d'aide juridictionnelle, l'Etat versera à M. A... alias C... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête n° 23PA01860, enregistrée le 4 mai 2023, M. A... alias C..., représenté par Me Victor, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat, s'agissant de la première instance, le versement à son conseil, Me Victor, de la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du
10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, s'agissant de la présente instance, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'article 3 du jugement, en ce qu'il limite l'octroi des frais irrépétibles à la
non-obtention de l'aide juridictionnelle est un contournement de la règle prévue à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 selon laquelle la somme allouée au titre de ces frais, si elle est octroyée, ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50% ;
- la demande de frais irrépétibles de son conseil était justifiée par le travail réalisé et le temps passé concernant son affaire ;
- il a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 septembre 2023.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II. Par une requête n° 23PA01899 enregistrée le 5 mai 2023, le préfet de police de Paris demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par M. A... alias C... et tendant à l'annulation de la décision fixant l'Afghanistan comme pays de renvoi ;
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que, d'une part, le certificat médical du
20 février 2023 relatif à l'état de santé de M. A... alias C... sur lequel s'est fondé le magistrat désigné et, d'autre part, le mémoire enregistré le 21 mars 2023 pour M. A... alias C..., visé dans le jugement attaqué, ainsi que les pièces qui y auraient été éventuellement jointes, ne lui ont pas été communiqués, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- c'est à tort que le premier juge a annulé la décision fixant le pays de destination au motif qu'elle méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé n'ayant pas démontré être exposé de façon suffisamment personnelle et certaine à des risques de traitements contraires à ces dispositions ;
- c'est également à tort que le premier juge a, en conséquence de cette annulation, condamné l'Etat à verser à M. A... alias C... la somme de 1 000 euros sous réserve que l'aide juridictionnelle ne lui aurait pas été accordée à titre définitif par le bureau de l'aide juridictionnelle ;
- il se réfère, s'agissant des autres moyens soulevés par M. A... alias C... en première instance et dirigés contre la décision fixant le pays de destination, à ses écritures de première instance.
La requête a été communiquée à M. C... alias A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu l'attestation de concordance des noms établie par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... alias C..., ressortissant afghan, a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par décision du 15 avril 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 11 février 2021. Il a formé une demande de réexamen qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité de l'OFPRA du 10 juin 2022, notifiée le 13 juillet 2022, confirmée par décision de la CNDA du 8 novembre 2022. M. A... alias C... ne bénéficiant plus du droit de se maintenir sur le territoire français, le préfet de police de Paris l'a, par arrêté du
30 décembre 2022, obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, en fixant le pays de destination. Saisi par M. A... alias C... d'une demande d'annulation de cet arrêté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a, par un jugement n° 2303876/8 du 7 avril 2023, après avoir admis provisoirement M. A... alias C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, annulé l'arrêté du 30 décembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de renvoi, rejeté les conclusions de M. A... alias C... tendant au versement d'une somme au bénéfice de Me Victor, son conseil, présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991 et subordonné le versement par l'Etat d'une somme de 1 000 euros à
M. A... alias C... au titre de l'article L. 761-1 précité à l'absence d'obtention par ce dernier de l'aide juridictionnelle à titre définitif. Enfin, le magistrat désigné a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... alias C.... Par une première requête, M. A... alias C... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant au versement de la somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil, Me Victor. Par une seconde requête, le préfet de police relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement du 30 décembre 2022 et a condamné l'Etat à verser à M. A... alias C... la somme de 1 000 euros sous réserve que l'aide juridictionnelle ne lui soit pas accordée à titre définitif par le bureau de l'aide juridictionnelle. Ces deux requêtes étant dirigées contre un même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la requête n° 23PA01899 du préfet de police :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que pour annuler la décision fixant l'Afghanistan comme pays à destination duquel M. C... alias A... pourra être éloigné, le magistrat désigné du tribunal administratif de Paris s'est fondé notamment sur un certificat médical du 20 février 2023. Il ressort des pièces du dossier de première instance que ce certificat était l'une des pièces jointes au mémoire de M. C... alias A... du 21 mars 2023 qui l'invoquait, notamment, à l'appui de ses conclusions dirigées contre cette décision. Or ni le mémoire du 21 mars 2023 ni le certificat médical du 20 février 2023 n'ont été communiqués au préfet de police. Par suite, ce dernier est fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction et à en demander l'annulation dans cette mesure.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de
M. C... alias A....
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
4. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. En premier lieu, si le préfet de police conteste l'authenticité du document établi le 14 août 2016 par les services de l'état-civil de Kaboul, portant mention de la " tazkara
n° 122/609 - 7Q1394... enregistrée au nom de D... A... ", cette identité a été confirmée comme étant la véritable identité de M. B... C..., par l'attestation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 septembre 2023, produite en appel par
M. A... alias C... dans le cadre de l'instance n° 23PA01860.
6. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-10 du code de justice administrative : " En cas de recours formé contre la décision devant une juridiction autre que celle qui a statué, le dossier de l'affaire lui est transmis ".
7. M. A... alias C... se prévaut de son état de vulnérabilité à raison du syndrome post-traumatique dont il souffre et pour lequel il est suivi depuis 2018, ainsi qu'en atteste, selon lui, le certificat médical du 20 février 2023 mentionné au point 2 du psychiatre attaché au centre médico-psychlogique Françoise Minkowska. Si le préfet de police fait valoir que ce certificat ne lui a en tout état de cause pas été communiqué, le dossier de première instance relatif à ce litige, auquel figurait cette pièce, a été transmis à la Cour conformément aux dispositions de l'article R. 741-10 du code justice administrative citées au point 6. Il était dès lors loisible au préfet de demander à prendre connaissance de cette pièce et d'en discuter le contenu. En l'absence de toute contestation par le préfet de ce certificat, postérieur à la décision attaquée mais de nature à révéler une situation qui lui est antérieure ou concomitante, les éléments qu'il décrit, à savoir que M. A... alias C... présente une pathologie due à un stress
post-traumatique causé par une agression des talibans en 2011, associée à des peurs et des réminiscences douloureusement vécues, qu'il suit une psychothérapie de longue durée qui ne peut être suivie qu'au centre Minkowska et qu'un retour dans son pays aurait des conséquences exceptionnellement graves pour son état de santé, doivent être tenues pour établies.
8. Enfin, M. A... alias C..., d'ethnie tadjik et qui provient du district de Paghman dans la province de Kaboul, invoque les risques de persécution qu'il encourt en cas de retour en Afghanistan compte tenu notamment de la prise de pouvoir des talibans en 2021. Or, il ressort des sources publiques disponibles et notamment du rapport du Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA) sur la situation sécuritaire en Afghanistan publié en novembre 2021, que, depuis le 16 août 2021, la victoire militaire des forces talibanes conjuguée à la désagrégation des autorités gouvernementales et de l'armée nationale afghane et au retrait des forces armées étrangères a entraîné une désorganisation générale du pays. A cet égard, compte tenu de la présence d'éléments plus ou moins incontrôlés, y compris parmi les différents groupes talibans locaux, et du niveau élevé de violence, d'insécurité et d'arbitraire de la part des autorités de fait, M. C... alias A... justifie qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine à un risque réel et personnel de subir des traitements inhumains ou dégradants.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que M. A... alias C... est fondé à soutenir que la décision fixant l'Afghanistan comme pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande présentée devant le tribunal, M. C... alias A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 30 décembre 2022 en tant qu'il fixe l'Agfhanistan comme pays de destination.
Sur la requête n° 23PA01860 de M. C... :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. / (...) ". Le premier paragraphe de l'article 75 de la même loi dispose que : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 9, M. C... alias A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 30 décembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination. M. C... alias A... ayant par ailleurs été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 avril 2023, antérieure à la date du jugement, son conseil pouvait se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75-1 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Victor, sous réserve qu'elle renonce à percevoir le bénéfice de la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens.
Sur les frais de l'instance d'appel :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 400 euros au titre des frais exposés par M. C... alias A... dans l'instance
n° 23PA01860.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2303876/8 du 7 avril 2023 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : L'arrêté du préfet de police de Paris du 30 décembre 2022 est annulé en tant qu'il fixe l'Agfhanistan comme pays de destination.
Article 3 : L'Etat versera à Me Victor la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... alias A... une somme de 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 23PA01899 du préfet de police de Paris est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... alias D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2023.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La Présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01860 - 23PA01899 2