Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Liebherr-Aerospace et Transportation a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution d'une fraction des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles qu'elle a acquittées au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, correspondant à l'excédent d'impôt résultant de l'absence d'imputation des déficits fiscaux de A... sur les résultats d'ensemble réalisés au cours des mêmes exercices par le groupe dont elle est la société mère.
Par un jugement n° 2008410 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, transmise à la Cour par une ordonnance du président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles en date du 5 janvier 2022, et des mémoires, enregistrés les 25 octobre 2022 et 7 février 2023, la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation, représentée par le CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2008410 du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la restitution sollicitée devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit ;
- les dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, en ce qu'elles excluent du bénéfice du régime de l'intégration fiscale horizontale les sociétés détenues par des résidents suisses, sont contraires à la clause de non-discrimination de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juillet 2022, 1er décembre 2022 et 17 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marjanovic ;
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public ;
- et les observations de Me Burg, représentant la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation.
La SAS Liebherr-Aerospace et Transportation a présenté une note en délibéré, enregistrée le 2 février 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par réclamation du 18 décembre 2015, la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation, filiale de la société de droit suisse Liebherr-International AG, a saisi l'administration fiscale d'une " demande d'option pour la mise en place d'une intégration fiscale horizontale portant sur les exercices clos les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013 " tendant à l'intégration de A... dans le groupe fiscalement intégré formé par la société réclamante avec sa filiale française Liebherr-Aerospace Toulouse SAS. Par réclamation du 19 décembre 2017, la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation a réitéré cette demande, en sollicitant en outre l'imputation sur les résultats d'ensemble du groupe formé avec la SAS Liebherr-Aerospace Toulouse des déficits subis par A... à hauteur des sommes de 25 055 546 euros au titre de l'exercice clos en 2014, 39 158 809 euros au titre de l'exercice clos en 2015 et 48 108 685 euros au titre de l'exercice clos en 2016, ainsi que la restitution subséquente des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributionnelles additionnelles qu'elle a acquittées au titre des exercices concernés. Par la présente requête, elle relève régulièrement appel du jugement du 28 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution desdites cotisations à hauteur des sommes de 9 521 107 euros, 14 880 347 euros et 16 565 424 euros au titre, respectivement, des exercices clos en 2014, 2015 et 2016.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit et d'une contradiction de motifs.
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
3. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient toutefois ensuite, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
Sur l'application de la loi fiscale nationale :
4. Aux termes des dispositions du I de l'article 223 A du code général des impôts, dans leur rédaction en vigueur du 8 août 2015 au 1er janvier 2021 : " Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : " sociétés du groupe ", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires. / Une société, également désignée par les mots : " société mère ", dont le capital est détenu, de manière continue au cours de l'exercice, à 95 % au moins par une société ou un établissement stable soumis à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ci-après désigné par les mots : " entité mère non résidente ", directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables détenus à 95 % au moins par l'entité mère non résidente et soumis à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés dans les mêmes Etats, ci-après désignés par les mots : " sociétés étrangères ", peut aussi se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés détenues par l'entité mère non résidente dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I, directement ou indirectement par l'intermédiaire de la société mère, de sociétés étrangères, de sociétés intermédiaires ou de sociétés membres du groupe. ".
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le capital de A... est détenu à hauteur de 100% par la société de droit suisse Liebherr-Components Technologies AG, elle-même détenue à hauteur de 100% par la société de droit suisse Liebherr-International AG, laquelle détient par ailleurs 100% du capital de la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation. Dans ces conditions, et ainsi qu'en conviennent les parties, les dispositions de l'article 223 A du code général des impôts rappelées au point précédent font obstacle à ce que la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation se constitue " société mère " d'un groupe fiscalement intégré formé entre elle-même, sa filiale française la SAS Liebherr-Aerospace Toulouse et sa nièce française A..., tant verticalement, la condition de détention de 95% au moins, directement ou indirectement, du capital de cette dernière société n'étant pas remplie, qu'horizontalement, les SAS Liebherr-Aerospace et Transportation et Liebherr-Components Colmar n'étant pas détenues par une même société mère soumise à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Par suite, sur le terrain de la loi fiscale nationale, la société requérante n'est pas fondée à solliciter la réduction des impositions contestées à due concurrence de l'imputation rétroactive des déficits de A... sur les résultats d'ensemble du groupe qu'elle forme avec sa filiale Liebherr-Aerospace Toulouse.
Sur l'application de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée :
6. Le paragraphe 5 de l'article 26 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales stipule que : " Les entreprises d'un Etat contractant, dont le capital est en totalité ou en partie, directement ou indirectement, détenu ou contrôlé par un ou plusieurs résidents de l'autre Etat contractant, ne sont soumises dans le premier Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujetties les autres entreprises de même nature de ce premier Etat".
7. En l'espèce, l'impossibilité faite par les dispositions du I de l'article 223 A du code général des impôts à la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation de constituer en France un groupe horizontalement intégré avec A... ne procède pas de la circonstance que la société mère de la société appelante, soit la société Liebherr-International AG, est résidente suisse, mais de celle que sa nièce, A..., est détenue par la société non résidente Liebherr-Component Technologies AG, sœur de la requérante, et non par la même entité mère non résidente que celle de la requérante. Dans ces conditions, les impositions qu'elle conteste à raison de l'impossibilité d'imputer sur les résultats d'ensemble du groupe qu'elle a formé avec la SAS Liebherr-Aerospace Toulouse des déficits subis par A... ne sont pas, à situation égale, autres ou plus lourdes que celles auxquelles sont ou pourront être assujetties les autres entreprises de même nature qui, résidentes françaises, sont détenues par une société mère de droit français. Par ailleurs et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient la requérante, les stipulations rappelées au point précédent ne sauraient s'opposer à ce que la loi fiscale nationale puisse réserver le bénéfice du régime de l'intégration fiscale dite horizontale à des sociétés sœurs de droit français détenues par une même entité mère résidente d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Il s'ensuit que la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation n'est pas fondée à soutenir que les stipulations de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée qu'elle invoque feraient obstacle à l'application de la loi fiscale nationale.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Liebherr-Aerospace et Transportation et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction des grandes entreprises.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Marjanovic, président assesseur,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 1er mars 2024.
Le rapporteur,
V. MARJANOVICLa présidente,
H. VINOT
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22PA00055