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27/02/2024 | FRANCE | N°22PA01137

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 27 février 2024, 22PA01137


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Jarry a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.



Par un jugement n° 2005220 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.







Procédure de

vant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, la SCI Jarry, représentée par Me Bozetine, demande à la Co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Jarry a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.

Par un jugement n° 2005220 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, la SCI Jarry, représentée par Me Bozetine, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucun acte anormal de gestion en rapprochant les loyers perçus de la valeur locative de chaque local donné en location, dès lors que les loyers initialement consentis étaient largement supérieurs à la moyenne des loyers pratiqués dans le secteur d'activité, que l'octroi d'avoirs a contribué de manière significative à maintenir l'exploitation des fonds de commerce des trois locataires et qu'elle a pu s'assurer de conserver des revenus locatifs quand bien même ils ont été réduits ; elle a ainsi agi dans son intérêt pour conserver son patrimoine et son existence ;

- faute d'avoir réalisé les travaux prévus en vue de la réhabilitation des locaux en hôtels de tourisme, elle était tenue de réviser à la baisse les loyers initiaux ;

- elle était tenue de déterminer les loyers conformément à l'article 1498 du code général des impôts et à l'article L. 145-33 du code de commerce ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve que les loyers fixés par les avenants aux baux initiaux étaient anormalement bas ;

- faute d'avoir établi le caractère anormalement bas des loyers consentis aux sociétés locataires, les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur de droit ;

- les associés des sociétés concernées n'ont tiré aucun avantage de cet acte, que l'administration ne peut qualifier d'anormal sans remettre en cause le principe de la liberté de gérer ;

- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête de la SCI Jarry ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamdi, première conseillère,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Jarry, qui exerce une activité de location de biens immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. A l'issue de cette vérification, l'administration fiscale a notamment estimé que la société avait commis un acte anormal de gestion en accordant aux sociétés locataires des immeubles, dont elle est propriétaire, des avoirs sur loyer et a réintégré dans ses résultats imposables les recettes non perçues. Par proposition de rectification du 22 juillet 2016, elle a procédé à des rectifications notamment en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés pour la période vérifiée. La SCI Jarry relève régulièrement appel du jugement du 18 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.

2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que les premiers juges ont commis une erreur de droit faute d'avoir établi le caractère anormalement bas des loyers consentis aux sociétés locataires.

Sur le bien-fondé des impositions :

3. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ".

4. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

5. La renonciation à recette ou l'abandon de créance accordé par une entreprise au profit d'un tiers ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Il en va ainsi, entre sociétés mères et filiales, comme en l'espèce, lorsque la société qui a consenti l'avantage est actionnaire de la société qui en a bénéficié et que l'avantage consenti est justifié par une contrepartie. Il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages octroyés par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion. Toutefois, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. Si l'entreprise s'acquitte de cette obligation, il incombe à l'administration d'établir que la contrepartie alléguée est inexistante ou insuffisante ou qu'elle a en réalité bénéficié à un tiers. Enfin, il résulte du 13 de l'article 39 du code général des impôts qu'une société ne peut déduire de ses résultats imposables une aide à caractère non commercial, même consentie à une filiale, que dans des cas très limités, dont il est constant qu'ils ne correspondent pas à la présente situation.

6. Il résulte de l'instruction que la SCI Jarry, dont Mme A... détient 90 % des parts sociales et son époux, M. A..., 10 % des parts, a loué des immeubles, en vue de leur exploitation comme hôtels, aux sociétés Relais de Clamart, Relais de Thiais et Fox Hôtel, qui sont détenues à 100 % par la SCI Jarry et dont M. A... est le gérant. A cette fin, elle a conclu des baux commerciaux de douze ans, pour les deux premiers le 2 mai 2012, commençant à courir le 27 janvier 2012, et pour le troisième le 24 janvier 2013, commençant à courir le 6 décembre 2012, prévoyant des loyers annuels d'un montant hors taxe respectivement de 172 800 euros, 316 800 euros et 316 800 euros. L'administration a constaté que la SCI Jarry avait consenti des avoirs d'un montant de 163 200 euros hors taxe au titre de chacun des exercices 2013 et 2014 à la société Relais de Thiais, de 40 080 euros hors taxe au titre de l'exercice 2013 à la société Relais de Clamart et de la même somme au titre de l'exercice 2014 à la société Fox Hôtel. L'administration fiscale a estimé que la SCI Jarry avait ainsi commis un acte anormal de gestion.

7. En premier lieu, la SCI Jarry soutient que, faute d'avoir établi que les loyers révisés avaient été fixés à un niveau inférieur à celui habituellement pratiqué pour la location de locaux à usage hôtelier, dans le secteur locatif concerné, l'administration n'a pas établi l'existence d'un appauvrissement à des fins contraires à son intérêt. Toutefois, il est constant que la SCI Jarry a renoncé, au moyen d'avoirs établis au nom des sociétés locataires, à une part substantielle des loyers devant lui revenir aux termes des stipulations convenues initialement, minorant ainsi ses bénéfices et chiffres d'affaires taxables à raison de réductions de loyers atteignant 51,52 % du loyer initial pour la société Relais de Thiais, 24,56 % pour la société Relais de Clamart et 12,65 % pour la société Fox Hôtel. En retenant cette seule circonstance, alors même que les loyers fixés initialement auraient été fixés à un niveau excédant le niveau habituellement pratiqué, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer anormale la réduction de loyers ainsi consentie.

8. En second lieu, la SCI Jarry soutient qu'elle a agi dans son intérêt en accordant ces avoirs aux sociétés locataires, dès lors qu'elle a pu ainsi s'assurer de la perception des revenus locatifs qui, revus à la baisse, étaient dans la moyenne des loyers pratiqués dans ce secteur d'activité, en contribuant de manière significative à maintenir l'exploitation des fonds de commerce des trois sociétés locataires. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les avoirs accordés par la SCI Jarry aux sociétés locataires étaient indispensables à la poursuite de l'exploitation des trois sociétés locataires ni même au règlement des loyers initialement consentis. Si la SCI Jarry se prévaut d'avenants aux baux, établis sous seing privé le 28 août 2013, soit avant la première révision triennale, et produits pour la première fois devant les premiers juges, et soutient qu'elle était tenue de réviser à la baisse les loyers initiaux faute d'avoir réalisé les travaux prévus pour transformer les locaux en hôtels de tourisme, une telle obligation n'avait aucunement été prévue à la charge du bailleur par les baux. Enfin, elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions des articles 1498 du code général des impôts et L. 145-33 du code de commerce, dont il ne résultait aucune obligation de modifier le montant des loyers en cours de période triennale. Par suite, alors que la fixation des loyers au niveau prévu par les baux constitue une décision de gestion qui est opposable à la SCI Jarry, la réduction du montant des loyers, même pour les rapprocher du niveau habituellement pratiqué sur le marché, ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant représenté, pour ces filiales, une aide de nature à créer, au profit de la société requérante, une quelconque contrepartie. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration, qui n'a pas ainsi méconnu le principe de liberté de gestion des entreprises, a considéré ces renonciations à recettes comme étrangères à une gestion commerciale normale et a réintégré ces sommes dans la base imposable de la société Jarry.

Sur les pénalités :

9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée (...) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

10. La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir ce manquement délibéré, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations souscrites par le contribuable et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. Pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative, l'administration doit se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.

11. Pour justifier, comme la charge lui en incombe, le bien-fondé de l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, l'administration s'est fondée sur l'importance des minorations de loyers de ses filiales par la SCI Jarry, sans obligation contractuelle et sans contrepartie, alors que la situation financière des filiales ne justifiait pas de telles aides. Elle a également relevé, alors qu'il existe une communauté d'intérêts entre les sociétés locataires et la société bailleresse, que cette gestion avait permis à la SCI Jarry d'établir des bilans déficitaires ou présentant un impôt à payer réduit à zéro par imputation d'un déficit antérieur. Ces éléments sont de nature à établir l'intention délibérée d'éluder l'impôt qui a animé la SCI Jarry. En conséquence, c'est à bon droit que l'administration a fait application, au rappel de taxe sur la valeur ajoutée et au supplément d'impôt sur les sociétés en litige, de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Jarry n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'annulation et de décharge, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Jarry est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Jarry et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 2 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur présidente de la Cour,

- M. Carrère, président de chambre,

- Mme Hamdi, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 27 février 2024.

La rapporteure,

S. HAMDILa présidente,

P. FOMBEURLa greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01137


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01137
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Samira HAMDI
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SELARL BOZETINE-AMNACHE-HALLAL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;22pa01137 ?
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