Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris :
1°) d'annuler les décisions du 6 septembre 2019 de la cheffe du bureau des ressources humaines de la direction générale de la santé, du 30 septembre 2019 du sous-directeur des carrières, des parcours et de la rémunération des personnels et du 14 octobre 2019 du directeur général de la santé ayant rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des quinze premiers jours épargnés sur son compte épargne temps ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de l'indemniser des quinze premiers jours épargnés sur son compte épargne temps ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de questions préjudicielles ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2002971/5-2 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées, a enjoint au ministre des solidarités et de la santé de verser à Mme B... une indemnité compensatrice au titre des quinze jours de congés non pris au moment de son admission d'office à la retraite, dans les conditions énoncées aux points 4 et 6 du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juin 2022, la ministre de la santé et de la prévention demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'est pas signé ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les 15 premiers jours épargnés sur le compte épargne temps de Madame B... pouvaient donner lieu à une indemnisation alors que les dispositions du droit interne s'y opposent et ne sont pas incompatibles avec la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... examinés par l'effet dévolutif de l'appel sont infondés, outre que sont inopérants les moyens relatifs aux vices propres qui entacheraient les décisions de rejet des recours gracieux et hiérarchiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2023, Mme B..., représentée par Me Arvis, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la ministre de la santé et de la prévention sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 modifié ;
- le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié ;
- l'arrêté du 28 août 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès ;
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique ;
- les observations de Mme A... pour la ministre ;
- et les observations de Me Lemoine pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., fonctionnaire affectée à la direction générale de la santé, a été mise à la retraite d'office pour limite d'âge, à compter du 13 octobre 2019, après avoir été placée en congé longue maladie du 18 février 2019 au 12 octobre 2019. Avant son départ en retraite, elle a sollicité l'indemnisation de jours de congés non pris, à savoir 25 jours placés sur son compte épargne-temps (CET) et 20 jours de congés annuels au titre de l'année 2019. L'administration a accueilli la demande de Mme B..., à l'exception des 15 premiers jours épargnés sur son CET. Par un courrier du 6 septembre 2019, l'intéressée a sollicité l'indemnisation de ces 15 jours non pris. Par une décision du même jour, la cheffe du bureau des ressources humaines et de la vie au travail a rejeté sa demande. Par une décision du 30 septembre 2019, le directeur des ressources humaines du ministère des solidarités et de la santé a rejeté son recours gracieux. Enfin, par une décision du 6 octobre 2019, le directeur général de la santé a rejeté son recours hiérarchique. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 6 septembre 2019, ensemble les décisions de rejet de ses recours gracieux et hiérarchique. Par un jugement du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande. La ministre de la santé et de la prévention relève appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 3 du décret du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat : " Le compte épargne-temps est alimenté par le report de jours de réduction du temps de travail et par le report de congés annuels, tels que prévus par le décret du 26 octobre 1984 susvisé, sans que le nombre de jours de congés pris dans l'année puisse être inférieur à 20. ". L'article 5 du même décret dispose que : " Lorsque, au terme de chaque année civile, le nombre de jours inscrits sur le compte épargne-temps est inférieur ou égal à un seuil, fixé par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, qui ne saurait être supérieur à vingt jours, l'agent ne peut utiliser les droits ainsi épargnés que sous forme de congés, pris dans les conditions mentionnées à l'article 3 du décret du 26 octobre 1984 susvisé. " Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 28 août 2009 : " Le seuil mentionné aux articles 5 et 6 du décret du 29 avril 2002 susvisé est fixé à 15 jours. ". Selon l'article 6 du même décret, les 15 premiers jours épargnés ne peuvent être utilisés que sous forme de congés conformément à l'article 5 du décret, et les jours épargnés excédant ce seuil de 15 jours peuvent être utilisés sous forme, par une option exercée au plus tard le 31 janvier de l'année suivante, soit d'une prise en compte au sein du régime de retraite additionnelle de la fonction publique, soit d'une indemnisation forfaitaire dans les conditions définies à l'article 6-2, ou bien maintenus sur le compte épargne-temps dans les conditions définies à l'article 6-3.
3. D'autre part, l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail dispose que : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ".
4. Ces dispositions de l'article 7. 2 de la directive précitée du 4 novembre 2003, interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt C-337/10 du 3 mai 2012 (point 37), ne s'opposent pas à des dispositions de droit national accordant au fonctionnaire des droits à congés payés supplémentaires, s'ajoutant au droit à un congé annuel minimal de quatre semaines, tels que ceux inscrits sur le compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat, sans que soit prévu le paiement d'une indemnité financière, lorsque le fonctionnaire en fin de relation de travail ne peut bénéficier de ces droits supplémentaires en raison du fait qu'il n'aurait pu exercer ses fonctions pour cause de maladie. Les jours épargnés sur un compte épargne temps n'ont donc pas le caractère de congés payés annuels, au sens de cette directive, et doivent dès lors être considérés comme des jours de congés supplémentaires, contrairement à ce qui a été jugé par les premiers juges. Et, contrairement à ce que soutient l'intimée, les dispositions du droit national ne sont pas incompatibles avec l'article 7 de la directive précitée, qui ne garantit qu'un congé minimal de quatre semaines, ainsi qu'il ressort de l'arrêt susvisé du 3 mai 2012 et, en dernier lieu, des motifs de l'arrêt C-609/17 et C-610/17 de la même Cour en date du 19 novembre 2019.
5. En l'espèce, si Mme B..., placée en congé de longue maladie du 18 février 2019 au 12 octobre 2019, puis admise d'office à la retraite pour limite d'âge à compter du 13 octobre 2019, était dans l'impossibilité, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d'utiliser les quinze premiers jours de congés épargnés sur son CET sous la forme de congés, les dispositions précitées du décret du 29 avril 2002 et de l'arrêté du 28 août 2009, compatibles avec le droit européen comme il a été dit au point précédent, faisaient obstacle à ce qu'une indemnisation lui soit accordée à ce titre. Dès lors, la ministre de la santé et de la prévention est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fait droit à sa demande et ont annulé les décisions litigieuses.
6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme B....
7. En premier lieu, Mme E... D..., attachée principale d'administration de l'Etat, chef du bureau des ressources humaines et de la vie au travail, signataire de la décision du 6 septembre 2019, disposait d'une délégation du ministre chargé de la santé pour signer tous les actes relatifs aux affaires relevant de ses attributions à l'exclusion des décrets, en vertu d'un arrêté du 20 août 2019 publié au Journal officiel du 22 août 2019. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 6 septembre 2019 manque donc en fait.
8. En second lieu, les vices propres de décisions de rejet de recours gracieux ou hiérarchiques ne pouvant utilement être contestés, les moyens tirés de l'incompétence du signataire de la décision du 30 septembre 2019 et de l'incompétence négative s'agissant de la décision du 6 octobre 2019 doivent être écartés comme inopérants.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, la ministre de la santé et de la prévention est fondée à soutenir que le jugement doit être annulé et la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Paris rejetée. Par voie de conséquence, les conclusions de Mme B... tendant à l'application de l'article L761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002971/5-2 du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée, ainsi que ses conclusions d'appel au titre de l'article L.761- 1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à Mme C... B....
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2024.
Le rapporteur,
D. PAGES
La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02784