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24/01/2024 | FRANCE | N°23PA03421

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 24 janvier 2024, 23PA03421


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 février 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.



Par un jugement n° 230465

1/8 du 21 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 23 février 2023 par lesq...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 février 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2304651/8 du 21 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 23 février 2023 par lesquelles le préfet de police a refusé d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Ericka Mechri demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du 21 juin 2023 en ce qu'il rejette le surplus de ses demandes ;

2°) d'annuler les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi contenues dans l'arrêté contesté devant le tribunal ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à défaut de réexaminer sa demande dans le même délai, et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le préfet de police n'a pas demandé une substitution de motif devant le tribunal et qu'en tout état de cause, il n'a pas été mis à même de faire valoir des observations sur le nouveau motif retenu par les premiers juges ;

- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle, dès lors que le préfet s'est exclusivement fondé sur la circonstance qu'il représenterait une menace à l'ordre public ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, dès lors que le préfet de police a procédé à la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle, est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public et méconnaît les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;

- la décision refusant un délai de départ volontaire est entachée d'une insuffisance de motivation et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation des décisions précédentes ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans est entachée d'une insuffisance de motivation, n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle, est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public et méconnaît les dispositions de l'article

R. 40-29 du code de procédure pénale.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête de M. A....

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés, et sollicite la substitution de motifs appliquée par le tribunal, dès lors que M. A... ne justifie d'aucun motif exceptionnel ni d'aucune considération humanitaire lui permettant de bénéficier d'une admission exceptionnelle sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2023.

Par ordonnance du 22 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brotons,

- et les observations de Me Mechri pour le requérant.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 19 décembre 1984, entré en France le 5 juin 2012 selon ses déclarations, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 23 février 2023 le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. M. A... relève appel du jugement du 21 juin 2023 du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il rejette une partie de ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté en toutes ses décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal, estimant que le préfet de police s'était fondé sur un unique motif tiré de ce que la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public dès lors qu'il était défavorablement connu des services de police pour des faits de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur, commis le 18 janvier 2019, ne produisait aucun élément sur la nature exacte de ces faits et n'établissait pas, ni même ne soutenait, qu'ils avaient donné lieu à une quelconque condamnation, alors que M. A... indiquait sans être contesté qu'il s'agissait d'un accident mettant en cause le chien d'un employé, qui n'était pas tenu en laisse durant les heures de travail, et que l'enquête avait été clôturée par un classement sans suite, en a déduit que, dans ces conditions et eu égard à la nature des faits, à leur caractère isolé et à leur date, le préfet de police avait entaché ses décisions d'erreur d'appréciation en se fondant sur la circonstance que la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public. Il a, pour ce motif, annulé les décisions refusant un délai de départ volontaire et portant interdiction de retour. Toutefois, il a rejeté le surplus des demandes présentées devant lui par M. A... en ce qu'elles tendaient à l'annulation des décisions, contenues dans l'arrêté du 23 février 2023, portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, ainsi que ses conclusions accessoires à fin d'injonction et de condamnation de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Pour ce faire, le tribunal a estimé que le préfet de police devait être regardé comme ayant sollicité une substitution de motif, dès lors qu'il soutenait, en défense, que la situation en France de M. A... ne relevait pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels au sens et pour l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

3. Si l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision, il appartient au juge, saisi d'une demande de substitution de motif, de mettre l'auteur du recours à même de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, avant de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision et d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Or, il ressort du dossier de première instance que le préfet de police se bornait en défense à répondre au moyen soulevé par M. A..., tiré de la méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans demander expressément une substitution de motif. M. A... ne peut dès lors être regardé comme ayant été mis à même de faire valoir ses observations sur le motif finalement retenu par le tribunal. Il est dès lors fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en ce que, par son article 2, il rejette le surplus de ses demandes. Il y a lieu en conséquence, pour la Cour, d'annuler ce jugement dans cette seule mesure, et d'évoquer les demandes de M. A... tendant à l'annulation des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, les moyens repris en appel par M. A... à l'encontre des décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour étant sans objet.

Sur la décision portant refus de séjour :

4. Contrairement à ce que soutient M. A..., pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de police ne s'est pas borné à indiquer qu'il représentait une menace pour l'ordre public, mais a également indiqué, après avoir mentionné l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il prenait en compte l'ensemble de sa situation personnelle et familiale sur le territoire français, en précisant notamment qu'il était célibataire et sans charge de famille en France et disposait d'attaches familiales dans son pays. Il suit de là que la décision de refus de séjour est suffisamment motivée et que le préfet a bien procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de refuser son admission au séjour, la circonstance que l'arrêté ne mentionne pas certains faits n'étant pas, en l'espèce, de nature à établir un défaut d'examen.

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. "

6. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de ces dispositions par un étranger, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.

7. M. A... se prévaut de sa présence en France depuis 2012, et de ce qu'il exerce une activité professionnelle depuis le 2 mai 2017 en qualité de chauffeur-livreur dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Toutefois, il ne justifie pas de sa présence habituelle sur le territoire français avant l'année 2017, n'a sollicité la régularisation de sa situation sur le territoire français qu'en 2021, et son insertion professionnelle, si elle datait de près de six ans à la date de l'arrêté attaqué, ne concernait qu'un emploi peu qualifié. Par ailleurs, si M. A... fait valoir qu'il est le père d'un enfant né le 11 janvier 2023 en France de son union avec une compatriote, soit postérieurement au dépôt de sa demande de régularisation, il n'apporte aucune précision sur la situation de la mère de celui-ci, et, notamment, n'allègue pas qu'elle disposerait d'un droit au séjour sur le territoire français, alors au demeurant qu'il ressort du dossier que l'intéressée ne réside pas avec lui. Enfin, il est constant que M. A... n'est pas démuni d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans au moins. Dès lors, le préfet de police ne commet pas d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que sa situation ne relève pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels au sens et pour l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un tel motif étant de nature à fonder légalement la décision de refus d'admission au séjour et dès lors qu'il résulte de l'instruction que le préfet de police aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif, il y a lieu de procéder à la substitution demandée, le requérant n'ayant été privé d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Eu égard au motif retenu au point 7. du présent arrêt, les moyens tirés de ce que le comportement de M. A... ne constituerait pas une menace pour l'ordre public et de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, en raison de la consultation irrégulière du fichier traitement des antécédents judiciaires sont dépourvus de portée.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La décision portant de quitter le territoire français est motivée. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. (...). ". En application de ces dispositions, l'obligation de quitter le territoire français, qui vise le 3° de l'article L. 611-1, n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte en fait de celle de la décision portant refus d'un titre de séjour dès lors que celle-ci est suffisamment motivée ainsi qu'il a été précisé au point 4.

10. Enfin, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été précédée d'un examen particulier de la situation personnelle de M. A..., de ce qu'elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public et de ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, pour les mêmes motifs qu'indiqués aux points 4. et 8. du présent arrêt.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris à l'encontre des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination doivent être rejetées, ensemble, par voie de conséquence ses conclusions d'appel à fin d'injonction et de condamnation de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2304651/8 du 21 juin 2023 du Tribunal administratif de Paris est annulé

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris à l'encontre des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2024.

Le président-rapporteur,

I. BROTONSL'assesseur le plus ancien,

E. TOPIN

Le greffier,

C. ABDI-OUAMRANE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03421


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03421
Date de la décision : 24/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Isabelle BROTONS
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : MECHRI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-24;23pa03421 ?
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