Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Anagraphis a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune de Saint-Ouen à lui verser la somme de 584 617,90 euros en réparation des préjudices financier et moral résultant de la décision de la commune de ne pas poursuivre l'exécution du marché de prestations intellectuelles qu'elles avaient conclu.
Par un jugement n° 1907008 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2022, la société Anagraphis, représentée par Me Tourniquet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 19 avril 2022 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Ouen à lui verser la somme totale de 763 485,78 euros, assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la commune de Saint-Ouen a commis une faute contractuelle en refusant, sans motif, de poursuivre l'exécution du marché public de prestations intellectuelles qu'elles avaient conclu ;
- la commune de Saint-Ouen, en refusant sans motif de poursuivre l'exécution du contrat, a implicitement procédé à sa résiliation ;
- en refusant d'installer trois des œuvres commandées par la société Anagraphis dans le cadre du marché de prestations intellectuelles, la commune de Saint-Ouen l'a contrainte à engager des frais de garde et de conservation, pour un montant de 589 730,56 euros ;
- elle a été privée de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir sur ces trois œuvres, à l'issue de leur installation, pour un montant de 153 755,22 euros ;
- elle a subi un préjudice moral qu'elle chiffre à 20 000 euros ;
- à titre subsidiaire, si la responsabilité contractuelle de la commune de Saint-Ouen devait être écartée, elle a droit à être indemnisée des mêmes préjudices sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle ou délictuelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2023, la commune de Saint-Ouen, représentée par Me Jorion, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Anagraphis en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- la demande est irrecevable à défaut pour la demande indemnitaire préalable de chiffrer le préjudice subi ;
- la demande est partiellement irrecevable en ce que les conclusions tendant à voir engagée la responsabilité quasi-contractuelle ou délictuelle de la commune de Saint-Ouen n'ont pas été liées par la demande indemnitaire préalable ;
- à la date de la saisine du tribunal administratif, les intérêts au taux légal n'étaient pas dus pour une année entière, que par conséquent la demande tendant à ce qu'ils soient capitalisés est irrecevable ;
- en tout état de cause, les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 19 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 juillet 2023 à 12h00.
Un mémoire en réponse à une mesure supplémentaire d'instruction a été enregistré le 14 décembre 2023 pour la société Anagraphis.
Un mémoire en réponse à une mesure supplémentaire d'instruction a été enregistré le 15 décembre 2023 pour la commune de Saint-Ouen.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Pasquio pour la société Anagraphis et de Me Jorion pour la commune de Saint-Ouen.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 janvier 2024, présentée pour la société Anagraphis.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement signé le 9 mai 2011, la commune de Saint-Ouen a conclu avec la société Anagraphis, pour une durée de quatre ans, un marché public de prestations intellectuelles à bons de commande relatif à l'installation d'œuvres d'art " urbaines " sur son territoire. Par un courrier électronique du 10 avril 2015, la commune de Saint-Ouen a refusé de réceptionner trois des six œuvres, commandées dans le cadre de ce contrat. Par une lettre du 22 février 2019, la société Anagraphis a sollicité de la commune l'indemnisation des préjudices subis du fait de sa décision d'interrompre prématurément l'exécution de ces commandes. Il n'y a pas été répondu expressément. Par un jugement, dont la société Anagraphis relève appel, le tribunal administratif de Montreuil, saisi dans les mêmes termes que la lettre du 22 février 2019, a rejeté sa demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le fondement de la responsabilité de la commune de Saint-Ouen :
2. Aux termes de son article premier, le marché à bons de commande en litige " a pour objet de désigner un mandataire chargé de participer aux opérations de sélection, de réalisation et d'implantation d'œuvres d'art sur le territoire de la ville de Saint-Ouen ". Notamment tenue, en application de l'article II. 2 du cahier des clauses particulières applicable au marché, de " rechercher et mobiliser les éventuels financements extérieurs à la ville (subventions, dons ou mécénats...) ", la société Anagraphis, désignée mandataire de la commune, a conclu, entre le 8 avril 2013 et le 28 mars 2014, des conventions avec des sociétés privées, par lesquelles ces dernières se sont engagées à " apporter leur soutien financier pour la réalisation de projets artistiques intéressant le territoire de la commune de Saint-Ouen dans le cadre de l'opération Art dans la Ville ". Les fonds récoltés dans le cadre de ces conventions ont permis de financer six œuvres : " Arc-en-ciel " de Philippe Berry, " Labyrinthe " de France de Ranchin, " Tolérance " de Guy Ferrer, " Danse contact " de Yane, " Robot " C... A... et " Time is the winner " de Patricia B....
3. Il est constant que les six œuvres, citées au point 2, ont été choisies et réalisées sans bons de commande. Il résulte cependant de l'instruction, notamment de l'attestation établie, le 4 mai 2015, par la maire de la commune de Saint-Ouen jusqu'en mars 2014, que ces œuvres, préalablement validées par le jury " Art dans la Ville ", ont toutes été réalisées avec son accord. L'absence de bons de commande n'a donc pas empêché les parties, dans une commune intention, de poursuivre l'exécution du marché en litige. Ainsi, l'absence de bons de commande n'a eu aucune incidence sur l'existence même du contrat, de sorte que l'interruption prématurée de trois des six commandes, celles de Yane, de M. C... A... et de Mme B..., ne saurait être regardée comme ayant eu pour effet de le résilier. Par conséquent, la responsabilité contractuelle de la commune de Saint-Ouen est seule susceptible d'être engagée pour la faute qu'elle a commise en interrompant prématurément ces trois commandes sans autre motif que l'absence de bons, dont l'émission pourtant lui incombait.
En ce qui concerne les préjudices :
4. En premier lieu, les frais de garde et de conservation, que la société Anagraphis dit avoir engagés, relatifs aux trois œuvres citées au point 3 dont la commande a été interrompue, résultent directement de la faute contractuelle commise par la commune de Saint-Ouen en refusant illégalement de les réceptionner. Toutefois, en se bornant à produire des tableaux analytiques sans y joindre la moindre facture, ni fournir la moindre explication sur les conditions de garde et de conservation, la société Anagraphis n'établit pas la réalité du préjudice, chiffré à 589 730,56 euros, dont elle entend se prévaloir. La demande doit donc être écartée.
5. En deuxième lieu, la société Anagraphis soutient que du fait de l'interruption des trois commandes, citées au point 3, elle n'a pas perçu la rémunération, qu'elle chiffre à 153 755,22 euros, y afférent. Toutefois, à supposer qu'elle n'ait pas été déjà rémunérée, en se bornant à produire des tableaux analytiques par œuvre, sans aucune facture, l'appelante n'établit pas la réalité de leur coût respectif, sur lequel pourtant cette rémunération devait être calculée. Sa demande doit donc être écartée.
6. En dernier lieu, en acceptant d'exécuter des prestations sans bons de commande, la société Anagraphis a participé au climat d'incertitude dans lequel elle dit s'être trouvée entre les années 2014 et 2015. Par suite, elle n'est pas fondée à demander l'indemnisation, à hauteur de 20 000 euros, du préjudice moral qui aurait résulté pour elle de l'interruption prématurée des commandes citées au point 3.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir, que la société Anagraphis n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Saint-Ouen qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance soit condamnée à verser à la société Anagraphis une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Anagraphis à verser à la commune de Saint-Ouen la somme qu'elle réclame sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Anagraphis est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Ouen sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Anagraphis et à la commune de Saint-Ouen.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 janvier 2024.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEULa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E . TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02804