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25/10/2023 | FRANCE | N°21PA01558

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 25 octobre 2023, 21PA01558


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Sopra Steria Group a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en raison de la remise en cause du crédit d'impôt recherche afférent aux années 2008, 2009 et 2010 ainsi que la décharge de la majoration pour manquement délibéré qui lui a été infligée au titre des années 2008 et 2009.

Par un jugement n° 1813388-1 et n°

1907136-1 du 28 janvier 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a partiellement déchargé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Sopra Steria Group a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en raison de la remise en cause du crédit d'impôt recherche afférent aux années 2008, 2009 et 2010 ainsi que la décharge de la majoration pour manquement délibéré qui lui a été infligée au titre des années 2008 et 2009.

Par un jugement n° 1813388-1 et n° 1907136-1 du 28 janvier 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a partiellement déchargé la société requérante des impositions litigieuses, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mars et 9 septembre 2021, la SA Sopra Steria Group, représentée par Me Xavier Houard (KPMG Avocats), demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement susvisé du 28 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de prononcer la décharge totale des impositions litigieuses, en droits et pénalités, ainsi que de la majoration de 40 % pour manquement délibéré ;

3°) de condamner l'Etat au versement des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure de vérification de comptabilité au titre du crédit d'impôt recherche 2008 est irrégulière ;

- les projets de recherche et développement menés par la société sont éligibles pour les années 2008, 2009 et 2010 ;

- les sommes encaissées au titre de prestations informatiques globales n'ont pas à être déduites de l'assiette des crédits impôt recherche au titre des années 2008 à 2010 dès lors que la société n'entre pas dans le champ des dispositions de l'article 244 quater B III du code général des impôts compte tenu de ses activités, et qu'à supposer même qu'elle soit regardée comme sous-traitante d'opérations de recherche, elle n'était pas tenue de déduire l'intégralité des sommes reçues de ses clients de l'assiette du crédit d'impôt recherche ;

- s'agissant de la majoration de 40 % sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, aucun manquement délibéré ne saurait être caractérisé ;

- compte tenu des dégrèvements intervenus en cours d'instance, le litige concernant le crédit d'impôt recherche de l'année 2008 n'a plus d'objet.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- en complément de l'exécution du jugement du Tribunal administratif de Montreuil, un dégrèvement total des cotisations supplémentaires mises à la charge de la société requérante au titre de l'année 2008 a été prononcé ;

- pour le surplus, les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 27 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fullana ;

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public ;

- et les observations de Me Houard pour la SA Sopra Steria Group.

Considérant ce qui suit :

1. La société Steria SA, qui exerce une activité de services informatiques, a déclaré, au titre des exercices 2008, 2009 et 2010, un crédit d'impôt recherche pour des montants de 1 193 330 euros, 2 221 773 euros et 1 904 698 euros. A la suite d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010, l'administration a partiellement remis en cause le montant de ces crédits d'impôt recherche pour les années 2008 et 2010 et remis en cause la totalité du crédit d'impôt recherche déclaré au titre de l'année 2009. Des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés afférentes aux exercices 2008 et 2009 ont été mises en recouvrement par trois avis des 4 et 11 mars 2014 et le crédit d'impôt recherche 2010 a été réduit de la somme de 1 142 223 euros. Par un jugement du 28 janvier 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge partielle des impositions supplémentaires mises à la charge de la société requérante au titre des trois exercices et rejeté le surplus des conclusions de sa demande de décharge. La SA Sopra Steria Group, venant aux droits de la société Groupe Steria SCA, en qualité de société mère, redevable de l'impôt sur les sociétés dû par le groupe d'intégration fiscale dont la société Steria SA était membre, relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 10 août 2021, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur des vérifications nationales et internationales a prononcé le dégrèvement d'une somme de 392 019 euros au titre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des intérêts de retard et des pénalités qui ont été réclamés à la SA Sopra Steria Group au titre de l'année 2008. Ce dégrèvement portant sur la totalité des sommes maintenues à la charge de la société au titre de ladite année, les conclusions de sa requête relatives à l'année 2008 sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'éligibilité des projets au crédit d'impôt recherche :

3. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...). / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes. (...) ; / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) ; c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations (...) ; / d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privé agréés par le ministre chargé de la recherche, ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions (...) / III. Les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables. Il en est de même des sommes reçues par les organismes ou experts désignés au d et au d bis du II, pour le calcul de leur propre crédit d'impôt (...) ".

4. L'article 49 septies F de l'annexe III à ce code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".

5. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au vu de l'instruction, si les opérations réalisées par le contribuable entrent dans le champ d'application du crédit d'impôt recherche eu égard aux conditions dans lesquelles sont effectuées ces opérations. S'il se prononce au vu des éléments avancés par l'une et l'autre partie, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci.

S'agissant du projet " Télématique Auto " pour les années 2009 et 2010 :

6. Le projet " Télématique Auto " porte sur la création d'une application pour l'optimisation et l'utilisation des flottes de véhicules en vue de réduire les coûts d'utilisation et le respect de l'environnement. Il résulte de l'instruction que les travaux menés en 2009 et 2010 afférents à ce projet, pour lequel le dossier ne permet pas d'identifier l'existence d'innovations significatives et la levée d'incertitudes scientifiques ou technologiques de nature à accroître les connaissances pour la profession, ont consisté à utiliser et adapter l'état des techniques existantes à un marché économique particulier en vue de répondre aux besoins des acteurs du monde automobile. Il en résulte que les travaux en cause ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.

S'agissant du projet " Mobilité des agents " pour l'année 2009 :

7. Le projet " Mobilité des agents " vise à concevoir et développer une solution suffisamment générique d'échange de données entre un système centralisé et l'ensemble des applications métiers embarquées sur des PDA (" assistant digital personnel "), et les travaux réalisés en 2008 afférents à ce projet ont été reconnus éligibles au crédit d'impôt recherche. Les travaux menés en 2009 ont consisté à développer de nouvelles fonctionnalités et, principalement, l'optimisation géographique des données à partir d'un algorithme de géolocalisation d'après l'adresse fournie par le système d'information. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert mandaté par la société requérante, que ces travaux ont simplement consisté à appliquer des techniques existantes à un domaine nouveau sans amélioration substantielle des techniques de géocodage. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ce projet était éligible au crédit d'impôt recherche au titre des travaux menés pour l'année 2009 au-delà des 28 % d'ores et déjà reconnus par l'administration.

S'agissant du projet " SP+ " pour l'année 2009 :

8. Le projet " SP+ " porte sur la conception d'une entité transverse dynamique qui assure le pilotage et le suivi en temps réel de tous les évènements relevant des activités du paiement électronique pour le compte d'une banque. S'il est constant que les travaux menés en 2009 ont conduit à apporter, par plusieurs développements évolutifs, des améliorations importantes à la plateforme de paiement électronique, il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux ont impliqué la mise en œuvre de techniques nouvelles ou apporté une amélioration substantielle à des techniques existantes. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ce projet était éligible au crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2009.

S'agissant du projet " Convergence Outil Profiles " pour les années 2009 et 2010 :

9. La société requérante commercialise un logiciel dénommé " Profiles " qui offre la possibilité de construire progressivement une base unique de portefeuilles clients afin que l'entreprise utilisatrice dispose d'une vue unique de chaque client. Le projet " Convergence Outils Profiles " comporte une refonte de l'outil et le passage à une architecture technique de type web et à la programmation Java. La société fait état de difficultés techniques liées à la nécessité d'adapter le produit aux " technologies récentes Web/Java/Oracle " et de tenir compte des contraintes opérationnelles de migration d'une version à l'autre via des interfaces intermédiaires. L'expert qu'elle a mandaté mentionne le développement expérimental de solutions répondant à des " problématiques présentant des incertitudes scientifiques et technologiques ". Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ce projet, eu égard notamment à la généralité des justificatifs produits par la requérante, serait éligible au titre du crédit d'impôt recherche pour les années 2009 et 2010 au-delà des pourcentages admis par l'administration fiscale.

S'agissant du projet " Smart Grid " pour l'année 2009 :

10. Le projet " Smart Grid " porte sur le développement d'un réseau intelligent de gestion de la consommation électrique à partir de l'amélioration de compteurs connectés et destiné à offrir de nouveaux services et fonctionnalités aux usagers du réseau électrique et aux fournisseurs. Toutefois, il résulte de l'instruction que les travaux visent à adapter, dans le domaine des réseaux électriques, des techniques déjà connues et ne peuvent être regardés comme des opérations de développement présentant un caractère de nouveauté. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ce projet était éligible au crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2009.

S'agissant du projet " Convsioc " pour l'année 2009 :

11. Le projet " Convsioc " est le nouveau système d'information opérationnel et de communication du ministère de la défense. Il est constant que le projet comporte des travaux sur le " proxy optimiseur " pour lequel l'administration a reconnu l'éligibilité des dépenses en lien avec ces travaux à hauteur de 54 % du crédit d'impôt recherche déclaré par la contribuable. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ce projet, eu égard notamment à la généralité des justificatifs produits par la requérante, serait éligible au titre du crédit d'impôt recherche au-delà du pourcentage admis par l'administration fiscale.

S'agissant du projet " Mutant " pour l'année 2009 :

12. Le projet " Mutant " porte sur la création pour les sociétés d'assurance d'un applicatif de moteur de gestion des données d'assurance et qui serait hautement paramétrable. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en raison des contraintes techniques non spécifiques et de l'état de l'art évoqués par la société, les difficultés alléguées ne pourraient être résolues par simple développement ou adaptation des techniques existantes. Par suite, les travaux en cause ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.

S'agissant du projet " Chorus Industrie " pour les années 2009 et 2010 :

13. Le logiciel " Chorus " est le nouveau système d'information qui permet de gérer la dépense, les recettes non fiscales et la comptabilité de l'Etat en France dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances et a vocation à remplacer la multitude d'applicatifs existants. Le projet " Chorus industrie " concerne un applicatif intervenant dans le processus de basculement des données du nouveau système. L'administration a reconnu l'éligibilité au crédit d'impôt recherche, pour les années 2009 et 2010, des travaux du projet " Chorus industrie " à hauteur de

20 % pour ce qui concerne la méthode générique de comparaison de données à base sémantique. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ce projet, eu égard notamment à la généralité de la documentation technique produite par la requérante, serait éligible au crédit d'impôt recherche au-delà des pourcentages admis par l'administration fiscale pour les années 2009 et 2010.

S'agissant du projet " COFACE " pour l'année 2010 :

14. Le projet " Coface " est un projet d'algorithme financier visant à développer de nouvelles fonctionnalités pour une application de la Coface. L'administration soutient que le projet applicatif est mené avec les techniques d'ingénierie logicielles existantes et que, bien que ce projet soit innovant, il n'est pas intégralement éligible au crédit d'impôt recherche, la société ne démontrant pas en quoi ses travaux se traduisent par un dépassement de l'état de l'art en matière d'algorithmique théorique. La société requérante ne conteste pas sérieusement cette analyse en se bornant à produire un document d'une page précisant que le développement de l'algorithme a nécessité " l'implication de trois experts techniques ". Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ce projet était éligible au crédit d'impôt recherche pour l'année 2010 au-delà des 43% d'ores et déjà reconnus par l'administration.

S'agissant du projet " Knowledge Management " pour l'année 2010 :

15. Le projet " Knowledge Management " est un projet interne qui vise à mettre en œuvre un modèle de gestion de la connaissance. L'administration soutient que les incertitudes de la société ne sont pas d'ordre logiciel mais liées à la nature et à l'état du système d'information, des données et de la qualité des données mais a néanmoins admis l'éligibilité d'une partie des dépenses engagées à hauteur de 25 %. Il ne résulte pas de l'instruction que ce projet, eu égard notamment à la généralité de la documentation technique produite par la requérante, serait éligible au crédit d'impôt recherche au-delà du pourcentage admis par l'administration fiscale pour l'année 2010.

S'agissant du projet " Stecard (Transactis) " pour l'année 2010 :

16. Le projet " Stecard (Transactis) " est un projet qui a pour but le développement de nouvelles interfaces et de nouveaux modules dans la plate-forme de gestion du client. Si l'administration admet qu'il représente une avancée sur l'état de l'art du télé-paramétrage et que les observations de la société ont permis d'admettre une complexité significative et le besoin d'un recours à des ingénieurs qualifiés avec une activité inventive pour l'homme de l'art normalement compétent, celui-ci n'est éligible qu'à hauteur de 50 % des coûts nets engagés. Il ne résulte en revanche pas de l'instruction et notamment de la documentation technique produite par la société requérante que, compte tenu des techniques mises en œuvre et des difficultés identifiées, le projet serait éligible au crédit d'impôt recherche pour l'année 2010 au-delà des 50 % d'ores et déjà reconnus par l'administration.

En ce qui concerne l'absence de sous-traitance d'opérations de recherche et développement :

17. Il résulte des dispositions citées au point 3 que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit. S'agissant des organismes de recherche sous-traitants, ils ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.

18. En revanche, lorsqu'un tel organisme engage des dépenses de recherche pour son propre compte, y compris dans l'hypothèse où elles sont suscitées par l'exécution de prestations pour le compte d'un tiers dont l'objet ne porte pas sur la réalisation d'opérations de recherche, cet organisme peut inclure ces dépenses dans la base de calcul de son crédit d'impôt si elles satisfont aux exigences posées par l'article 244 quater B du code général des impôts, sans que ces dispositions ne lui imposent de déduire de cette assiette les sommes facturées au bénéficiaire des prestations, qui ne constituent pas, pour ce dernier, des dépenses éligibles à ce crédit d'impôt.

S'agissant du projet " GPOM " pour l'année 2009 :

19. Le projet " GPOM " a pour objet la définition d'une offre générique de gestion des offres et des parcs intégrée dans le système d'information d'activité d'un opérateur de téléphonie mobile et fonctionnant en " machine to machine ". Il résulte de l'instruction que la réalisation des prestations y afférentes a été confiée par les sociétés SFR et Cegetel à la société Steria dans le cadre d'un contrat d'exécution conclu sur le fondement d'un contrat cadre de réalisation, d'intégration et de maintien en conditions opérationnelles de systèmes informatiques prévoyant des prestations d'étude, de conception et de développement de logiciels pour le compte du client et prévoyant la livraison d'un produit " clef en mains ". Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dépenses de recherche et développement ont été exposées pour son propre compte et à demander l'annulation des rectifications de crédit d'impôt recherche relatives à ce projet.

S'agissant des projets " Gaia " et " Algo Force Naval " pour les années 2009 et 2010 :

20. Il est constant que la société Steria SA s'est vue confier, dans le cadre de contrats de sous-traitance, la réalisation de différentes prestations dans le cadre, d'une part, du projet " Gaia " consistant à créer des systèmes d'interconnexion des instruments de simulation du transport aérien et, d'autre part, du projet " Algo Force Naval " portant sur des dispositifs de tenue de situation tactique dans les systèmes de combat embarqué et que les travaux menés dans le cadre de ces projets ont inclus des travaux de recherche et développement. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier des pièces produites par la société requérante, consistant pour le projet " Gaia " en un bon de commande et son offre technique et financière qui fait référence à " phase RetD du projet Gaia " et pour le projet " Algo Force Naval " en un bon de commande, un avenant et des fiches de travaux supplémentaires, que les contrats de sous-traitance ne comporteraient aucune commande d'opérations de recherche et que la société aurait engagé des dépenses de recherche pour son propre compte dans le cadre de l'exécution de ces prestations. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des rectifications de crédit d'impôt recherche correspondantes au titre des années 2009 et 2010.

S'agissant du projet " Mobilité des agents " pour l'année 2009 :

21. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que l'administration fiscale a reconnu l'éligibilité des travaux afférents au projet " Mobilité des agents " au crédit d'impôt recherche à hauteur de 28 %. Il résulte de l'instruction que ce projet a été mené dans le cadre d'un simple contrat de prestations de maintenance de l'application PICTREL (pilotage des interventions chez le client en temps réel) et que c'est pour répondre à cette commande que la société a exposé, pour son propre compte, des dépenses de recherche et développement qui ont été reconnues éligibles par l'administration. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation des rectifications de crédit d'impôt recherche correspondantes au titre de l'année 2009 et à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondantes. Il y a lieu, en conséquence, de réintégrer la somme non contestée de 145 017 euros dans l'assiette prise en compte pour le calcul du crédit d'impôt recherche.

En ce qui concerne l'évaluation des montants de recettes venus en déduction :

22. Si la société requérante soutient que les montants facturés retenus par le service pour les projets " Algo Force Naval " et " Gaia " doivent être corrigés au motif qu'une partie des sommes retenues correspondraient à des prestations qui ne relèveraient pas de la recherche et développement et que certaines factures concerneraient d'autres contrats, les justificatifs qu'elle produit, constitués principalement de factures aux intitulés imprécis ou généraux, sont insuffisants pour établir qu'il s'agit effectivement d'erreurs et que les facturations déduites de l'assiette de son crédit d'impôt recherche doivent être corrigées.

Sur les pénalités :

23. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

24. Il résulte de ce qui a été dit au point 21 que c'est à tort que l'administration a redressé la société requérante à raison de la remise en cause d'une somme de 145 017 euros dans l'assiette prise en compte pour le crédit d'impôt de l'année 2009 pour le projet " Mobilité des agents ". En conséquence, la société est fondée à demander la décharge des pénalités afférentes au rehaussement d'imposition correspondant. Pour le surplus, eu égard notamment au nombre de contrats concernés, à l'importance des montants en cause et à l'envergure de la société, assistée d'un cabinet spécialisé en crédit d'impôt recherche, c'est à bon droit que l'administration a mis en œuvre les pénalités en litige.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Sopra Steria Group est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge en conséquence de la rectification de son crédit d'impôt recherche 2009 pour le projet " Mobilité des agents " au motif que les opérations de recherche et développement auraient été menées dans le cadre d'un contrat de sous-traitance.

Sur les intérêts moratoires :

26. Faute de litige né et actuel avec le comptable chargé le cas échéant de procéder au paiement des intérêts moratoires visés à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, les conclusions présentées directement devant le juge de l'impôt tendant au versement de ces intérêts ne peuvent qu'être, en tout état de cause, rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

27. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que la SA Sopra Steria Groupe demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En outre, faute de dépens engagés dans l'instance, ses conclusions tendant à " obtenir le remboursement de l'intégralité des frais exposés " dans la procédure doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des intérêts de retard et des pénalités qui ont été réclamés à la SA Sopra Steria Group au titre de l'année 2008.

Article 2 : La SA Sopra Steria Group est déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2009 correspondant à la rectification de son crédit d'impôt recherche pour le projet " Mobilité des agents ", en conséquence de la réintégration de la somme de 145 017 euros dans l'assiette prise en compte pour le calcul du crédit d'impôt recherche.

Article 3 : Le jugement n° 1813388-1 et n° 1907136-1 du 28 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus de la requête de la SA Sopra Steria Group est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Sopra Steria Group et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme Fullana, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2023.

La rapporteure,

M. FULLANA Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. MONGISLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01558


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01558
Date de la décision : 25/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Maguy FULLANA
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : KPMG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-25;21pa01558 ?
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