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10/10/2023 | FRANCE | N°22PA01568

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 10 octobre 2023, 22PA01568


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 mars 2021 par lequel le préfet de police a refusé de renouveler sa carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2111562 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 30 mars 2021 du préfet de police, lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la char

ge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 mars 2021 par lequel le préfet de police a refusé de renouveler sa carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2111562 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 30 mars 2021 du préfet de police, lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 avril 2022, le préfet de police demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'arrêté attaqué méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors qu'eu égard à la nature, au caractère répété et à la gravité des faits pour lesquels il a fait l'objet de cinq condamnations, pour un quantum total de peines de trois ans et huit mois d'emprisonnement, la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par M. A..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.

Par un courrier du 28 juin 2023, une mesure d'instruction a été diligentée par la Cour.

Par un mémoire en production de pièces, enregistré le 27 juillet 2023, le préfet de police a répondu à cette mesure.

Par un mémoire, enregistré le 10 août 2023, M. A..., représenté par Me Harir, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- en estimant que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public, le préfet a commis une erreur d'appréciation ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du même code.

Par une ordonnance du 11 août 2023, la clôture de l'affaire a été fixée au 11 septembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,

- et les observations de Me Harir, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant marocain, né le 1er décembre 1992, a sollicité, le 5 juillet 2019, le renouvellement de sa carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable. Par un arrêté du 30 mars 2021, le préfet de police a rejeté sa demande. Le préfet fait appel du jugement du 10 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. A..., annulé son arrêté du 30 mars 2021, lui a enjoint de délivrer à l'intéressé un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 2° A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France avec au moins un de ses parents légitimes, naturels ou adoptifs depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou, à Mayotte, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans, avec au moins un de ses parents légitimes, naturels ou adoptifs titulaire de la carte de séjour temporaire ou de la carte de résident, la filiation étant établie dans les conditions prévues à l'article L. 314-11 ; la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Pour annuler l'arrêté du 30 mars 2021, motivé par la menace pour l'ordre public que constitue la présence en France de M. A..., le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que la décision refusant le renouvellement du titre de séjour de l'intéressé porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Cependant, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui est entré en France, selon ses déclarations, le 14 octobre 2000, alors qu'il était mineur, y a été scolarisé du mois de septembre 2003 jusqu'en 2009, en classe de troisième, avant d'être inscrit, pour l'année 2009-2010, au centre européen des professions culinaires en 1ère année de CAP pâtisserie, formation qu'il n'a pas poursuivie, et a alterné, entre les mois de mars 2011 et août 2013, des périodes d'activité, comme extra ou sous contrat à durée déterminée, en tant que commis de salle ou agent de service auprès de plusieurs entreprises, et des périodes de chômage. Entre 2013 et 2021, l'intéressé a fait l'objet de six condamnations à des peines atteignant un quantum total de trois ans et huit mois d'emprisonnement. En particulier, il s'est rendu coupable, le 10 avril 2012, de faits de vol aggravé par trois circonstances, qui lui ont valu d'être condamné, le 6 juin 2013, par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d'un an et six mois d'emprisonnement dont 6 mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 2 ans, sursis qui a été révoqué par le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Bobigny le 21 mai 2015. Le 28 juin 2014, il a commis des faits de vol avec destruction ou dégradation (récidive de tentative), qui lui ont valu une condamnation, le 1er juillet 2014, par le tribunal correctionnel de Bobigny à une peine de quatre mois d'emprisonnement. Il a également commis des faits de vol aggravé par deux circonstances (complicité), qui lui ont valu d'être condamné, le 26 février 2016, par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis. De plus, l'intéressé s'est rendu coupable, le 6 septembre 2016, de faits de vol par escalade dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt (récidive de tentative), pour lesquels il a fait l'objet d'une condamnation, le 7 septembre 2016, par le tribunal correctionnel de Pontoise à une peine de quatre mois d'emprisonnement, et, le 21 août 2017, de faits de vol en réunion, pour lesquels il a été condamné, le 4 mai 2018, par le tribunal correctionnel d'Evry à une peine de six mois d'emprisonnement. Enfin, par une ordonnance pénale du 14 juin 2021 du président du tribunal judiciaire de Bobigny, il a été condamné pour des faits, commis le 21 novembre 2020, de conduite d'un véhicule à moteur malgré une injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points.

6. Sur ce comportement délictueux et sa persistance, M. A..., qui ne justifie d'aucune activité professionnelle entre les mois de septembre 2013 et février 2018, ne fournit aucun commencement d'explication sérieuse, en se bornant à faire état de " mauvaises fréquentations ", ni ne fait montre d'une réelle distanciation ou d'une prise de conscience tangible par rapport à la nature et à la gravité des faits en cause. Par ailleurs, l'intéressé ne justifie pas davantage d'une réinsertion sociale et professionnelle suffisamment ancienne et stable, ni de gages avérés et sérieux de non réitération. A cet égard, il ne fait état que d'une activité salariée, sous contrat à durée déterminée, en qualité d'agent de service auprès de la société " Logisur " entre les mois de mars 2018 et août 2019, d'un stage auprès de la société " Leader Price " du 14 au 27 janvier 2020, d'une mission d'intérim du 24 au 28 mars 2020 comme employé polyvalent auprès de la société " Monoprix ", d'une mission d'intérim du 26 avril 2020 au 16 mai 2020 comme préparateur de commande auprès de la société " Samada " ainsi que d'une formation, du 21 décembre 2020 au 2 janvier 2021, de technicien en fibre optique, sans être à même de l'achever, faute d'un permis de conduire. De plus, le requérant ne justifie d'aucune activité professionnelle après le mois de mai 2020 et, en particulier, à la date de la décision attaquée, soit le 30 mars 2021. Enfin, si M. A... se prévaut de la présence en France de son père et de sa belle-mère, titulaires d'une carte de résident permanent, de deux de ses sœurs, titulaires d'une carte de résident, et de son frère, de nationalité française, ainsi que de ses deux beaux-frères et de ses neveux et nièces, l'intéressé, âgé de vingt-huit ans à la date de l'arrêté attaqué et qui ne justifie pas, par la seule production de deux attestations établies le 17 mai 2021 et le 2 août 2023 par une ressortissante française en des termes très peu circonstanciés, de l'ancienneté ou de l'effectivité même de la relation qu'il allègue entretenir avec cette personne, est célibataire et sans enfant et n'allègue pas sérieusement qu'il serait dépourvu de toute attache privée et familiale dans son pays d'origine où réside sa sœur aînée et où, d'ailleurs, lui-même s'est rendu en 2019.

7. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature, de la répétition, de la gravité et du caractère récent des faits délictueux commis par M. A... et de l'absence de gages sérieux et suffisants de non réitération et de réinsertion de la part de l'intéressé, dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public, et nonobstant l'avis favorable rendu le 11 février 2021 par la commission du titre de séjour, l'arrêté attaqué portant refus de renouvellement de titre de séjour ne peut être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris, notamment à ceux de préservation de l'ordre public. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté au motif qu'il était intervenu en violation des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et devant la Cour.

Sur la légalité de la décision attaquée :

9. En premier lieu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, et est, par suite, suffisamment motivée, alors même qu'elle ne mentionne pas expressément le caractère favorable de l'avis de la commission du titre de séjour ou l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle et familiale de M. A....

10. En deuxième lieu, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à l'examen particulier de la situation personnelle et familiale de M. A... avant de prendre à son encontre l'arrêté en litige.

11. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 à 7, en estimant que la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public, le préfet n'a commis aucune erreur d'appréciation.

12. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 ou de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, ni que le préfet de police aurait examiné sa situation au regard de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 30 mars 2021. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A... aux fins d'injonction et d'astreinte et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2111562 du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de police et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

I. MARIONLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22PA01568


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01568
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : HARIR

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-10;22pa01568 ?
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