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28/06/2023 | FRANCE | N°22PA04244

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 28 juin 2023, 22PA04244


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2106777/12 du 17 août 2022, le Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021, a enjoint au préfet territorialement compét

ent de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2106777/12 du 17 août 2022, le Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021, a enjoint au préfet territorialement compétent de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen, de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2022, la préfète du Val-de-Marne demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2106777/12 du 17 août 2022 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Melun.

Elle soutient que :

- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas le droit de M. B... à être entendu ;

- les autres moyens soulevés au soutien de la demande de M. B... doivent être écartés.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 18 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Segretain a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant malien né le 31 décembre 1993, est entré sur le territoire français en 2018 selon ses déclarations. Par un arrêté du 9 juillet 2021, la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. La préfète du Val-de-Marne relève appel du jugement du 17 août 2022 par lequel le Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 9 juillet 2021, a enjoint au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans le délai de deux mois, de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, et de prendre toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le moyen retenu par le Tribunal administratif de Melun :

2. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...). " Aux termes de l'article 51 de la charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...). " Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ni sur chacune des décisions qui l'assortissent dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Pour accueillir le moyen tiré de ce que M. B... a été privé du droit d'être entendu, le Tribunal administratif de Melun a retenu qu'il ne ressortait d'aucune pièce du dossier que l'intéressé avait été entendu avant que l'autorité administrative prenne sa décision, la préfète du Val-de-Marne n'ayant pas produit en défense. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et en particulier du procès-verbal du 9 juillet 2021, produit pour la première fois en appel, que M. B... a fait l'objet d'une audition par un agent de police judiciaire le jour de la notification de l'arrêté en litige, pendant laquelle il a notamment été interrogé sur sa situation administrative et a été amené à présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. La préfète du Val-de-Marne est dès lors fondée à se plaindre de ce que le tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif de Melun.

Sur les autres moyens soulevés en première instance par M. B... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :

5. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-1836 du 28 mai 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Val-de-Marne du même jour, la préfète du Val-de-Marne a donné délégation à M. A... C..., attaché adjoint à la cheffe du bureau de l'éloignement et du contentieux, pour signer notamment les décisions d'obligation de quitter le territoire français et interdictions de retour sur le territoire. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort de l'arrêté du 9 juillet 2021 qu'il comporte l'exposé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement, notamment en visant les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et en retenant que M. B... est entré en France en 2018 de manière irrégulière, n'a jamais sollicité la délivrance d'un titre de séjour, est célibataire et sans charge de famille. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire est suffisamment motivée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de M. B... n'aurait pas fait l'objet d'un examen sérieux et particulier.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui allègue être entré sur le territoire en 2018, ne justifie néanmoins par aucune pièce l'ancienneté de sa résidence en France, qu'il est célibataire, sans charge de famille, qu'il déclare vivre dans un foyer à Vitry-sur-Seine, et que, s'il allègue avoir des cousins en France, le reste de sa famille se trouve au Mali selon ses propres déclarations. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elle poursuit et ne méconnaît pas les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède, que le moyen, invoqué à l'encontre de la décision distincte fixant le délai de départ volontaire, et tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire, doit être écarté.

10. En deuxième lieu, il ressort de l'arrêté en litige qu'il indique que le risque que M. B... se soustraie à l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet est établi par le fait qu'il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. L'arrêté retient également qu'aucune circonstance particulière de nature à remettre en cause la réalité du risque de fuite ne ressort de ses allégations ni de l'examen de sa situation et que, dans ces conditions, l'existence du risque s'oppose à ce qu'il lui soit laissé pour satisfaire cette obligation le délai de départ volontaire mentionné à l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, la décision comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivée. Dès lors, le moyen doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ".

12. Dès lors que M. B... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire était caractérisé, l'intéressé n'invoquant aucune circonstance particulière faisant obstacle à cette appréciation. La préfète du Val-de-Marne pouvait dès lors refuser à M. B... un délai de départ volontaire sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 8, que le moyen, invoqué à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi, et tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire, doit être écarté.

14. En second lieu, l'arrêté en litige vise l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne la nationalité de M. B... et précise qu'il n'établit pas être exposé à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision fixant le pays de destination doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 8, que le moyen, invoqué à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, et tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire, doit être écarté.

16. En deuxième lieu, il ressort de l'arrêté du 9 juillet 2021 que la préfète du Val-de-Marne, après avoir indiqué qu'en application de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé, l'obligation de quitter le territoire peut être assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf si des circonstances humanitaires s'y opposent, a relevé que M. B... ne justifiait d'aucune circonstance humanitaire et que compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée de l'interdiction de retour de deux ans ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au regard de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, l'interdiction de retour sur le territoire est suffisamment motivée, notamment sur la durée de l'interdiction, et ne révèle pas un défaut d'examen sérieux et particulier de la situation de M. B....

17. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. "

18. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 12 que la décision par laquelle la préfète du Val-de-Marne a refusé d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'illégalité. D'autre part, ainsi que la préfète l'a relevé dans l'arrêté en litige, M. B..., qui est célibataire et sans charge de famille, ne justifie d'aucune circonstance humanitaire particulière, et est entré en France en 2018 selon ses déclarations. Dans ces conditions, la décision par laquelle la préfète du Val-de-Marne a assorti l'obligation de quitter le territoire d'une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à se plaindre, eu égard aux pièces produites en appel, de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 9 juillet 2021. Il y a lieu en conséquence d'annuler les seuls articles 1er à 3 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal en ce qu'elles étaient dirigées contre ledit arrêté, aucun motif ne justifiant l'annulation de l'article 4 par lequel le tribunal, devant lequel aucune défense n'avait été produite, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement du 17 août 2022 du Tribunal administratif de Melun sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Melun sont rejetées en tant qu'elles étaient dirigées contre l'arrêté du 9 juillet 2021 de la préfète du Val-de-Marne.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... B....

Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

-M. Magnard, premier conseiller,

- M. Segretain, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.

Le rapporteur,

A. SEGRETAINLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 22PA04244


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04244
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Alexandre SEGRETAIN
Rapporteur public ?: Mme PRÉVOT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-28;22pa04244 ?
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