La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2023 | FRANCE | N°21PA00516

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 04 mai 2023, 21PA00516


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GRTgaz, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Créteil à lui verser la somme de 234 605 euros hors taxes, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation adressée le 29 septembre 2017, et capitalisation des intérêts, à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 1800809 du 1er décembre 2020 le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande et condamné la commune de Créteil à lui verse

r une somme de 234 605 euros, assortie des intérêts à compter du 29 septembre 2017, et de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GRTgaz, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Créteil à lui verser la somme de 234 605 euros hors taxes, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation adressée le 29 septembre 2017, et capitalisation des intérêts, à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 1800809 du 1er décembre 2020 le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande et condamné la commune de Créteil à lui verser une somme de 234 605 euros, assortie des intérêts à compter du 29 septembre 2017, et de la capitalisation de ces intérêts.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 janvier et 9 décembre 2021 et 27 janvier 2023, la commune de Créteil, représentée par Me Israël, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser à la société GRTgaz la somme, au principal, de 234 605 euros à titre de dommages et intérêts, et celle de 1 500 euros au titre des frais de l'instance ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par la société GRTgaz ;

3°) à titre subsidiaire, de dire que l'Etat la garantira et la relèvera de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle et de ramener le préjudice à de plus justes proportions ;

4°) de mettre à la charge de tout succombant une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le maire n'a commis aucune faute dans la délivrance du permis de construire ; il n'est en effet pas caractérisé qu'en délivrant le permis de construire le maire ait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et il n'était pas tenu de refuser ce permis ; par ailleurs, il ne savait pas que le projet était situé à proximité d'une canalisation de gaz haute pression, la société Novo BL ne l'ayant pas indiqué dans sa demande de permis de construire, de sorte que son appréciation sur la faisabilité du projet a été faussée, aucune servitude d'utilité publique n'ayant été, par ailleurs, instituée par le préfet à cet égard, enfin, il n'était pas tenu de vérifier, au stade de l'instruction du permis de construire, que le pétitionnaire et le transporteur avaient fait réaliser les études utiles ;

- le prétendu préjudice n'est pas imputable à une faute dans la délivrance du permis de construire, mais à l'absence de réalisation des travaux de protection de la canalisation par la société Novo BL et la société GRTgaz, ces sociétés devant s'entendre, même en dehors du permis, sur la prise en charge de ces travaux, et le permis étant délivré sous réserve des droits des tiers ; plus encore, les mesures de protection s'imposent à la société GRTgaz qui a une obligation de sécurité de ses canalisations ; l'action de la société GRTgaz n'aurait donc dû être dirigée que contre la société Novo BL ;

- le préjudice n'est pas justifié dans son quantum ;

- doivent être retenues les fautes commises, d'une part, par la société Novo BL, qui n'a pas saisi pour avis le transporteur en amont de la délivrance du permis de construire, d'autre part, par la société GRTgaz, qui n'a mis en œuvre aucun moyen de nature à s'opposer à la construction projetée, et enfin par l'Etat, en ce que le préfet n'a pas institué de servitude comme il y était tenu, n'a pas exercé son pouvoir de police spéciale issu de l'article R. 555-44 II du code de l'environnement, et n'a pas déféré ce permis de construire dans le cadre de son contrôle de légalité ; elle est bien fondée à appeler en garantie l'Etat et les fautes de la société GRTGaz, de la société Novo BL et du préfet sont de nature à l'exonérer de toute responsabilité.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19, 27 et 31 janvier 2023, la société GRTgaz, représentée par Me Laymond, conclut au rejet de la requête, et en tout état de cause, à la condamnation de la commune de Créteil à lui verser la somme actualisée, dans le dernier état de ses écritures, de 254 395 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, assortie des intérêts à compter du 29 septembre 2017, et de la capitalisation de ces intérêts, ainsi qu'à la mise à la charge de la commune de Créteil d'une somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en ce qui concerne l'évaluation de son préjudice, les coûts estimés par l'étude du bureau d'études Canetud, doivent être ramenés à 29 700 euros hors taxes pour la maîtrise d'œuvre, et portés à 223 195,79 euros hors taxes pour les travaux ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut au rejet de l'appel en garantie formé par la commune de Créteil à l'encontre de l'Etat.

Il soutient que :

- l'Etat n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le préjudice n'est pas justifié.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 4 août 2006 portant règlement de la sécurité des canalisations de transport de gaz combustibles, d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés et de produits chimiques ;

- l'arrêté du 5 mars 2014 définissant les modalités d'application du chapitre V du titre V du livre V du code de l'environnement et portant règlement de la sécurité des canalisations de transport de gaz naturel ou assimilé, d'hydrocarbures et de produits chimiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Israël, avocat de la commune de Créteil,

- et les observations de Me Laymond, avocat de la société GRTgaz.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 1er août 2014, au vu d'une demande déposée le 13 février 2014, le maire de la commune de Créteil a accordé un permis de construire à la société Novo BL en vue de la construction d'un établissement recevant du public (ERP) de 5ème catégorie d'une capacité de 196 personnes, de restauration rapide, au 83 avenue du Maréchal Foch, sur un terrain situé à 100 mètres environ d'une canalisation de transport de gaz naturel haute pression gérée par la société GRTgaz. Saisie d'une déclaration d'intention de commencement des travaux (DICT) par la société Colas, en charge de la réalisation des travaux pour la société Novo BL, le 29 janvier 2015, la société GRTgaz a conduit une étude d'acceptabilité du projet qui a conclu à la nécessité d'une protection mécanique de la canalisation sur une longueur de 305 mètres au regard des dangers qu'elle représente pour les personnes accueillies dans cet ERP et les biens. La société GRTgaz a recherché la responsabilité de la commune de Créteil à raison du coût des travaux de protection de la canalisation qu'elle doit supporter, tandis qu'ils auraient dû être mis à la charge du pétitionnaire si le permis de construire avait été assorti de prescriptions en ce sens. Elle a demandé à la ville de Créteil, par une réclamation préalable du 28 septembre 2017, de l'indemniser du coût de ces travaux, sur le fondement d'une faute du maire dans la délivrance du permis de construire du 1er août 2014, ainsi que de la faute du maire dans son abstention à s'opposer, postérieurement à ce permis, à l'ouverture de l'ERP au titre de ses pouvoirs de police générale. Une décision implicite de rejet de cette réclamation préalable est née du silence gardé par la ville de Créteil. La société GRTgaz a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Créteil à lui verser la somme de 234 605 euros hors taxes, à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation adressée le 29 septembre 2017, et capitalisation des intérêts. Par un jugement du 1er décembre 2020, dont la commune de Créteil fait appel, ce tribunal a fait droit à sa demande et condamné la commune de Créteil à lui verser une somme de 234 605 euros, assortie des intérêts à compter du 29 septembre 2017, ceux-ci portant eux-mêmes capitalisation à compter de cette date.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

S'agissant de la faute de la commune dans la délivrance d'un permis de construire :

2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ". Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire ou la subordination de sa délivrance à des prescriptions spéciales sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent.

3. Aux termes des dispositions du troisième alinéa de l'article 8 de l'arrêté du 4 août 2006 portant règlement de la sécurité des canalisations de transport de gaz combustibles, d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés et de produits chimiques : " La canalisation est implantée de telle sorte qu'il n'existe dans la zone des premiers effets létaux ni établissement recevant du public relevant de la 1ère à la 3ème catégorie, ni immeuble de grande hauteur, ni installation nucléaire de base, et en outre dans la zone des effets létaux significatifs aucun établissement recevant du public susceptible de recevoir plus de 100 personnes. Cette disposition peut, le cas échéant, être atteinte par la mise en œuvre de dispositions compensatoires adaptées ayant pour effet de retenir un scénario de référence réduit. ".

4. Il ressort du porter à connaissance du préfet du Val-de-Marne du 18 juillet 2011 dans le cadre de la révision du plan local d'urbanisme de la commune de Créteil qui sera approuvée par délibération du 13 décembre 2013, produit au dossier, qu'il mentionne au titre de la prise en compte des contraintes liées à l'environnement, notamment les canalisations de transport de matières dangereuses, pour lesquelles il rappelle la réglementation applicable, soit l'arrêté ministériel du 4 août 2006 visant " à assurer de façon durable une urbanisation adaptée au voisinage de ces ouvrages, notamment en ce qui concerne les établissements recevant du public (ERP) " et précise que " la commune de Créteil est concernée par quatre canalisations de transport de gaz exploitées par la société GRTgaz. Une cartographie est jointe. " et que " Les contraintes en matière d'urbanisme concernent essentiellement les projets nouveaux relatifs aux établissements recevant du public les plus sensibles ". Etait annexée à ce porter à connaissance une fiche n° 8 d'information relative aux risques présentés par les canalisations de transport de matières dangereuses et sa carte de localisation, laquelle dans un tableau relatif à la maîtrise de l'urbanisation, indique s'agissant des canalisations de type DN (diamètre nominal) 600 et PMS (pression maximale de service) 55 bar, qu'une zone de 245 mètres autour de celle-ci justifie des restrictions de construction d'ERP susceptible de recevoir plus de 100 personnes et qu'une zone de 305 mètres justifie l'information du transporteur de tout projet d'urbanisme, ces données s'appuyant sur l'étude de dangers relatifs à l'environnement de la canalisation en cause réalisée en 2009 par GRTgaz en vertu de l'article 5 de l'arrêté du 4 août 2006.

5. Il résulte de l'instruction que le plan local d'urbanisme de la commune de Créteil tel que modifié par la délibération du 6 décembre 2010, comportait déjà en annexe 1 les servitudes d'utilité publique, dont les servitudes relatives aux canalisations de gaz haute pression, lesquelles sont reportées sur un plan d'identification des servitudes daté de juin 2013.

6. Les dispositions de l'article L. 555-16 du code de l'environnement, prévoient que la construction de certains établissements recevant du public sont interdites ou subordonnées à la mise en place de mesures particulières de protection par le maître d'ouvrage du projet en relation avec le titulaire de l'autorisation, lorsqu'une canalisation de transport en service est susceptible de créer des risques. Toutefois ces dispositions ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce, dès lors que le préfet du Val-de-Marne n'avait pas encore institué en application de cet article L. 555-16, les servitudes d'utilité publiques subordonnant, dans les zones d'effets létaux de la canalisation, la délivrance du permis de construire relatif à un établissement recevant du public susceptible de recevoir plus de 100 personnes, à la fourniture d'une analyse de compatibilité ayant reçu l'avis favorable du transporteur, comme les dispositions de l'article R. 555-30 du code de l'environnement, le prévoient. Pour les mêmes raisons, les dispositions de l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme, qui prévoient que le dossier joint à la demande de permis de construire comprend dans le cas d'un projet de construction d'un établissement recevant du public de plus de 100 personnes à proximité d'une canalisation de transport, et dans la zone de dangers, l'analyse de compatibilité du projet avec la canalisation du point de vue de la sécurité des personnes, n'étaient pas applicables au projet.

7. Il est constant, toutefois, que le projet en cause, qui concerne un ERP de plus de 100 personnes, se situe dans la zone des effets létaux significatifs, à 100 mètres de la canalisation DN600-1982-Ferolles-Attilly-Alfortville-Station, dans laquelle la réglementation applicable de l'arrêté ministériel du 4 août 2006 n'autorise, en vertu de son article 8 précité, aucun établissement recevant du public de ce type, sauf à mettre en œuvre des dispositions compensatoires adaptées. Dès lors que la commune de Créteil avait, à la date de sa décision de délivrer le permis de construire en cause, par le porter à connaissance du préfet du Val-de-Marne de 2011, une connaissance certaine de la présence de ces canalisations et des contraintes qu'elles induisent en matière d'urbanisation en fonction des risques qu'elles représentent, soit de potentiels effets létaux en cas de rupture de celles-ci ou de pertes de confinement accidentelles et qu'elle avait pris en compte ces canalisations dans son plan local d'urbanisme au titre de servitudes, il lui appartenait d'examiner au titre des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, si le projet de construction était, eu égard à cette situation, de nature à porter atteinte à la sécurité publique, avant le cas échéant, de l'autoriser sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales. Il est constant que la commune de Créteil, qui prétend d'ailleurs dans ses écritures qu'elle n'avait pas connaissance de ces canalisations, n'a pas procédé à cet examen et n'a en conséquence pas assorti la délivrance du permis de construire de prescriptions.

8. Ainsi, compte tenu de la configuration des lieux, des données dont disposait le maire sur la présence d'une canalisation à proximité et sur ses potentiels effets létaux en cas d'accident, et des caractéristiques du projet, en ne subordonnant pas la délivrance du permis de construire sollicité à des prescriptions visant à mettre en place des mesures de protection de la canalisation, le maire de Créteil a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des risques que le projet faisait courir en termes de sécurité publique au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, le permis de construire délivré par le maire de Créteil est entaché d'illégalité, laquelle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. L'étude d'acceptabilité du projet conduite par la société GRTgaz à la suite de la réception de la déclaration d'intention de commencement des travaux par la société Colas, en janvier 2015, réalisée le 9 février 2015, a d'ailleurs conclu à l'existence d'un risque industriel non acceptable et à l'obligation de prévoir des mesures compensatoires sur environ 305 mètres de canalisation.

S'agissant de la faute de la commune dans son abstention à s'opposer à l'ouverture de l'ERP au titre de ses pouvoirs de police générale :

9. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :(...) / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; ".

10. Si, la réalisation du dommage, consistant pour la société GRTgaz au financement du coût des travaux de protection de la canalisation, aurait pu être évitée, postérieurement à la délivrance du permis de construire, par l'opposition du maire à l'ouverture de l'établissement en cause, qui a eu lieu en juillet 2015, toutefois, il résulte de l'instruction que si la commune avait été alertée par la société GRTgaz, dès le mois de février 2015, des risques que présentait la construction d'un ERP à proximité de sa canalisation, elle l'était également de la possibilité de les prendre en compte par des mesures compensatoires de protection de cette canalisation, autorisant ainsi la coexistence de l'ERP à proximité de celle-ci. Dès lors que l'exercice du pouvoir de police ne peut conduire à prendre une mesure présentant un caractère général et absolu, dans ces circonstances, le refus d'ouverture de l'établissement aurait été disproportionné au regard de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public poursuivi. L'abstention du maire à exercer celui-ci ne peut donc en l'espèce être regardée comme fautive.

11. Ainsi, seule la faute commise par le maire dans la délivrance d'un permis de construire illégal est susceptible d'être à l'origine de la réalisation du dommage subi par la société GRTgaz, lequel a consisté à supporter le coût des mesures de protection de sa canalisation compte tenu du permis délivré à proximité de celle-ci.

S'agissant des fautes de la société GRT Gaz, de l'Etat et du pétitionnaire alléguées par la commune de Créteil :

En ce qui concerne la faute de la société GRTgaz :

12. Il résulte de l'instruction, comme il a déjà été dit, que la société GRTgaz n'a eu connaissance de la délivrance d'un permis de construire pour un ERP de plus de 100 personnes à proximité d'une de ses canalisations, qu'en janvier 2015 par la déclaration d'intention de commencement des travaux de la société en charge des travaux, à une date à laquelle le permis de construire du 1er août 2014 ne pouvait plus être contesté. Néanmoins, elle n'a pas alors manqué de faire toutes diligences auprès du pétitionnaire, dès le mois de janvier 2015, de la mairie, dès le mois de février suivant, et de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie d'Ile-de-France, dès le mois d'avril, pour alerter sur les risques liés à ce projet, compte tenu des conclusions de l'étude d'acceptabilité qu'elle avait menée, comme en attestent les courriers versés au dossier. Il ne saurait donc lui être reproché de ne pas avoir tenté, par tous les moyens dont elle disposait, de s'opposer à la construction en cause.

En ce qui concerne la faute de l'Etat :

13. En premier lieu, aux termes de l'article R. 555-30 du code de l'environnement, issu du décret n° 2012-615 du 2 mai 2012 : " Le préfet de chaque département concerné institue par arrêté pris après avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement et de risques sanitaires et technologiques : / b) En application du troisième alinéa de l'article L. 555-16, des servitudes d'utilité publiques : ' subordonnant, dans les zones d'effets létaux en cas de phénomène dangereux de référence majorant au sens de l'article R. 555-39, la délivrance d'un permis de construire relatif à un établissement recevant du public susceptible de recevoir plus de 100 personnes ou à un immeuble de grande hauteur à la fourniture d'une analyse de compatibilité ayant reçu l'avis favorable du transporteur ou, en cas d'avis défavorable du transporteur, l'avis favorable du préfet rendu au vu de l'expertise mentionnée au III de l'article R. 555-31 ; (...) ".

14. S'il est constant qu'à la date de l'arrêté de permis de construire en cause du 1er août 2014, le préfet du Val-de-Marne n'avait pas encore institué en application des dispositions précitées de l'article R. 555-30 du code de l'environnement, de servitude d'utilité publique pour la canalisation de transport de gaz en cause, dont il aurait découlé pour le pétitionnaire l'obligation de réaliser une étude de compatibilité de son projet avec la canalisation, indiquant le cas échéant la mise en place de mesures de protection de celle-ci, à sa charge, qui aurait dû être jointe à la demande de permis de construire, aucun délai n'étant prévu par les textes en vigueur pour son application, l'absence d'institution de ces servitudes à la date de délivrance du permis de construire, ne peut être considérée comme fautive.

15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité (...) ".

16. Les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat que si elles présentent le caractère d'une faute lourde. Il ne résulte pas de l'instruction que l'abstention du préfet à déférer au juge administratif l'autorisations de construire en cause, puisse, en l'espèce, être regardée comme constitutive d'une faute lourde.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 555-44 du code de l'environnement : " II. - Lorsque des travaux ou activités sont exécutés à proximité d'une canalisation de transport en service dans des conditions susceptibles de créer un danger grave pour l'intégrité de la canalisation et pour la sécurité des personnes ou pour la protection des intérêts visés au II de l'article L. 555-1, le préfet peut suspendre ces travaux sans condition préalable. ".

18. Contrairement à ce qu'allègue la commune de Créteil, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet du Val-de-Marne aurait dû exercer le pouvoir de police spéciale que lui confèrent les dispositions précitées, dès lors que les travaux de construction de l'ERP en eux-mêmes n'atteignaient ni à l'intégrité de la canalisation ni à la sécurité des personnes, seule son exploitation à proximité de cette canalisation étant en cause.

En ce qui concerne la faute du pétitionnaire :

19. Aux termes des dispositions de l'article 5, relatives à l'étude de sécurité, de l'arrêté du 4 août 2006, qui étaient en vigueur jusqu'au 1er juillet 2014, et étaient donc applicables lors de l'instruction du permis de construire en cause : " Sur demande écrite de tout aménageur prévoyant la construction ou l'extension d'un établissement recevant du public de plus de 100 personnes ou d'un immeuble de grande hauteur à l'intérieur de la zone des premiers effets létaux du scénario de référence liée à une canalisation de transport, et à condition que cette demande soit accompagnée de la description du projet (plan de masse du projet avec l'emplacement des accès et issues de secours, nature de l'activité, nombre maximal de personnes accueillies, raisons justifiant l'impossibilité d'écarter l'emprise du projet de la zone d'effets), le transporteur lui délivre dans le délai maximal de deux mois les éléments suivants, pour permettre à l'autorité compétente de statuer sur l'acceptabilité de la délivrance du permis de construire : / - les informations sur les bandes d'effets ; /- le cas échéant, une analyse démontrant que le projet permet dans l'immédiat et sans condition supplémentaire de respecter les critères du troisième alinéa de l'article 8 ; / - à défaut de la démonstration ci-dessus, la liste des mesures compensatoires, si elles existent, dont la mise en œuvre permettrait, en application du guide professionnel susmentionné, le respect de ces critères. ".

20. Il résulte de ces dispositions, que la société Novo BL, aurait dû, demander les informations à la société GRTgaz en sa qualité de transporteur, en tant qu'aménageur prévoyant la construction d'un établissement recevant du public de plus de 100 personnes, en amont de sa demande de permis de construire, pour permettre au maire d'avoir, comme cet article l'indique, des éléments sur l'acceptabilité de la délivrance du permis de construire, et en particulier, en l'espèce, la liste des mesures compensatoires pouvant être mises en œuvre pour respecter les dispositions précitées du troisième alinéa de l'article 8 de l'arrêté du 4 août 2006, relatives à l'implantation de la canalisation par rapport à son environnement urbain. Or il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le pétitionnaire n'a contacté la société GRTgaz, qu'au stade du commencement des travaux, par une entreprise prestataire, et non lors de sa demande de permis de construire, de sorte que cette dernière ne comportait aucune indication au sujet de la présence de la canalisation et de sa prise en compte, qui aurait pu alerter les services instructeurs de la mairie. La société Novo BL ne pouvait ignorer, au vu de la situation du terrain, la présence de cette canalisation, ce qui l'a d'ailleurs amenée à faire cette déclaration d'intention de commencement des travaux auprès de la société GRTgaz en janvier 2015. La société Novo BL a donc également commis une faute, en s'abstenant de recueillir les informations nécessaires auprès de la société GRTgaz et d'en informer le maire dans le cadre de sa demande de permis de construire. Au surplus, ayant été informée par la société GRTgaz, dès que celle-ci a été prévenue de l'existence du projet par la déclaration d'intention de commencement des travaux, de la nécessité de mettre en place des mesures de protection de la canalisation, la société Novo BL qui a eu initialement l'intention de modifier son projet, en termes de réduction de la capacité des personnes accueillies ou travaillant dans l'ERP, pour se conformer aux dispositions de l'arrêté du 4 août 2006 en matière de sécurité, en déposant un permis modificatif, n'a pas poursuivi la réduction envisagée qui aurait permis d'éviter la mise en place de mesures compensatoires sur la canalisation.

S'agissant du lien de causalité et de l'évaluation du préjudice :

21. Le préjudice dont la société GRT gaz demande réparation correspond au montant des frais liés aux mesures compensatoires de sécurité qu'elle est tenue de mettre en œuvre en sa qualité d'exploitante des installations de transport de gaz. Il résulte de l'instruction, et il n'est au demeurant pas sérieusement contesté, que, d'une part, si le permis de construire n'avait pas été délivré ou s'il avait été délivré assorti de prescriptions spéciales relatives à la mise en place de mesures compensatoires de sécurité, dont il aurait alors appartenu au pétitionnaire de supporter la charge, la société GRT gaz n'aurait pas été amenée à exposer les frais qui constituent son préjudice. Si la faute de la société Novo BL et la faute de la commune à avoir délivré le permis de construire se sont succédées, seule la faute de la commune portait en elle l'intégralité du dommage, et présente ainsi un lien de causalité direct et certain avec ce dommage. La faute de la société Novo BL, prise isolément, n'emportant quant à elle, aucune conséquence dommageable.

22. La simple circonstance que la société GRTgaz ait ramené l'évaluation de son préjudice à la somme de 233 105 euros hors taxes, à l'issue d'une étude du 13 mai 2019 confiée à un bureau d'études spécialisé dans les réseaux, Canetud, alors qu'elle l'avait elle-même chiffré à 452 000 euros dans une première estimation sommaire, ne démontre nullement que le montant ne serait pas justifié. Par ailleurs, les mesures de protection consistant en la pose de plaques en polyéthylène haute densité autour de la canalisation et entre 30 et 50 cm au-dessus de celle-ci, ainsi qu'à chaque extrémité du tronçon, ne sont pas contestées en elles-mêmes par la commune. Il résulte de l'étude déjà mentionnée que la longueur à protéger a été réduite à 158 mètres, sur les 196 mètres de canalisation étudiés, en raison des zones en sur-profondeur de plus de trois mètres, dans lesquelles il n'est pas nécessaire de poser une protection mécanique. Il en ressort également que la canalisation étant située sous chaussée et plus particulièrement sous une usine d'incinérations industrielles, des sondages préalables et la réalisation de relevés par un géomètre sont nécessaires pour repérer précisément les profondeurs de la canalisation et son tracé, et également les autres réseaux enfouis sur le site. De même, une recherche d'amiante dans l'enrobé de la chaussée à déposer, était requise, dont le diagnostic a été préalablement réalisé par un autre bureau d'études en avril 2019, pris en compte pour l'évaluation du coût des travaux de désamiantage dans l'étude Canetud. Il résulte également de cette dernière étude que les risques présentés par les travaux de sondage, terrassement et de remise en état, à proximité de canalisations sensibles, nécessitent une supervision renforcée. Le montant du dommage chiffré à 233 105 euros hors taxes par la société GRTgaz, inclut ainsi un poste de 34 500 euros de maîtrise d'œuvre pour la réalisation d'études de détail, du pilotage, de la supervision et de la constitution du dossier de fin d'affaires, ainsi qu'un poste de travaux de 198 605 euros comprenant la pose des protections, les travaux du géomètre, d'un coordinateur et d'un préventeur et ceux liés à l'amiante. Ces coûts qui ont été déterminés par un bureau d'études indépendant spécialisé dans le domaine des canalisations, et dont il faut relever qu'ils sont moins élevés que ceux estimés par la société GRTgaz initialement, ne sont pas utilement remis en cause par la commune de Créteil, qui se borne à renvoyer à un référentiel de coûts des travaux classiques sans tenir compte des difficultés et risques particuliers des travaux en cause. Dans ses écritures en appel, la société GRTgaz fait valoir que les coûts estimés par l'étude du bureau d'études Canetud, doivent être actualisés en fonction des travaux réalisés, à la somme de 29 700 euros hors taxes pour la maîtrise d'œuvre, et 223 195,79 euros hors taxes pour les travaux. Elle justifie au dossier des factures correspondant à ces coûts. En revanche si la société GRTgaz ajoute à ces postes de préjudice, celui d'un référé-préventif qu'elle évalue à 1 500 euros, elle n'en justifie nullement au dossier. Dans ces conditions, il y a lieu d'évaluer le préjudice subi par la société GRTgaz à la somme de 252 896 euros hors taxes.

23. La commune de Créteil n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun l'a condamnée à indemniser la société GRTgaz de son entier préjudice. Compte tenu toutefois de l'actualisation de ce dernier, il y a lieu par suite de porter la somme de 234 605 euros allouée par les premiers juges à la société GRTgaz à celle de 252 896 euros hors taxes euros en indemnisation de ces chefs de préjudice.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

24. La société GRTgaz a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 252 896 euros à compter du 29 septembre 2017, date de réception par la commune de Créteil de sa demande indemnitaire.

25. Il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts de la société GRTgaz à compter du 29 septembre 2018, date à laquelle les intérêts, demandés dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif, étaient dus pour une année entière, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie de l'Etat :

26. Compte tenu de ce qui a été exposé aux points 13 à 18, en l'absence de faute commise par l'Etat, les conclusions de la commune de Créteil tendant à ce que l'Etat la garantisse des condamnations prononcées à son encontre doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société GRTgaz, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Créteil demande au titre des frais qu'elle a exposés. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Créteil une somme de 1 500 euros à verser à la société GRTgaz.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 234 605 euros que la commune de Créteil a été condamnée par le jugement attaqué à verser à la société GRTgaz, est portée à la somme de 252 896 euros hors taxes. Cette somme portera intérêts légaux à compter du 29 septembre 2017. Les intérêts échus à la date du 29 septembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 1er décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Créteil versera à la société GRTgaz, une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Créteil, à la société GRTgaz et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Renaudin, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.

La rapporteure,

M. RENAUDINLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00516


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00516
Date de la décision : 04/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : ISRAEL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-04;21pa00516 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award