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15/03/2023 | FRANCE | N°21PA06143

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 15 mars 2023, 21PA06143


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Blue Solutions a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement de son déficit reportable, à hauteur de 7 650 391 euros au titre de l'exercice 2012, de 746 995 euros au titre de l'exercice 2013, et de 734 105 euros au titre de l'exercice 2014.

Par un jugement n° 2001046 du 30 septembre 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 décembre 2021 et le 1

5 juillet 2022, la SAS Blue Solutions, représentée par CMS Francis Lefebvre, demande à la C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Blue Solutions a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement de son déficit reportable, à hauteur de 7 650 391 euros au titre de l'exercice 2012, de 746 995 euros au titre de l'exercice 2013, et de 734 105 euros au titre de l'exercice 2014.

Par un jugement n° 2001046 du 30 septembre 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 décembre 2021 et le 15 juillet 2022, la SAS Blue Solutions, représentée par CMS Francis Lefebvre, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2001046 du 30 septembre 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer le rétablissement de son déficit reportable, à hauteur de 7 650 391 euros au titre de l'exercice 2012, de 746 995 euros au titre de l'exercice 2013, et de 734 105 euros au titre de l'exercice 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'absence de facturation d'intérêts à la société Blue Solutions Canada ne constitue pas un acte anormal de gestion, compte tenu de l'interdépendance existant entre elle et ce fournisseur, sans lequel elle n'aurait pas été à même de respecter ses engagements vis-à-vis de ses clients, et de la situation de cette société, subissant des pertes d'exploitation depuis l'année 2007 et à laquelle elle a dû consentir un abandon de créance en 2012 ;

- c'est à tort que l'administration a considéré que l'abandon de créance que lui a accordé la SA Bolloré constituait un produit exceptionnel alors qu'il s'inscrit dans le cadre des relations habituelles entre les deux sociétés, l'une contribuant aux besoins de financement de l'autre, de sorte que ce produit devait entrer dans le résultat courant avant impôts et les intérêts versés à sa société mère ne dépassent pas la limite prévue au b) du 1. du II de l'article 212 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Breillon, rapporteure publique,

- et les observations de Me Hamaoui, avocat de la SAS Blue Solutions.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Blue Solutions exerce une activité de fabrication de piles et d'accumulateurs électriques qui équipent des véhicules électriques et hybrides ainsi que des systèmes d'autopartage. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. A l'issue de cette vérification, le service a réintégré aux résultats des exercices vérifiés le montant des intérêts que la société Blue Solutions n'a pas facturés sur les avances qu'elle avait consenties à la société Blue Solutions Canada et a remis en cause la déductibilité d'une fraction des intérêts qu'elle a versés à la société Bolloré. Ces rectifications ont entraîné une diminution des déficits reportables de la société au titre de ses exercices 2013 et 2014. La SAS Blue Solutions a saisi le Tribunal administratif de Montreuil en vue d'obtenir le rétablissement de ces derniers. Par un jugement du 30 septembre 2021, dont la société relève appel, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les avances sans intérêts consenties à la société Blue Solutions Canada :

2. En vertu du premier alinéa de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ".

3. Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d'une entreprise située hors de France sous la forme de l'octroi de prêts sans intérêt constituent l'un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l'étranger. L'administration peut donc réintégrer dans les résultats d'une société imposable en France les intérêts dont la facturation a été omise à raison de la comptabilisation d'avances consenties à une société située hors de France, dès lors que la société imposable en France n'établit pas l'existence de contreparties justifiant cet avantage.

4. Il résulte de l'instruction que la SAS Blue Solutions a consenti à la société Blue Solutions Canada des avances en compte courant non rémunérées pour 42,9 millions d'euros en 2012, 43 millions d'euros en 2013 et 39 millions d'euros en 2014. L'administration, estimant que l'absence de facturation des intérêts qui auraient normalement dû rémunérer ces avances de fonds était constitutive d'un transfert indirect de bénéfices, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, a réintégré ces intérêts dans les résultats imposables en France de la société Blue Solutions.

5. La société Bascap, devenue SAS Blue Solutions, et la société Bathium Canada Inc., devenue société Blue Solutions Canada, ont conclu le 1er décembre 2011 une convention de compte-courant d'actionnaire, dont l'article 2 stipule que les sommes avancées par la première à la seconde ne sont pas productives d'intérêts. Il est constant que la société requérante détient l'intégralité des parts composant le capital social de la société Blue Solutions Canada, société de droit canadien, et qu'il existe donc un lien de dépendance entre ces deux sociétés.

6. La société requérante soutient qu'elle était dans une situation de dépendance industrielle et technologique vis-à-vis de sa filiale canadienne, son unique fournisseur de batteries LMP (lithium métal polymère), sans lequel elle n'aurait pas pu respecter ses propres engagements contractuels à l'égard de ses principaux clients. Toutefois, il n'est pas établi, comme le soutient le ministre, que la société Blue Solutions était dans l'impossibilité de se fournir auprès d'autres sociétés et que sa filiale canadienne détenait des brevets relatifs au type de batteries commercialisés. D'autre part, il n'est pas davantage établi que la société canadienne n'était pas à même de rémunérer les avances consenties, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle a versé des intérêts en contrepartie des avances consenties par son ancien actionnaire, la SA Bolloré, avant les années d'imposition en litige, période au cours de laquelle sa situation était encore moins favorable, et qu'il ressort de l'avis de la commission nationale des impôts directes et des taxes sur le chiffre d'affaires que son chiffre d'affaires croissait depuis l'année 2011. Par ailleurs, la SAS Blue Solutions était dans une situation plus fragile que sa filiale canadienne, qu'a aggravée la renonciation à percevoir des intérêts sur les avances accordées à sa filiale. Dans ces conditions elle n'établit pas que les avantages qu'elle a ainsi consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties les justifiant. Ainsi l'administration était fondée à réintégrer, dans les résultats imposables en France de la société Blue Solutions, les intérêts qui auraient dû rémunérer ces avances.

Sur la déductibilité des intérêts versés à la SA Bolloré :

7. Aux termes du 1 du II de l'article 212 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : " Lorsque le montant des intérêts servis par une entreprise à l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 et déductibles conformément au I excède simultanément au titre d'un même exercice les trois limites suivantes : / a) Le produit correspondant au montant desdits intérêts multiplié par le rapport existant entre une fois et demie le montant des capitaux propres, apprécié au choix de l'entreprise à l'ouverture ou à la clôture de l'exercice et le montant moyen des sommes laissées ou mises à disposition par l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 au cours de l'exercice, / b) 25 % du résultat courant avant impôts préalablement majoré desdits intérêts, des amortissements pris en compte pour la détermination de ce même résultat et de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l'issue du contrat, / c) Le montant des intérêts servis à cette entreprise par des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39, / la fraction des intérêts excédant la plus élevée de ces limites ne peut être déduite au titre de cet exercice, sauf si cette fraction est inférieure à 150 000 euros. / Toutefois, cette fraction d'intérêts non déductible immédiatement peut être déduite au titre de l'exercice suivant à concurrence de la différence calculée au titre de cet exercice entre la limite mentionnée au b et le montant des intérêts admis en déduction en vertu du I. Le solde non imputé à la clôture de cet exercice est déductible au titre des exercices postérieurs dans le respect des mêmes conditions sous déduction d'une décote de 5 % appliquée à l'ouverture de chacun de ces exercices ". En vertu du 12 de l'article du même code, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ou lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre, dans les conditions définies précédemment, sous le contrôle d'une même tierce entreprise.

8. L'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts dispose : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". L'article R. 123-192 du code de commerce dispose : " Les produits et les charges de l'exercice sont classés au compte de résultat de manière à faire apparaître par différence les éléments du résultat courant et le résultat exceptionnel dont la réalisation n'est pas liée à l'exploitation courante de l'entreprise ".

9. Un produit exceptionnel, au sens des dispositions du plan comptable général dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, ne peut concourir à la détermination du résultat courant avant impôts, pour l'application des dispositions précitées du b) du 1. du II de l'article 212 du code général des impôts.

10. Au cours de l'exercice 2012, la société requérante a versé à la société Bolloré, sa société-mère, qui, détenant 79,99 % de son capital social, lui est donc directement liée, des intérêts à hauteur de 3 774 898 euros, dans le cadre d'une convention de trésorerie conclue le

30 novembre 2011, et déduit de son résultat l'intégralité de ces intérêts. L'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la fraction de ces intérêts excédant la limite prévue au b) du 1. du II de l'article 212 précité, en estimant que l'abandon de créance consenti au cours de l'année 2012 à la société Blue Solutions par la société Bolloré, pour un montant de 70 millions d'euros et comptabilisé par la société Blue Solutions comme produit financier, correspondait en réalité à un produit exceptionnel qui ne pouvait ainsi concourir à la détermination du résultat courant avant impôts, et donc au calcul cette limite, dite " ratio de couverture d'intérêt ".

11. L'abandon de créance mentionné au point 10, alors même que la société Bolloré en aurait consenti d'autres aux sociétés dont elle finance le développement, ne peut être regardé, pour la SAS Blue Solutions, comme un produit résultant de son activité normale et courante, cette opération présentant par sa nature un caractère exceptionnel. Ainsi la SAS Blue Solutions ne saurait utilement soutenir que l'enregistrement comptable de l'abandon de créance en cause comme produit financier est conforme aux règles comptables applicables lors de l'année d'imposition concernée.

12. Enfin si la société Blue Solutions soutient que l'abandon de créance constitue une subvention d'exploitation qui vise à assurer l'équilibre du résultat d'exploitation et que donc cette subvention doit être comptabilisée en compte de produits courants, ce moyen est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Blue Solutions n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Blue Solutions est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Blue Solutions et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Jurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2023.

La rapporteure,

E. A...Le président,

C. JARDIN

La greffière,

L. CHANA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

2

N° 21PA06143


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06143
Date de la décision : 15/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Elodie JURIN
Rapporteur public ?: Mme BREILLON
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-15;21pa06143 ?
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