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10/02/2023 | FRANCE | N°22PA01319

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 10 février 2023, 22PA01319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... E... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- sous le n° 2010741, d'annuler la décision implicite du 17 février 2020 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler,

dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... E... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- sous le n° 2010741, d'annuler la décision implicite du 17 février 2020 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- sous le n° 2106436, d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par laquelle la préfète du

Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné à l'expiration de ce délai, d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2010741-2106436 du 16 février 2022, le tribunal administratif de Melun, d'une part, a annulé l'arrêté du 27 mai 2021 de la préfète du Val-de-Marne, a enjoint à la préfète du Val-de-Marne ou à tout autre préfet territorialement compétent de réexaminer la demande de titre de séjour de M. E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, a rejeté le surplus de ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 21 mars 2022 et le 19 mai 2022, la préfète du Val-de-Marne demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande n° 2106436 présentée par M. E... devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur de fait alors que le courriel du 3 août 2020 du service de la main d'œuvre étrangère de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, adressé à son employeur, et la demande du 29 décembre 2020 de pièces complémentaires, réceptionnée par l'intéressé le 8 janvier 2021, sont restés sans réponse ;

- la décision portant refus de titre de séjour a été signée par une autorité compétente ;

- elle est suffisamment motivée ;

- elle ne méconnaît pas les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été signée par une autorité compétente ;

- elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination n'est pas illégale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français est exempte d'illégalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2022, M. E..., représenté par Me Sourty, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, Me Sourty, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ayant été notifié au préfet le 18 février 2022, sa requête, enregistrée le 21 mars 2022, est tardive et donc irrecevable ;

- la décision portant refus de titre de séjour a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'erreurs de fait ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire a été signée par une autorité incompétente ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2022 à 12h00.

Par une décision du 18 octobre 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Paris, M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,

- et les observations de Me Sourty, avocat de M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant tunisien, né le 9 février 1966 et est entré en France, selon ses déclarations, en 2011, a sollicité, le 17 octobre 2019, son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 27 mai 2021, la préfète du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné à l'expiration de ce délai. La préfète du Val-de-Marne fait appel du jugement du 16 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a, à la demande de M. E..., annulé son arrêté du 27 mai 2021, lui a enjoint, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de réexaminer la demande de titre de séjour de l'intéressé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. E... :

2. Aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée ". Aux termes de l'article R. 751-4-1 du même code : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application (...). / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai (...) ". Enfin, aux termes de l'article 642 du code de procédure civile : " (...) Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué du 16 février 2022 a été mis à disposition de la préfète du Val-de-Marne, par le moyen de l'application Télérecours sur laquelle elle était inscrite, le 17 février 2022 à 12h32 et que cette dernière en a accusé réception le 18 février 2022 à 10h58. Le délai d'appel d'un mois qui lui était imparti, qui revêt le caractère d'un délai franc, a expiré le 19 mars 2022. Ce jour étant un samedi, il a été prorogé jusqu'au lundi 21 mars 2022. Ainsi, la requête susvisée de la préfète du Val-de-Marne, qui a été enregistrée le 21 mars 2022, n'était pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. E... et tirée de la tardiveté de cette requête ne peut être accueillie.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Pour annuler l'arrêté litigieux du 27 mai 2021 au motif qu'il était entaché d'une erreur de fait, le tribunal administratif, après avoir relevé que, pour rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. E... en qualité de salarié, " la préfète du Val-de-Marne s'est exclusivement fondée sur l'avis défavorable rendu le 6 novembre 2020 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi sur la demande d'autorisation de travail de l'intéressé, au motif que la demande de pièces complémentaires adressée le 3 août 2020 par courriel à son employeur était restée sans réponse ", a estimé, d'une part, que " M. E... soutient que son employeur n'a jamais reçu une telle demande, ce qui est corroboré par une attestation signée de ce dernier ", et que " la préfète du Val-de-Marne n'a produit aucune écriture de nature à démontrer que cette demande aurait été effectivement adressée ", d'autre part, que " M. E... établit avoir reçu une demande de pièces complémentaires le 29 décembre 2020, réceptionnée le 12 janvier 2021, à laquelle il justifie avoir répondu par un courrier de son conseil le 8 mars 2021 ".

5. Cependant, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que, pour refuser à M. E... le bénéfice d'une mesure de régularisation au titre de sa vie privée et familiale ou au titre d'une activité salariée, la préfète du Val-de-Marne s'est fondée sur l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l'intéressé, dont elle avait connaissance à la date de son arrêté. En outre, il était loisible à l'autorité préfectorale, dans le cadre de son pouvoir d'instruction, de saisir la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) pour recueillir son avis sur le projet d'emploi salarié invoqué par l'intéressé à l'appui de sa demande de titre de séjour. Par ailleurs, si M. E... fait valoir que son employeur, la société " Lsh Rénovation ", n'a jamais reçu la demande de pièces complémentaires que la DIRECCTE lui a adressée par un courriel du 3 août 2020 et précise que l'adresse électronique de son employeur est " contact.lshrenovation@gmail.com " et non pas " hamdenn@live.fr ", il ressort des pièces produites en appel par la préfète du Val-de-Marne que la DIRECCTE a sollicité auprès du gérant de cette entreprise, par un courriel du 3 août 2020, la production d'un certain nombre de pièces et que ce courriel a été adressé à l'adresse électronique expressément mentionnée dans la demande d'autorisation de travail, remplie par ce gérant, à savoir " hamdenn@live.fr ". Sur ce point, ni le courriel du 10 novembre 2020 adressé à la DIRECCTE par le gérant de la société " Lsh Rénovation ", pour connaître l'état d'avancement du dossier, ni l'attestation du 15 juin 2021 de ce gérant, indiquant qu'il n'aurait jamais été contacté par cette direction, ne sauraient suffire à expliquer les raisons pour lesquelles la société " Lsh Rénovation " n'aurait pas reçu ce courriel du 3 août 2020 ou n'a pas fourni les pièces ainsi demandées, cette absence de réponse ne permettant pas à l'administration de vérifier si les conditions prévues par l'article R. 5221-20 du code du travail étaient en l'espèce remplies. Enfin, s'il est vrai que l'arrêté en litige mentionne par erreur que M. E... n'a pas répondu à une demande de pièces complémentaires portant sur sa vie familiale, qui lui a été adressée par les services de la préfecture du Val-de-Marne par un courrier du 29 décembre 2020, réceptionnée le 12 janvier 2021, alors qu'il justifie avoir répondu à cette demande par un courrier du 8 mars 2021 de son conseil, réceptionné le 10 mars suivant, il résulte de l'instruction que l'autorité préfectorale, qui n'a commis aucune erreur de fait sur la situation familiale de l'intéressé, aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur les autres motifs qu'elle a retenus dans son arrêté du 27 mai 2021, notamment sur l'absence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels susceptibles de justifier une mesure de régularisation de l'intéressé au titre de sa vie privée et familiale ou au titre d'une activité salariée. Il suit de là que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté en litige du 27 mai 2021 au motif tiré de ce qu'il serait entaché d'une erreur de fait.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Melun et devant la cour.

Sur le moyen commun aux différentes décisions attaquées :

7. Par un arrêté du 1er mars 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, la préfète du Val-de-Marne a donné délégation à Mme Mireille Larrède, secrétaire générale de la préfecture et signataire des décisions contestées, pour signer " tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances, requêtes juridictionnelles, décisions engageant les crédits de l'Etat et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département du Val-de-Marne " à l'exclusion de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :

8. En premier lieu, la décision en litige, qui vise, notamment, l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, indique que si M. E..., ressortissant tunisien, qui a sollicité, le 17 octobre 2019, la régularisation de sa situation au titre du travail, ne peut se prévaloir de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa demande doit être examinée dans le cadre du pouvoir général d'appréciation sans texte que détient le préfet. Elle mentionne également que l'intéressé, qui déclare être entré en France en 2011, sans justifier de la date et des conditions de son arrivée, et s'y maintenir sans discontinuer depuis lors, fournit des preuves de sa présence sur le territoire depuis 2012 et a obtenu la délivrance, le 2 août 2013, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 9 avril 2013 au 8 avril 2014 et renouvelée jusqu'au 8 avril 2016, et qu'en produisant une copie de son passeport délivré le 19 octobre 2015 en Tunisie, indiquant une interruption de son séjour en France et périmé depuis le 18 octobre 2020, il ne justifie pas d'un document d'identité en cours de validité. Elle fait état, de plus, de ce que l'intéressé justifie d'une activité salariée en qualité d'ouvrier-ravaleur auprès de l'entreprise " Sat Bâtiment " du 1er avril 2016 au 30 septembre 2017, puis de l'entreprise " Pr C... " du 1er novembre 2018 au

30 septembre 2019 et présente une demande d'autorisation de travail signée le 15 octobre 2019 par l'entreprise " Lsh Rénovation " pour la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'ouvrier-ravaleur à temps complet avec une rémunération mensuelle brute de 1 540,00 euros. Elle relève, en outre, que, par un avis du 6 novembre 2020, la DIRECCTE s'est prononcée défavorablement sur cette demande d'autorisation de travail au motif que son employeur n'a pas complété le dossier, malgré la demande de pièces complémentaires adressée par un courriel le 3 août 2020, ne permettant pas de vérifier les conditions prévues par l'article R. 5221-20 du code du travail. Elle relève également que M. E... a été destinataire d'une demande de pièces complémentaires, adressée par lettre recommandé avec avis de réception le 29 décembre 2020 et réceptionnée le 12 janvier 2021, à laquelle il n'a pas répondu. Elle indique, par ailleurs, que M. E... s'est marié en Tunisie le 11 juillet 1999 avec une compatriote, Mme F... D..., que celle-ci, entrée en France en 2016, est en situation irrégulière, que le couple est parent d'un enfant majeur, né le 30 juin 2000 en Tunisie, entré en France le 18 décembre 2017, hébergé à une adresse différente de celle de ses parents et qui a déposé une première demande de titre de séjour, le 12 janvier 2021, en qualité d'étudiant en apprentissage, et que rien ne s'oppose à ce que M. E... et son épouse puissent retourner en Tunisie où l'intéressé a vécu l'essentiel de sa vie et où résident ses parents, alors que la seule présence en France d'une sœur en situation régulière ne lui permet pas de justifier de liens privés et familiaux sur le territoire inscrits dans la durée et la stabilité. Enfin, elle fait état de ce que, dans ces conditions, M. E..., qui ne fait pas état de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels liés à sa situation familiale, ne peut pas prétendre à la délivrance d'un titre de séjour " salarié " ou " vie privée et familiale " et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, la décision en litige, qui comporte les considérations de droit et de fait qui la fondent, est suffisamment motivée.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations (...) ".

10. Ainsi qu'il a été dit au point 5, la préfète du Val-de-Marne a saisi la DIRECCTE pour recueillir son avis sur le projet d'emploi salarié invoqué par M. E... à l'appui de sa demande de titre de séjour et cette direction a sollicité auprès du gérant de la société

" Lsh Rénovation " la production d'un certain nombre de pièces par un courriel du 3 août 2020, qui est resté sans réponse. Alors que M. E... ne fournit aucune explication sérieuse sur cette absence de réponse et s'il appartenait à l'autorité préfectorale, saisie d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour et dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation, il ne lui incombait pas, en vertu des dispositions précitées, de l'informer que son employeur n'avait pas répondu à cette demande de pièces complémentaires adressée par la DIRECCTE et de l'inviter à y répondre aux lieu et place de son employeur. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 114-5 précité du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

11. En troisième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision en litige, rappelée au point 8, ni des autres pièces du dossier qu'avant de refuser à M. E... la délivrance d'un titre de séjour, la préfète du Val-de-Marne aurait omis de procéder à un examen particulier de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée de ce chef la décision en litige doit être écarté.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".

13. M. E... se prévaut de la durée de son séjour en France depuis 2011 et fait valoir qu'il a été titulaire d'un titre de séjour entre les mois d'avril 2013 et avril 2016, qu'il vit avec son épouse, et que son fils B..., qui y poursuit des études depuis 2017 et est en situation régulière, ainsi que sa sœur Samah, titulaire d'une carte de résident, séjournent également sur le territoire. Il fait valoir, en outre, qu'il travaille dans le secteur du bâtiment depuis plusieurs années. Toutefois, la circonstance que l'intéressé justifierait d'une résidence habituelle en France depuis 2011, à une date, de surcroît, non précisée, soit depuis près de dix ans à la date de la décision attaquée, ne saurait constituer, à elle seule, un motif d'admission exceptionnelle au séjour. De plus, il ne précise pas sur quel fondement il a obtenu un titre de séjour entre avril 2013 et avril 2016, ni n'indique les raisons pour lesquelles ce titre de séjour n'a pas été renouvelé. En outre, en se bornant à justifier avoir travaillé en qualité d'" ouvrier-ravaleur ", d'abord auprès de l'entreprise " Sat Bâtiment " du 1er avril 2016 au 30 septembre 2017, puis de l'entreprise " Pr C... " du 1er novembre 2018 au 30 septembre 2019, enfin, de l'entreprise " Lsh Rénovation " depuis le mois d'octobre 2020, il ne saurait être regardé comme justifiant d'une insertion sociale et professionnelle stable et ancienne, ni, en particulier, d'une qualification professionnelle particulière. Par ailleurs, alors que son fils B..., qui est majeur et avec lequel il ne vit pas, n'est titulaire que d'une autorisation provisoire de séjour, il n'établit, ni n'allègue sérieusement aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il emmène avec lui son épouse, qui est également en situation irrégulière au regard du séjour, et à ce qu'il poursuive normalement sa vie privée et familiale à l'étranger et, en particulier, en Tunisie où résident ses parents et où lui-même a vécu au moins jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans. Enfin, l'intéressé n'établit, ni n'allègue d'ailleurs, qu'il serait dans l'impossibilité de se réinsérer dans son pays d'origine. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conditions du séjour en France de M. E..., la décision attaquée portant refus de titre de séjour ne peut être regardée comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquelles cette mesure a été prise. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision en litige n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13, les moyens tirés de ce que la décision obligeant M. E... à quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, doivent être écartés.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

15. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays à destination duquel M. E... pourra être reconduit doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement prise à son encontre ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 27 mai 2021, lui a enjoint de réexaminer la demande de titre de séjour de M. E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. E... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2010741-2106436 du 16 février 2022 du tribunal administratif de Melun sont annulés.

Article 2 : La demande n° 2106436 présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise à la préfète du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- M. d'Haëm, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 février 2023.

Le rapporteur,

R. d'HAËMLa présidente,

M. A...

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01319 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01319
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SOURTY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-10;22pa01319 ?
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