Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Bouygues a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 84 978 819 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'adoption et de l'application du paragraphe III de l'article 34 de la loi n° 2006-1170 du 30 décembre 2006.
Par une ordonnance n° 1718795 du 5 septembre 2018, la présidente de la 1ère section du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de la portée effective conférée par l'interprétation du Conseil d'Etat à l'autorisation prévue par les dispositions du II de l'article 34 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006.
Par un jugement n° 1718795 du 2 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février 2021 et 2 mai 2022, la SA Bouygues, représentée par Me Turot et Me Briard, avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser, en réparation de son préjudice résultant de l'intervention de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, une somme globale de 117 427 606 euros, augmentée des intérêts légaux capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre la somme de 10 000 euros demandée à ce titre en première instance, la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement et ont manqué à leur obligation d'assurer le respect du contradictoire ;
- l'application de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 lui a occasionné un préjudice d'un montant de 55 418 589 euros consistant en son exclusion du bénéfice du dispositif de déduction fiscale, un préjudice porté à un montant de 61 999 017 euros lié au coût d'indisponibilité de la somme correspondant à la dette fiscale dont elle a dû s'acquitter, et un préjudice économique, résultant d'une distorsion de concurrence, et moral, lié à la médiatisation de son redressement, d'un montant de 10 000 euros ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors que le préjudice que lui a directement occasionné la loi du 30 décembre 2006 est grave, spécial et anormal et que les auteurs de cette loi n'ont pas entendu exclure, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ;
- la responsabilité de l'Etat pour manquement à ses obligations conventionnelles est susceptible d'être engagée, d'une part pour manquement aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales résultant de ce que les premiers juges ont fait droit à l'exception recours parallèle opposée par l'administration à sa demande portant sur le préjudice résultant de son exclusion du bénéfice de l'avantage fiscal en litige, et, d'autre part, pour manquement aux stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
- sa requête est recevable, nonobstant son précédent recours tendant à contester le
bien-fondé de l'imposition, dès lors que, d'une part, le fondement de son recours indemnitaire est distinct malgré l'équivalence des montants, et que, d'autre part, la règle de l'exception de recours parallèle ne saurait lui être opposée sans entraîner une violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense et un mémoire en duplique, enregistrés les 10 septembre 2021 et 13 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, s'agissant du préjudice résultant de l'exclusion du bénéfice de l'avantage fiscal, compte tenu de l'existence d'un recours parallèle de même objet ;
- les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et son premier protocole additionnel ;
- la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social ;
- l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Carrère,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Turot, représentant la SA Bouygues.
Considérant ce qui suit :
1. Sur délégation de compétence donnée le 28 avril 2005 par l'assemblée générale extraordinaire de la SA Bouygues, le conseil d'administration de cette entreprise a été autorisé à décider de l'opportunité et des modalités d'une ou plusieurs augmentations de capital au profit des salariés du groupe Bouygues, ce qu'il a fait par décision du 6 décembre 2006. Le 26 avril 2007, l'assemblée générale mixte de la société en a pris acte et a autorisé, pour l'application de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2006 relative au développement de l'actionnariat, visée ci-dessus, l'émission d'actions réservées aux salariés des sociétés françaises de ce groupe, adhérentes d'un plan d'épargne. Par suite, le 10 mai 2007, la SA Bouygues a procédé à une augmentation de capital d'un montant de 232 178 188,80 euros, en émettant 6 371 520 actions. Sur le fondement du paragraphe II de l'article 34 de cette loi, codifié au II de l'article 217 quinquies du code général des impôts, qui assortit ces augmentations de capital du droit de déduire du résultat fiscal la différence entre la valeur des titres à la date de cette augmentation et le prix de souscription des actions, la SA Bouygues a déduit, au titre de l'exercice clos en 2007, la moins-value née de l'attribution d'actions gratuites aux salariés. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant notamment sur cet exercice, l'administration a rejeté cette déduction, motif pris de ce que la décision de l'assemblée générale extraordinaire autorisant l'opération était antérieure au 1er janvier 2006, date d'application de la loi en cause en vertu des dispositions du III de son article 34, et a, en conséquence, mis à sa charge des compléments d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale pour un montant de 55 418 589 euros. Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande en décharge de la SA Bouygues par un jugement du 18 juillet 2013, confirmé par un arrêt en date du 18 novembre 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles. Le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi en cassation de la société contre cet arrêt par une décision du 16 novembre 2016. Estimant que la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois était engagée du fait des préjudices résultant de la date d'application des dispositions législatives déjà mentionnées, la SA Bouygues a adressé à l'administration, le 3 août 2017, une demande d'indemnisation de ces préjudices, qui a été rejetée et qu'elle a déférée au tribunal administratif de Paris. La société relève régulièrement appel du jugement du 2 décembre 2020 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'exception de recours parallèle opposée par l'administration, s'agissant du préjudice correspondant au montant des impositions supplémentaires :
2. Si la somme réclamée, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, à raison du préjudice causé par l'exclusion de la SA Bouygues du bénéfice de l'avantage fiscal en litige, porte sur le même montant que cet avantage, dont la société requérante s'est vu refuser le bénéfice sur le terrain du recours de plein contentieux fiscal en dernier lieu par décision du Conseil d'Etat n° 387227 du 16 novembre 2016 mentionnée ci-dessus, la SA Bouygues dispose, nonobstant l'épuisement de cette voie de recours, d'un droit à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le terrain de la responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, lequel vise à obtenir réparation, indépendamment de toute faute ou manquement d'un service administratif dans l'application de la loi, des conséquences qu'a pu entraîner cette loi eu égard à la spécificité de la situation de l'intéressée. Ainsi, eu égard à la différence de nature et d'objet entre les voies de recours en cause, et alors même qu'une partie du préjudice revendiqué correspond à un manque à gagner résultant de l'exclusion de l'avantage fiscal en litige, c'est à tort que les premiers juges, faisant droit à l'exception de recours parallèle opposée par l'administration, ont rejeté comme irrecevable la demande de la SA Bouygues, en tant qu'elle avait pour objet le versement d'une somme de 55 418 589 euros à titre de réparation du préjudice causé par l'exclusion de cet avantage.
3. Par suite, et dans cette mesure, il y a lieu d'annuler le jugement entrepris.
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, en tant qu'il statue sur les autres chefs de préjudice :
4. La SA Bouygues reproche au Tribunal, d'une part, de ne pas s'être prononcé sur le caractère spécial du préjudice qu'elle invoque. A supposer qu'elle entende ainsi critiquer la régularité du jugement attaqué, les premiers juges ont explicitement estimé que la requérante s'était d'elle-même placée hors du champ d'application dans le temps de l'avantage fiscal attaché à ces émissions d'actions gratuites, et que le supplément d'impôt lié à la date d'application du dispositif ne révélait dès lors pas un préjudice grave, anormal et spécial. Le jugement attaqué n'est ainsi pas entaché de défaut de réponse à moyen. D'autre part, si la SA Bouygues reproche aux premiers juges d'avoir ainsi, sans en informer les parties, soulevé une condition tenant à l'absence de caractère spécial du préjudice allégué, les premiers juges ont, ce faisant, constaté que les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat n'étaient pas réunies. Par suite, ils n'étaient pas tenus, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, d'en informer préalablement les parties. En conséquence, les moyens soulevés doivent être écartés.
5. Il y a lieu pour la Cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de la demande de la SA Bouygues devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'indemnisation du préjudice correspondant au montant des impositions supplémentaires et, par la voie de l'effet dévolutif, sur ses conclusions tendant à l'indemnisation des autres préjudices.
Sur le préjudice résultant de l'exclusion de la SA Bouygues de l'avantage fiscal en litige :
6. En premier lieu, si la SA Bouygues soutient qu'en rejetant comme irrecevable sa demande, en tant qu'elle porte sur le préjudice en cause, motif pris de l'identité de son objet et de celui du recours de plein contentieux fiscal qui lui était ouvert et qu'elle a vainement formé, les premiers juges ont manqué à leurs obligations au titre de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ainsi engagé la responsabilité de l'Etat, il résulte du présent arrêt que le jugement du tribunal administratif est annulé dans cette mesure. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté.
7. En deuxième lieu, la SA Bouygues soutient qu'en limitant le bénéfice de la mesure nouvelle de réduction d'assiette de l'impôt sur les sociétés, codifiée au II de l'article 217 quinquies du code général des impôts, aux émissions d'actions autorisées par les assemblées générales exceptionnelles réunies seulement à compter du ler janvier 2006, les dispositions du III de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2006 ont créé une rupture d'égalité des contribuables devant les charges publiques. Elle recherche la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois au motif que, son assemblée générale extraordinaire ayant décidé, dès le 28 avril 2005, soit avant l'enregistrement à l'Assemblée Nationale le 21 juin 2006 du projet de loi dont est issu l'article 34 de loi du 30 décembre 2006, le principe d'une augmentation de capital réservée aux salariés, dont les modalités de réalisation étaient déléguées au conseil d'administration, elle n'a pu bénéficier de l'avantage fiscal prévu par les auteurs de la loi.
8. A cette fin, d'une part, la SA Bouygues se présente, comme la seule société cotée en Bourse en continu à avoir réalisé, après l'adoption de la loi du 30 décembre 2006, une augmentation de capital réservée à ses salariés, sans pouvoir bénéficier de l'avantage fiscal déjà mentionné. Toutefois, faute d'établir que seule elle-même ou un nombre limité d'entreprises, ayant autorisé par assemblée générale tenue avant cette date l'émission d'actions gratuites pour leurs salariés, ont été exclus de l'avantage fiscal lié à ce dispositif, la requérante n'établit pas le caractère spécial du préjudice né du champ d'application de la loi dans le temps.
9. La SA Bouygues se prévaut, d'autre part, du caractère anormal de la charge que la date d'application rétroactive de la loi fiscale en cause a fait peser sur elle. À cet effet, elle met en avant l'importance du supplément d'imposition en litige de 55 418 589 euros et la circonstance que l'ordonnance du 24 juin 2004, visée ci-dessus, imposait la convocation, tous les trois ans, d'une assemblée générale extraordinaire pour se prononcer sur un projet de résolution en vue d'augmenter le capital au profit des salariés. Mais, de première part, le législateur ne peut être regardé, en limitant le bénéfice de l'avantage fiscal en cause aux augmentations de capital autorisées par des assemblées générales extraordinaires réunies après le 1er janvier 2006, comme ayant soumis les sociétés qui, telle la société requérante, délèguent le compétence pour décider d'une telle augmentation à leur conseil d'administration, à un aléa les privant de la possibilité de faire bénéficier leurs salariés d'une augmentation de capital réservée, alors que l'ordonnance mentionnée ne comportait aucune obligation pour les assemblées générales extraordinaires des sociétés de décider d'une telle augmentation de capital avant le 1er janvier 2006, et que le choix de cette date visait à inciter les sociétés, notamment celles qui délèguent la compétence pour décider d'une telle augmentation à leur conseil d'administration, à faire bénéficier leurs salariés de telles augmentation de capital dès l'entrée en vigueur de la loi. De deuxième part, la gravité d'une telle charge s'apprécie au regard des données de l'entreprise, telles que ses résultats et son bilan, de sorte que le seul montant en valeur absolue de la rectification en cause ne saurait par lui-même révéler l'existence d'un tel préjudice. De troisième part, si la SA Bouygues fait état d'un financement coûteux sur le marché obligataire de sa dette fiscale, elle n'établit pas avoir eu recours à ce mode de financement pour acquitter sa dette dès le 3 janvier 2011, non plus qu'elle ne communique le terme et le taux d'intérêt des obligations émises. De quatrième part, si elle allègue la distorsion de concurrence que cette rectification aurait causée à son détriment, elle ne la démontre pas, faute de mentionner les sociétés concurrentes dans ses domaines d'activité qui auraient, sur la même période, bénéficié de l'aide fiscale à l'actionnariat salarié et de produire des résultats comparés. De cinquième part, elle ne rapporte aucunement la preuve de l'atteinte à sa réputation causée par cette rectification. Enfin, dès le 21 juin 2006, l'article 16 du projet de loi prévoyait la rétroactivité de l'avantage fiscal accordé en cas d'émissions d'actions autorisées par les assemblées générales extraordinaires réunies à compter du 1er janvier 2006. La SA Bouygues s'étant abstenue, alors qu'elle n'était pas privée de la possibilité de le faire, de convoquer en 2006 une assemblée générale extraordinaire en vue de renouveler l'autorisation d'émettre des actions réservées aux salariés du groupe dans les limites alors connues de la rétroactivité du dispositif en discussion, elle doit être regardée comme s'étant délibérément exposée au risque d'une remise en cause de la déduction enregistrée à l'exercice clos en 2007. Il s'ensuit que la SA Bouygues ne peut se prévaloir du caractère anormal de la charge résultant du champ d'application de la loi dans le temps.
10. Ainsi, sans qu'il soit besoin de rechercher si les auteurs de la loi du 30 décembre 2006 ont entendu exclure, par principe, tout droit à indemnisation, la SA Bouygues n'établit pas le caractère grave et spécial du préjudice résultant de la date d'application de cette loi, et ne saurait, dans ces conditions, se prévaloir de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois pour rupture d'égalité devant les charges publiques.
11. En dernier lieu, s'agissant de la responsabilité pour faute de l'Etat du fait de l'inconstitutionnalité de la loi en cause, l'effet de l'évocation objet du présent arrêt s'attache aux seules conclusions de la requête de première instance. Dès lors que l'ordonnance n° 1718795 du 5 septembre 2018 visée ci-dessus, par laquelle la présidente de la 1ère section du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée, est devenue définitive, faute pour la société requérante d'avoir contesté, à l'appui de la présente requête, le refus de transmission en cause, le moyen soulevé ne peut qu'être écarté.
Sur les autres préjudices allégués :
12. En premier lieu, s'agissant de la responsabilité sans faute du fait de la loi en litige, il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 9 ci-dessus que le moyen soulevé doit être écarté.
13. En second lieu, s'agissant de la responsabilité de l'Etat français pour manquement à ses obligations conventionnelles, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...). ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Et aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ".
14. En réservant aux seules augmentations de capital autorisées par les assemblées générales extraordinaires des entreprises concernées, à compter d'une date qu'il a fixée, le bénéfice de la mesure en cause, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, en rapport avec l'objet de cette mesure. Par ailleurs, il ressort des travaux préparatoires de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2006 qu'en retenant la date du 1er janvier 2006, le législateur a entendu tenir compte de ce que les assemblées générales extraordinaires de nombreuses sociétés concernées avaient pris, au cours de l'année 2006, la décision d'augmenter leur capital en émettant des titres au bénéfice de leurs salariés adhérents du plan d'épargne de l'entreprise sur la base des assurances qui leur avaient été fournies par le Gouvernement, dans le cadre de la concertation engagée par celui-ci avec les acteurs économiques dès la fin de l'année 2005. Eu égard à l'objectif recherché par l'adoption de cette mesure, qui est d'inciter les sociétés à émettre de nouveaux titres destinés à leurs salariés en vue d'améliorer la participation de ceux-ci au capital, les entreprises dont la décision d'augmenter leur capital avait été arrêtée postérieurement au 1er janvier 2006 se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des entreprises dont l'émission de nouveaux titres avait été approuvée antérieurement, à une date à laquelle l'effet incitatif de la mesure ne pouvait jouer, et qui, de ce fait, ne pouvaient disposer d'une espérance légitime d'obtenir un avantage fiscal en conséquence. Par suite, le moyen soulevé ne peut qu'être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées, que la SA Bouygues n'est fondée, ni à demander à la Cour de condamner l'Etat, sur le terrain de la responsabilité sans faute du fait des lois pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, à réparer le préjudice constitué par le manque à gagner résultant de son exclusion du bénéfice de l'avantage fiscal prévu au II de l'article 217 quinquies du code général des impôts, ni, s'agissant des autres préjudices, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande. Elle est donc seulement fondée à demander l'annulation du jugement n° 1718795 du 2 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté comme irrecevable sa demande en tant qu'elle avait pour objet le versement d'une somme de 55 418 589 euros à titre de réparation du préjudice causé par l'exclusion de l'avantage fiscal prévu au II de l'article 217 quinquies du code général des impôts. Par voie de conséquence, sa demande devant le tribunal administratif doit être rejetée, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1718795 du 2 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevable la demande de la SA Bouygues en tant qu'elle avait pour objet le versement d'une somme de 55 418 589 euros à titre de réparation du préjudice causé par l'exclusion de l'avantage fiscal prévu au II de l'article 217 quinquies du code général des impôts.
Article 2 : La demande de la SA Bouygues devant le tribunal administratif et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme (SA) Bouygues et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- Mme Boizot, première conseillère,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 23 décembre 2022.
Le président-rapporteur,
S. CARREREL'assesseure la plus ancienne,
S. BOIZOTLa greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA0054202