Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 22 octobre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de regroupement familial qu'il a présentée au bénéfice de son épouse, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de faire droit à sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou à défaut, de réexaminer sa demande dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2014989 du 16 avril 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Semak, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 16 avril 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 22 octobre 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis rejetant la demande de regroupement familial qu'il a présentée au bénéfice de son épouse ;
3°) d'enjoindre à l'administration de faire droit à sa demande de regroupement familial dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou à défaut, de réexaminer sa demande dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en droit et en fait ;
- elle a été prise sans examen préalable de la situation personnelle de l'intéressé ;
- il n'est pas justifié de la consultation du maire, qui doit émettre un avis motivé sur la demande de regroupement familial, en application des dispositions des articles L. 421-1 et L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et dès lors la décision attaquée doit être regardée comme prise au terme d'une procédure irrégulière ;
- le préfet a méconnu la portée de son pouvoir d'appréciation et a entaché sa décision d'erreur de droit en s'estimant lié par la présence en France de l'épouse du requérant ;
- cette décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu notamment de la présence en France du fils du requérant et de son épouse, qui serait contraint d'être séparé de son père ou de sa mère si celle-ci devait repartir dans son pays d'origine ;
- la décision est entachée d'erreur de droit et méconnait les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le requérant satisfaisant à toutes les conditions posées par ces articles pour voir accepter la mesure de regroupement familial présentée au bénéfice de son épouse, dès lors qu'il résidait régulièrement en France depuis plus de dix-huit mois à la date d'intervention de la décision attaquée, et justifiait de ressources stables et insuffisantes ainsi que d'un appartement considéré par la règlementation applicable comme normal pour une famille de trois personnes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
M. B..., ressortissant marocain, a présenté le 29 décembre 2017 une demande de regroupement familial en faveur de son épouse, de nationalité algérienne. Par un arrêté du 22 octobre 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de faire droit à cette demande, au motif que son épouse résidait sur le territoire français. M. B... a dès lors saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande d'annulation de cette décision, mais le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 16 avril 2021 dont il relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
1. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : /1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail . Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 ou L. 821-2 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ou lorsqu'une personne âgée de plus de soixante-cinq ans et résidant régulièrement en France depuis au moins vingt-cinq ans demande le regroupement familial pour son conjoint et justifie d'une durée de mariage d'au moins dix ans ; /2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; /3° Le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil ". Aux termes de l'article L. 411-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : (...) 3° Un membre de la famille résidant en France. ".
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
3. Or, il ressort des pièces versées au dossier que M. B... réside en France depuis 2009, y travaille depuis 2011 et était notamment titulaire, à la date d'intervention de l'arrêté attaqué, d'une carte de séjour en tant que salarié, valable du 8 aout 2020 au 7 août 2021. Il est marié depuis le 7 juillet 2017 avec sa conjointe, de nationalité algérienne, avec qui il a eu un fils, né le 20 juin 2018 en France. Par ailleurs, il n'est pas contesté par le représentant de l'Etat, qui n'a présenté d'observations ni en première instance ni en appel, que, à l'exception de la condition tenant à la résidence hors de France de son épouse, le requérant satisfait aux autres conditions posées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment ses articles L. 411-1 et L. 411-5 pour obtenir le bénéfice d'une mesure de regroupement familial en faveur de son épouse. Or, la décision en litige aurait pour effet de contraindre Mme B... à devoir quitter la France, où elle réside avec son époux et leur fils en bas-âge, et où vit d'ailleurs également une partie de sa famille, pour retourner en Algérie pour une durée indéterminée, le temps que l'autorité administrative se prononce sur la demande de regroupement familial présentée en sa faveur. De plus, le requérant pourrait difficilement l'accompagner alors qu'il est titulaire d'un emploi en France et qu'il n'est de surcroît pas de la même nationalité que son épouse et ne serait donc pas nécessairement admis dans le pays de celle-ci. Par suite la décision attaquée, en imposant à Mme B... de retourner dans son pays le temps de l'instruction de sa demande, aurait nécessairement pour effet de briser ainsi la cellule familiale et de priver leur enfant, soit de la présence de son père, soit de celle de sa mère. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que la décision contestée, d'une part, porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise, et méconnait ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, qu'elle est aussi contraire à l'intérêt primordial de son enfant, qui veut qu'il puisse résider régulièrement auprès de ses deux parents, sans avoir pour cela à se séparer préalablement de l'un d'eux pour une durée indéfinie et qu'elle méconnait ainsi également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Il est par suite fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.
4. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il est dès lors fondé également à demander l'annulation dudit jugement, ainsi que celle de l'arrêté du 22 octobre 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis rejetant la demande de regroupement familial qu'il avait présentée au bénéfice de son épouse.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. /La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
6. Le présent arrêt qui annule le jugement et la décision attaqués implique qu'il soit enjoint au préfet de police de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. B... au bénéfice de son épouse, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte dans les circonstances de l'espèce.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2014989 du 16 avril 2021 du tribunal administratif de Montreuil et la décision du 22 octobre 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. B... au bénéfice de son épouse, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 septembre 2022.
La rapporteure,
M-I. D...Le président,
T. CELERIER
La greffière,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°21PA03736