La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/07/2022 | FRANCE | N°19PA03040

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 13 juillet 2022, 19PA03040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1804553 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a, en ses articles 1er et 2, déchargé M. B... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, en droits et en pénalités, et mis

à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros en application d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1804553 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a, en ses articles 1er et 2, déchargé M. B... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, en droits et en pénalités, et mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1804553 du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de remettre à la charge de M. B... la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que les pénalités correspondantes.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Paris est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le délai spécial de reprise n'était en l'espèce pas applicable ;

- aucun des autres moyens soulevés par M. B... n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2019, M. B..., représenté par Me Canis, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code monétaire et financier ;

- et le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Canis, avocat de M. B....

Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée le 4 juillet 2022.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a fait l'objet d'un contrôle sur pièces de son dossier fiscal, à l'issue duquel l'administration fiscale a imposé une somme de 500 000 euros, perçue par l'intéressé, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, à raison de laquelle elle a mis à sa charge, selon la procédure de rectification contradictoire, une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2008. Par un jugement du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a, en ses articles 1er et 2, déchargé M. B... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu qui lui a été assignée au titre de l'année 2008, en droits et en pénalités, et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel des articles 1er et 2 de ce jugement.

Sur le moyen de décharge retenu par le tribunal administratif de Paris :

2. En vertu du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l'administration s'exerce, pour l'impôt sur le revenu, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Toutefois, aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, issu de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 et reprenant les dispositions de l'article L. 170 du même livre, abrogé le 1er janvier 2013 : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux [...] peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ".

3. D'une part, des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux au sens de cet article lorsque l'administration dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Il en va également ainsi lorsque, à la date à laquelle l'administration dispose de ces informations, le délai prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales est expiré et qu'elle n'est plus en mesure, sur ce seul fondement, de réparer les insuffisances et omissions d'imposition. La circonstance que ces informations seraient ultérieurement mentionnées dans une procédure judiciaire n'ouvre pas à l'administration le droit de se prévaloir de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales dès lors qu'en pareille hypothèse, ces informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par cette instance.

4. D'autre part, pour l'application de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales aux omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux répressifs, seul l'engagement de poursuites, qui inclut la phase de l'instruction conduite par le juge d'instruction, doit être regardé comme ouvrant l'instance. L'ouverture d'une enquête préliminaire, en revanche, n'a pas un tel effet. Lorsque des insuffisances ou omissions d'impositions sont révélées à l'administration fiscale postérieurement à l'ouverture d'une instance, au sens de ces dispositions, le délai spécial de reprise qu'elles prévoient est applicable, alors même que les insuffisances ou omissions d'impositions sont mises en évidence par des pièces de la procédure établies au stade d'une enquête préliminaire.

5. Le tribunal administratif de Paris a relevé que M. B... avait fait l'objet, en 2011, d'un contrôle de sa situation fiscale, dans le cadre de sa nomination en qualité de ministre de l'intérieur, à l'occasion duquel l'administration fiscale avait identifié l'existence de la cession, par l'intéressé, de deux tableaux d'Andries Van Artvelt, intervenue en 2008, ainsi que le montant de cette vente. De cette circonstance, les premiers juges ont déduit que l'administration fiscale devait être regardée comme ayant disposé, avant l'ouverture d'une instruction pénale à l'encontre de M. B..., d'éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir les insuffisances d'impositions en litige, de sorte qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par les dispositions précitées du livre des procédures fiscales.

6. Cependant, il résulte de l'instruction que, pour mettre à la charge de M. B... l'imposition en litige, l'administration fiscale s'est fondée, ainsi qu'en atteste la proposition de rectification du 8 juillet 2016, sur diverses pièces qu'elle a consultées le 3 septembre 2015, à la suite d'une demande présentée sur le fondement des articles L. 81 et L. 82 C du livre des procédures fiscales, auprès du parquet national financier, lesquelles faisaient état de la mise en examen de l'intéressé pour avoir participé " à la confection d'un ensemble de documents (promesse d'achat, lettre, facture), destinés à formaliser la vente fictive de deux tableaux du peintre flamand Andries Van Artvelt pour la somme de 500 000 euros et en faisant usage desdits faux ". L'administration fiscale s'est appuyée, en particulier, sur une ordonnance du vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Paris, rendue, le 30 mars 2015, à la suite de l'ouverture d'une information judiciaire en avril 2013, suivie contre " X ", des chefs de corruption active et passive, trafic d'influence par des personnes exerçant une fonction publique, faux et usage de faux, abus de bien sociaux, blanchiment de ces infractions et complicité de ces infractions, laquelle ordonnance relève que M. B... a acquis, le 20 mars 2008, un appartement sis à Paris, pour un montant de 717 500 euros, dont il a financé l'achat, pour partie, grâce à un virement de 500 000 euros reçu le 3 mars 2008 en provenance d'un cabinet d'avocat malaisien, E... Associates Sollicitors, et que, interrogé sur l'origine de cette somme, l'intéressé a déclaré qu'elle provenait de la vente, par lui-même, de deux tableaux réalisés par Andries Van Artvelt, peintre du dix-septième siècle. Or, ainsi que le relève la proposition de rectification du 8 septembre 2016, un rapport du chef de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales rédigé, le 7 mars 2015, à l'attention du vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris, également consulté par l'administration fiscale, indique que, dans le cadre de la procédure judiciaire une réquisition a été adressée le 11 juillet 2013 à un expert en tableaux anciens, lequel a conclu, dans un rapport du 1er octobre 2013, que la valeur de ces tableaux s'établissait aux environs de 40 000 à 50 000 euros, et qu'ils auraient pu être estimés, en 2008, entre 30 000 et 35 000 euros dans le cadre d'une vente publique. Par ailleurs, ainsi que l'indique ce rapport, les recherches effectuées par l'organisme anti-blanchiment malaisien ont révélé que le compte bancaire du cabinet E... Associates Sollicitors avait été crédité, deux jours avant le virement adressé à M. B..., de la somme de 500 000 euros - provenant d'un compte détenu dans les livres de la National Commercial Bank à Djeddah, en Arabie saoudite - dont le donneur d'ordre était un homme d'affaires saoudien, M. D..., qui s'est avéré, aux termes de l'ordonnance du vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris du 30 mars 2015, " incapable à ce stade d'expliquer le flux de 500 000 euros dont a bénéficié M. B... ". Enfin, le rapport du chef de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales précise que, le 3 septembre 2013, le service à compétence nationale Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), qui a transmis un signalement sur ces transactions, a estimé que la " proximité chronologique des deux opérations ainsi que la parfaite similitude des montants suggéraient un lien possible entre elles, le compte de l'avocat malaisien pouvant être utilisé comme un rebond intermédiaire destiné à opacifier le circuit de transfert des fonds en cause ".

7. Si M. B... fait valoir que l'administration fiscale était en possession, dès 2011, des informations relatives à la vente des deux tableaux en cause, la seule circonstance qu'il avait fait l'objet, dans le cadre de sa nomination, au cours de cette année, aux fonctions de ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, d'un contrôle de la part de l'administration fiscale, à l'occasion duquel il avait été conduit à lui transmettre un bref courrier manuscrit, daté du 28 février 2012, dans lequel il indiquait que la source principale de financement de sa résidence principale provenait de la vente de deux tableaux d'Andries Van Artvelt, les seules informations contenues dans ce courrier ne pouvaient permettre à l'administration fiscale, compte tenu notamment du schéma de paiement décrit au point précédent, d'établir, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, l'origine et l'objet du versement des sommes en cause. Par ailleurs, si M. B... fait valoir que le service à compétence nationale TRACFIN a adressé un " signalement " en septembre 2013, ce service pouvait, en application de l'article L. 561-29 du code monétaire et financier, transmettre les informations qu'il détenait, à l'administration fiscale mais aussi " aux autorités judiciaires, à l'administration des douanes et aux services de police judiciaire ". Or, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale aurait été destinataire des informations alors détenues par ce service, alors que la mention de ce signalement figure dans l'ordonnance du vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris du 30 mars 2015. A cet égard, la seule circonstance que le service à compétence nationale TRACFIN est rattaché au ministre chargé de l'économie et au ministre chargé du budget ne permet pas, par elle-même, de déduire, contrairement à ce que fait valoir M. B..., que l'administration fiscale aurait été effectivement destinataire de telles informations. Enfin, la circonstance que des articles de presse publiés en septembre 2013, en mars 2015, et en juillet 2015, soit avant la consultation, le 3 septembre 2015, des pièces issues de la procédure pénale, ont relaté les perquisitions effectuées au domicile de M. B... ainsi que sa mise en examen, dans des termes sommaires, ne permettaient pas davantage à l'administration d'établir, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, les omissions et insuffisances d'imposition en cause. Ainsi, les seuls éléments détenus par l'administration fiscale ne pouvaient lui permettre, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, d'établir, avant l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, les insuffisances ou omissions d'imposition imputées en l'espèce à M. B..., lesquelles doivent être regardées comme ayant été révélées par une instance au sens des dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales. Elle était donc fondée à se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par ces dispositions.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le moyen tiré de l'inapplicabilité du délai dérogatoire de reprise prévu par l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales pour prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. B... a été assujetti au titre de l'année 2008. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et la Cour.

Sur les autres moyens soulevés en première instance et devant la Cour par M. B... :

En ce qui concerne le bien-fondé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à la charge de M. B... :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

9. Aux termes du 1 de l'article 92 du code général des impôts : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".

10. Il appartient à l'administration, lorsqu'elle entend fonder une imposition sur les dispositions de cet article, en dehors de toute procédure de taxation d'office, d'établir que les sommes réintégrées dans les bases imposables du contribuable constituent des revenus. Dans ce cadre, il incombe au juge de l'impôt d'apprécier si l'administration établit la nature de revenus des sommes en cause, compte tenu des éléments de preuve qu'elle présente et, le cas échéant, des éléments que lui soumet le contribuable qui soutient que les sommes en litige ne présentent pas la nature de revenus ou relèvent d'une autre catégorie d'imposition et de ceux que l'administration lui oppose alors en vue d'établir, par tout autre moyen complémentaire, le bien-fondé de l'imposition.

11. L'administration fiscale a imposé la somme de 500 000 euros perçue par M. B... au cours de l'année 2008 dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts. Pour établir la nature de revenu de cette somme, elle soutient qu'elle n'a pas été perçue par M. B... à raison de la cession des deux tableaux en cause mais en contrepartie d'une prestation dont il a opacifié le circuit de rémunération afin d'en cacher la véritable nature. Elle relève à cet égard que ces deux tableaux, intitulés Navires par mer agitée et Vaisseaux de haut bord par mer agitée, ont été évalués, en 2013, aux environs de 40 000 euros à 50 000 euros par un expert en tableaux et dessins anciens, requis par l'autorité judiciaire. Cet expert précisait, d'une part, qu'il s'était fondé, en s'appuyant, à titre comparatif, sur les ventes du même artiste, dont il a fait une analyse circonstanciée, sur la nature du support, en bois de chêne, l'excellent état de la couche picturale, mais aussi sur l'absence de monogramme ou de signature et la dimension modeste des tableaux, situant ces œuvres parmi les plus petites de cet artiste. Il indiquait également que ces tableaux auraient pu être estimés, en 2008, soit à l'époque où M. B... a déclaré les avoir vendus, entre 30 000 et 35 000 euros dans le cadre d'une vente publique. De plus, le service soutient, d'une part, que M. B... n'a pas été en mesure de produire de document attestant de l'origine, du prix et de la date d'acquisition des tableaux en cause, et d'autre part, que M. E... a fourni aux autorités malaisiennes une facture entachée de plusieurs anomalies, dont M. B... a, au cours de son interrogatoire du 6 mars 2015, nié être l'auteur. Il relève également qu'une personne employée au domicile de M. B... durant de nombreuses années, et notamment au titre de l'année 2008 en litige, a déclaré n'avoir jamais vu les tableaux en cause dans l'appartement occupé par ce dernier, alors que l'intéressé a affirmé, lors de son interrogatoire de première comparution du 7 mars 2015, que ces tableaux, qui auraient été acquis par sa compagne en 1993, étaient exposés dans sa chambre. Enfin, le service soutient que la somme de 500 000 euros en litige a été versée par le cabinet E... Associates Sollicitors, deux jours après que le compte bancaire de ce cabinet eut été lui-même crédité d'une somme de 500 000 euros, versée en provenance de fonds logés au sein d'une banque sise en Arabie saoudite, par M. D..., qu'il décrit, se référant au rapport émanant de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, daté du 7 mars 2015, comme un " riche homme d'affaires [entretenant] des liens étroits avec la France, [et] ayant indiqué avoir réalisé des affaires " avec de grands groupes français. Il produit à cet égard, d'une part, ce rapport de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, qui indique par ailleurs que, pour le service à compétence nationale TRACFIN, la proximité chronologique de ces deux virements ainsi que la parfaite similitude des montants " suggéraient un lien possible entre elles, le compte de l'avocat malaisien pouvant être utilisé comme un rebond intermédiaire destiné à opacifier le circuit de l'argent ", d'autre part, l'ordonnance de renvoi rendu par le vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris, datée du 30 mars 2015, relatant que M. D... n'avait pu " donner aucune explication rationnelle, prétendant ne pas connaître M. B... et indiquant qu'il avait effectué ce virement à la demande d'un tiers ". L'administration fiscale déduit de l'ensemble de ces éléments que la somme de 500 000 euros, qui a été perçue par M. B... en rémunération d'une prestation, constituait pour lui un revenu.

12. M. B... se borne à se prévaloir, pour contester la remise en cause, par l'administration fiscale, de l'objet de la transaction ayant conduit au versement, à son bénéfice, de la somme de 500 000 euros, d'un courrier rédigé par un galeriste indiquant que le prix auquel il aurait cédé les œuvres en cause n'est pas " étonnant ", en se référant notamment à une vente d'un autre tableau d'Andries Van Artvelt, réalisée en 1995, à New York, au prix de 189 500 dollars. Toutefois, ni ce courrier, qui précise que la " composition " du tableau d'Andries Van Artvelt vendu en 1995 est " plus importante " que celle des deux tableaux en cause dans la présente instance, ni l'entretien avec un spécialiste des tableaux anciens, paru dans un article de presse, estimant que le prix de 500 000 euros n'est pas " aberrant ", tout en précisant qu'il n'a pas vu les toiles en cause, dont il n'analyse pas les caractéristiques, ne sont de nature, eu égard à leurs termes, à remettre en cause le contenu de l'expertise requise par l'autorité judiciaire, dont se prévaut l'administration fiscale, alors qu'il résulte de l'instruction que la société Christie's a indiqué, en réponse également à une réquisition adressée par l'autorité judiciaire le 2 juillet 2013, d'une part, que les deux tableaux en cause avaient " vraisemblablement " été vendus par l'établissement Christie's Amsterdam le 12 juin 1990, au prix de 48 300 euros, frais inclus, d'autre part, que le marché correspondant à ce type de tableaux avait peu fluctué depuis 1990. De plus, si M. B..., qui se prévaut du libellé du virement effectué, par M. D..., au bénéfice du cabinet E... Associates Sollicitors, fait valoir que les sommes ainsi versées ont servi à financer un investissement immobilier, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales du 7 mars 2015, que M. D..., qui a indiqué n'avoir aucune relation avec M. E..., a été incapable d'expliquer l'objet de ce virement. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments de nature à remettre utilement en cause les constatations effectuées par l'administration fiscale, celle-ci doit être regardée comme établissant que la somme de 500 000 euros a été versée, non pas en contrepartie de la vente de tableaux, mais de la réalisation d'une prestation. Par ailleurs, si M. B... fait valoir que l'administration fiscale n'a pas été en mesure d'identifier la nature de la prestation qui aurait été rémunérée par le versement de la somme de 500 000 euros, les constatations mentionnées précédemment permettent d'établir que la somme de 500 000 euros est venue rémunérer une prestation susceptible de se renouveler, dont la rémunération doit donc être regardée, et alors que M. B... n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause ces constatations, comme un revenu. Par suite, c'est à bon droit que le service a imposé cette somme entre les mains de M. B... dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts.

S'agissant de l'interprétation de la loi fiscale :

13. M. B... n'est pas fondé à se prévaloir de la doctrine référencée BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, en ses paragraphes portant les numéros 690 et 710, lesquels ne donnent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application.

En ce qui concerne les majorations :

14. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / [...] b. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses [...] ".

15. Les pénalités pour manœuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

16. Pour appliquer la majoration de 80 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts à la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à la charge de M. B... au titre de l'année 2008, l'administration fiscale s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé s'était livré à des manœuvres frauduleuses, dès lors qu'il avait été acteur et bénéficiaire d'opérations tendant à dissimuler, sous couvert d'une vente de tableaux, le versement d'une rémunération qui lui était destinée. Elle a relevé, à cet égard, que M. B... avait affirmé aux services fiscaux que l'augmentation de son patrimoine entre 2008 et 2009 s'expliquait par la vente de deux œuvres d'art, dont la valeur réelle était bien inférieure aux sommes en litige, que la procédure pénale avait fait apparaître un nombre important d'intermédiaires, entre le donneur d'ordre réel du paiement et M. B..., et que le circuit du flux financier, impliquant plusieurs intermédiaires situés dans des pays différents, avait pour objectif d'opacifier le dispositif mis en place. Par suite, l'administration fiscale établit les manœuvres frauduleuses de nature à justifier, par application de l'article 1729 du code général des impôts, la majoration de 80 % dont a été assortie la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu en litige.

17. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Paris a déchargé M. B... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Il est, par suite, fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué et à ce que l'imposition litigieuse soit remise à la charge de M. B..., en droits et pénalités.

Sur les frais liés à l'instance :

18. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans l'instance, les conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1804553 du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. B... a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remises à sa charge.

Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, où siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juillet 2022.

Le rapporteur,

K. C...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA03040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03040
Date de la décision : 13/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : CABINET SCP CANIS LE VAILLANT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-07-13;19pa03040 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award