Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 février 2021 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une période de vingt-quatre mois.
Par une ordonnance n° 2124352/6 du 24 novembre 2021, la vice-présidente de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021, Mme A..., représentée par Me Céline Pigot, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance n° 2124352/6 du 24 novembre 2021 de la vice-présidente de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté devant le tribunal ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour " salarié " dans un délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de lui enjoindre de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande comme tardive en l'absence de notification régulière des voies et délais de recours ; il a fait une application erronée de la théorie de la connaissance acquise ;
- l'arrêté contesté, en toutes ses décisions, est entaché d'une insuffisance de motivation faute de référence à sa situation professionnelle ainsi que d'un défaut d'examen personnel de sa situation ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation quant à l'existence d'une menace à l'ordre public et quant à l'atteinte portée à sa vie privée et familiale ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français, refusant l'octroi d'un délai de départ, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sont illégales du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- la décision refusant un délai de départ volontaire méconnaît le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable ; celle portant interdiction de retour méconnaît l'article L. 511-1-III alors applicable du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 février 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il s'en remet à la Cour sur la question de la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal ;
- les moyens invoqués par Mme A... contre l'arrêté contesté sont infondés.
Par une ordonnance du 14 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mars 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 23 septembre 2006 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
On été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... ;
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Frydryszak, substituant Me Pigot, avocate de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante sénégalaise née le 2 octobre 1983, entrée en France le 9 septembre 2011 munie d'un visa long séjour valant titre de séjour en qualité de conjoint d'un ressortissant français, et qui a bénéficié de titres de séjour " vie privée et familiale " jusqu'en décembre 2019, a sollicité le renouvellement de ce titre ainsi qu'un changement de statut, en vue de l'obtention d'un titre de séjour " salarié ", sur le fondement du paragraphe 42 de l'article 4 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006. Par un arrêté du 19 février 2021, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Mme A... relève appel de l'ordonnance du 24 novembre 2021 par laquelle la vice-présidente de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.
2. Pour rejeter comme tardive la demande présentée par Mme A... devant le tribunal, le premier juge a relevé que, si la requérante disposait d'un délai de recours de trente jours, et non de quarante-huit heures comme indiqué par erreur dans l'arrêté contesté, il ressortait du dossier que l'intéressée, après avoir sollicité auprès de la préfecture de police la copie de cet arrêté, théoriquement notifié par voie postale le 25 février 2021, avait saisi les services postaux le 22 avril 2021 d'une réclamation concernant cette notification dont elle n'avait pas été informée, et qu'elle devait en conséquence être regardée comme ayant eu connaissance dudit arrêté au plus tard à cette dernière date, soit le 22 avril 2021. Il a ensuite estimé que, faute pour l'intéressée d'avoir saisi le tribunal dans le délai de trente jours courant à compter de cette date, soit au plus tard le 25 mai 2021, sa demande était tardive et de ce fait irrecevable.
3. Toutefois, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies et délais de recours, dans la notification de la décision ". Il résulte de ces dispositions que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n'est pas opposable. En l'absence de preuve de ce qu'a été fournie une information relative aux voies et délais de recours, le destinataire de la décision est seulement tenu de saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne peut en règle générale excéder un an à compter de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. A supposer que Mme A... puisse être regardée comme ayant eu connaissance au plus tard le 22 avril 2021 de l'arrêté du préfet de police du 19 février 2021, il est constant que l'information contenue dans la dernière page dudit arrêté indiquait par erreur qu'elle disposait d'un délai de quarante-huit heures pour saisir le juge, délai plus bref que celui de trente jours qui était légalement applicable. Faute pour la requérante d'avoir bénéficié d'une information susceptible de lui être opposée quant au délai de recours, sa demande, déposée devant le tribunal le 15 novembre 2021, n'était pas tardive et c'est par suite à tort que la vice-présidente de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté ladite demande comme manifestement irrecevable.
4. Il y a lieu en conséquence pour la Cour d'annuler l'ordonnance attaquée et de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal.
Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande :
5. Pour rejeter la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par Mme A... en vue d'un changement de statut, sur le fondement du paragraphe 42 de l'article 4 de l'accord franco-sénégalais, le préfet de police s'est exclusivement fondé sur la menace à l'ordre public que pouvait constituer la présence de l'intéressée sur le territoire français, au motif qu'elle avait présenté, lors de son recrutement par la société Sodexo, une fausse carte de résident de dix ans. En estimant que ce fait unique, dont l'ancienneté n'est pas précisée alors que Mme A... a été recrutée par la société Sodexo au moins depuis le mois de juillet 2014, période au cours de laquelle elle était en attente du renouvellement de son titre de séjour en qualité de conjoint de français, suffisait à établir que la présence de l'intéressée sur le territoire nationale constituait une menace à l'ordre public, sans examiner l'ensemble de son comportement, le préfet de police a, comme le soutient à bon droit la requérante, entaché son arrêté d'erreur d'appréciation.
6. Par ailleurs, il ressort du dossier que Mme A... réside régulièrement sur le territoire français depuis le 9 septembre 2011, sous couvert de titres de séjour " vie privée et familiale " qui lui ont été délivrés en qualité de conjoint de ressortissant français, notamment à la suite d'un jugement du Tribunal administratif de Paris du 6 octobre 2016, son dernier titre, d'une durée de deux ans, expirant le 18 décembre 2019, qu'elle y a toujours exercé un emploi, soit depuis plus de huit ans à la date de l'arrêté contesté, et ce pendant plusieurs années auprès de la même société, qui l'emploie toujours et a déposé, à l'appui de sa demande de changement de statut, une demande d'autorisation de travail. Par ailleurs, Mme A... a obtenu, dans le cadre de son insertion professionnelle, une qualification qui lui permet d'occuper un emploi de chef de poste de propreté et d'hygiène, et de bénéficier de ressources lui permettant de subvenir à ses besoins, ses revenus annuels déclarés en 2020 s'établissant à un peu plus de 30 000 euros. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'ancienneté et aux conditions de son séjour sur le territoire français ainsi qu'à l'intensité des liens personnels et professionnels qu'elle y a tissés, Mme A... est fondée à soutenir qu'en rejetant sa demande de renouvellement de titre de séjour, le préfet de police a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler l'arrêté contesté en toutes ses décisions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté contesté, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, à la délivrance à Mme A..., sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", et de lui remettre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais d'instance supportés par Mme A....
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2124352/6 du 24 novembre 2021 de la vice-présidente de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : L'arrêté du 19 février 2021 par lequel le préfet de police a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une période de vingt-quatre mois est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer à Mme A..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt et de lui remettre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2022.
Le président-rapporteur,
I. B...L'assesseur le plus ancien,
F. MAGNARD
Le greffier,
J. CHAMPESME
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06558