Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 25 août 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2112872 du 1er décembre 2021 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021, le préfet de la Seine-Maritime, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 25 août 2021 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour pour une durée d'un an pris à l'encontre de Mme D... ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme D....
Il soutient que :
- le tribunal ne pouvait se fonder sur la détention d'un passeport par Mme D... dès lors que celle-ci ne l'a jamais produit avant la décision contestée ; le motif d'annulation tiré du défaut d'examen, retenu par le tribunal administratif n'est pas fondé ;
- l'intéressée ne peut se prévaloir de son intégration professionnelle, n'étant pas autorisée à travailler en France et les documents produits en ce sens ne l'ayant été que postérieurement à l'édiction de sa décision.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Maral, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 25% par une décision du 18 mars 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Maral, avocat de Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Seine-Maritime a pris, en date du 25 août 2021, un arrêté à l'encontre de Mme F... E..., de nationalité philippine, née en juillet 1990 et entrée en France sous couvert d'un visa de court séjour en juin 2014, alors qu'elle avait été interpellée par les services de police le même jour, et se trouvait en situation irrégulière, l'obligeant, à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour d'un an. Mme D... a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 1er décembre 2021, dont le préfet de la Seine-Maritime fait appel, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a annulé son arrêté du 25 août 2021.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Montreuil :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré (...) s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour (...) ".
3. Pour annuler l'arrêté du 25 août 2021 du préfet de la Seine-Maritime, le premier juge a retenu un défaut d'examen de la situation personnelle de Mme D..., en l'absence de prise en compte, de la détention par celle-ci d'un passeport, et de son intégration professionnelle au titre des caractéristiques de sa vie privée et familiale. Toutefois la décision en cause mentionne, d'une part, que l'intéressée n'a présenté aucun document d'identité ou de voyage en cours de validité, que si elle prétendait que son passeport se trouvait à son domicile, elle n'en apportait pas la preuve, et que les investigations sur ses déclarations relatives à son arrivée en France en juin ou juillet 2014, avaient permis de vérifier qu'elle avait effectivement bénéficié d'un visa de court séjour valable du 4 juin au 4 juillet 2014, dont la validité était expirée, et qu'elle s'était donc maintenue en France irrégulièrement n'ayant pas en outre engagé de démarches en vue de la régularisation de sa situation administrative. La décision contestée mentionne également, d'autre part, que Mme D... déclare être célibataire et ne démontre pas entretenir de liens particuliers avec sa tante qui résiderait en France, qu'elle indique être venue en France en raison de salaires plus élevés, qu'elle déclarait être sans profession mais indiquait également garder des enfants et gagner l'équivalent du SMIC, que, sans titre de séjour, elle n'était pas autorisée à travailler et que ce travail constituait donc un travail dissimulé. Dès lors, le préfet a bien pris en compte, dans sa décision, les éléments relatifs au passeport et à l'intégration professionnelle de Mme D... au titre de sa vie privée et familiale.
4. Le préfet de la Seine-Maritime est par conséquent fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur un défaut d'examen de la situation personnelle de Mme D..., pour annuler sa décision du 25 août 2021 dans toutes ses dispositions.
5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme D... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne le moyen commun aux différentes décisions contenues dans l'arrêté attaqué :
6. Par un arrêté n° 21-055 en date du 1er juillet 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, produit au dossier, le préfet de la Seine-Maritime a donné à Mme A... B..., attachée, cheffe du bureau de l'éloignement, délégation pour signer notamment les décisions relatives aux mesures d'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de ce que l'auteur de l'arrêté attaqué n'aurait pas été compétent manque en fait.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. Si Mme D... soutient que l'obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée, cette décision mentionne, en droit, les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement desquelles elle a été prise, l'intéressée étant considérée comme s'étant maintenue en France au-delà de la validité de son visa sans avoir engagé de démarches en vue de la régularisation de sa situation et, en fait, les circonstances déjà exposées plus haut tenant à sa vie personnelle et familiale. Au demeurant, l'arrêté contesté mentionne qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit à sa vie privée et familiale tel qu'établi par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qu'elle n'allègue ni ne démontre être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. Si Mme D... soutient que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations précitées, il ressort du procès-verbal de son interpellation qu'elle s'est déclarée célibataire et sans charge de famille en France, ayant laissé sa famille aux Philippines, pays où elle a vécu jusqu'à l'âge de 24 ans, n'ayant qu'une tante en France, et a déclaré qu'elle était venue dans l'objectif de travailler pour aider sa famille. Si elle justifie d'une insertion professionnelle qui a débutée en juin 2015, mais n'a été régulière qu'à partir de 2017, elle a principalement exercé des tâches non qualifiées d'employée de maison avant de pratiquer des gardes d'enfants, ces activités étant au demeurant illégales en l'absence de titre de séjour. Ainsi en dépit de la satisfaction qu'elle donne à ses employeurs et de son insertion sociale, eu égard au caractère relativement récent de sa présence et des conditions de son séjour en France, le préfet de la Seine-Maritime, n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés et n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
10. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. (...) ", et aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa (...) sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".
11. Au titre du refus d'accorder un délai de départ volontaire à Mme D..., la décision attaquée du préfet de la Seine-Maritime, après avoir mentionné les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se fonde sur les circonstances, qu'elle est dépourvue de tout document d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'elle s'est maintenue en France au-delà de la validité de son visa sans avoir engagé de démarches en vue de la régularisation de sa situation, et enfin qu'elle déclare résider à Pantin sans en apporter la preuve, ne présentant donc aucune garantie de représentation. Dès lors le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision ou d'examen de sa situation personnelle, doit être écarté.
12. Si Mme D... a justifié au dossier de la détention d'un passeport en cours de validité et de la stabilité de son adresse à Pantin, le préfet pouvait pour le seul motif du maintien de l'intéressée en France au-delà de la validité de son visa sans avoir engagé de démarches en vue de la régularisation de sa situation, au sens du 2° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, considérer qu'il existait un risque que celle-ci se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français, et refuser pour ce motif de lui octroyer un délai de départ volontaire. Dès lors le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant cette décision, doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
13. Il résulte de ce qui précède, que le moyen, invoqué à l'encontre de la décision distincte fixant le pays de destination et tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire, comme de celle du refus d'accorder un délai de départ volontaire, doit être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
14. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ", et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
15. Au titre de l'interdiction de retour d'un an prononcée à l'encontre de Mme D..., la décision attaquée du préfet de la Seine-Maritime, après avoir mentionné les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se fonde sur les différentes circonstances caractérisant son entrée en France, son maintien en situation irrégulière, sa vie privée et familiale ainsi que professionnelle, déjà exposées plus haut, et prend donc bien en compte les critères énoncés par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionnant également qu'elle n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement ni ne constitue une menace à l'ordre public, pour fixer à un an l'interdiction de retour et précise qu'aucune circonstance humanitaire ne justifie qu'une interdiction de retour ne soit pas prononcée. Dès lors le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision ou d'examen de sa situation personnelle, doit être écarté.
16. Compte tenu de son maintien en situation irrégulière sur le territoire français, où elle est dépourvue d'attaches familiales proches, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en fixant à un an l'interdiction de retour de l'intéressée sur le territoire français.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 25 août 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ses conclusions présentées en première instance aux fins d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 devant par voie de conséquence être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 1er décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil, est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme F... D....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Renaudin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.
La rapporteure,
M. RENAUDINLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06542