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07/06/2022 | FRANCE | N°21PA01691

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 07 juin 2022, 21PA01691


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

18 avril 2019 par lequel la ministre des armées lui a infligé un blâme.

Par un jugement n° 1913065 du 4 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er avril 2021 et

20 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Boukheloua, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jug

ement du Tribunal administratif de Paris du 4 février 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

18 avril 2019 par lequel la ministre des armées lui a infligé un blâme.

Par un jugement n° 1913065 du 4 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er avril 2021 et

20 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Boukheloua, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 février 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel la ministre des armées lui a infligé un blâme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal a, à tort, écarté le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée ;

- le jugement est lui-même entaché d'insuffisance de motivation ;

- le tribunal a, à tort, écarté le moyen tiré du défaut de compétence de l'auteur de la décision attaquée en admettant le recours aux dispositions de l'article L. 861-1 du code de la sécurité intérieure et en méconnaissant, dès lors, le principe du caractère contradictoire de la procédure ;

- le tribunal a, à tort, jugé qu'il ne contestait pas avoir procédé à la destruction de données professionnelles alors qu'il le contestait dans son mémoire en réplique ;

- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie ;

- il n'a commis aucune faute et est victime de l'attitude de sa hiérarchie, désireuse de lui faire endosser la responsabilité de faits qui ne lui sont pas imputables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2021, la ministre des armées demande à la Cour de rejeter la requête de M. A....

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

28 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique,

- et les observations de Me Boukheloua pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., recruté en tant que contractuel par le ministère de la défense en 1991, a passé avec succès en 1994 un concours de catégorie A de la fonction publique de l'Etat et a poursuivi depuis lors sa carrière au sein de ce ministère. Par note du 27 septembre 2018, il a été informé qu'une procédure disciplinaire était ouverte à son encontre. Il a, à sa demande, consulté son dossier le 29 novembre 2018 et présenté des observations écrites, reçues le

5 décembre 2018, qui ont donné lieu à une réponse de l'administration le 14 janvier 2019. Le

18 avril suivant, l'administration a prononcé un blâme à son encontre. Il a alors saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation de cette sanction, rejetée par un jugement du 4 février 2021 dont il relève appel.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de cet article. Par ailleurs, la circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à l'appelant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

3. En deuxième lieu, si, en application de l'article L. 9 du code de justice administrative, les jugements doivent être motivés, les juges ne sont néanmoins tenus de répondre qu'aux moyens soulevés devant eux et non à l'ensemble des arguments présentés à l'appui de ces moyens. Or, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que, pour écarter le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté en litige, le tribunal a relevé que celui-ci citait le code de la défense et le décret du 3 avril 2015, puis indiquait que cette sanction était motivée par la destruction de données professionnelles, préjudiciable au service, et qu'il comportait ainsi l'exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fondait. Contrairement à ce que soutient M. A..., le tribunal a, ainsi, suffisamment répondu au moyen soulevé.

4. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure : " Les services spécialisés de renseignement sont désignés par décret en Conseil d'Etat (...) ". L'article R. 811-1 du même code précise que : " Les services spécialisés de renseignement sont la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la direction du renseignement militaire, la direction générale de la sécurité intérieure (...) ". D'autre part, l'article L. 861-1 du même code dispose que : " Les actes réglementaires et individuels concernant l'organisation, la gestion et le fonctionnement des services mentionnés à l'article L. 811-2 et de ceux désignés par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 811-4 ainsi que la situation de leurs agents sont pris dans des conditions qui garantissent la préservation de l'anonymat des agents. / (...) / Par dérogation à l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, les décisions et les autres actes pris par les autorités administratives au sein des services mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent comporter seulement, outre la signature, le numéro d'identification de leur auteur, attribué avec la délégation de signature et qui se substitue à la mention de ses prénom, nom et qualité. Le nombre de délégations de signature numérotées par service est fixé par arrêté du ministre compétent. / Lorsque, dans le cadre d'une procédure engagée devant une juridiction administrative ou judiciaire, la solution du litige dépend d'une question relative à un acte non publié en application du présent article ou faisant l'objet d'une signature numérotée, ce dernier est communiqué, à sa demande, à la juridiction ou au magistrat délégué par celle-ci, sans être versé au contradictoire (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... demande l'annulation d'un acte relatif à sa situation en qualité d'agent de l'un des services spécialisés de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et R 811-1 du code de la sécurité intérieure. Pour répondre au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision, identifié, outre sa signature, par le seul code DA 00, le ministre s'est prévalu devant les premiers juges des dispositions de l'article L. 861-1 du même code et de l'existence d'une décision de ses services du 27 février 2018, prise pour leur application et enregistrée le 12 mars suivant dans un recueil spécial au Secrétariat général du gouvernement. En demandant, dès lors, communication au ministre de cette décision et en prenant en compte les pièces produites à la suite de cette demande sans les soumettre au contradictoire, le tribunal s'est conformé à la procédure prévue par l'article L. 861-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par le tribunal du principe du contradictoire doit être écarté.

Sur la légalité de la sanction :

6. En premier lieu, si l'article L. 861-1 du code de la sécurité intérieure réserve aux services qu'il mentionne, dont les services spécialisés de renseignement, la possibilité de n'identifier le signataire d'une décision que par un numéro d'identification, il résulte des termes mêmes de cet article que cette faculté s'applique aux décisions relatives, notamment, à la situation des agents de ces services, catégorie à laquelle appartiennent les sanctions disciplinaires. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'administration n'aurait pu, sans illégalité, recourir à cette procédure pour prononcer un blâme à son encontre. En outre, ainsi qu'il a été rappelé au point 5, pour répondre au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, le tribunal a, ainsi que le prévoit cet article L. 861-1, demandé communication de pièces non soumises au contradictoire. Or, il ressort de ces pièces que l'auteur de l'arrêté en litige, identifié par le numéro DA 00, avait bien reçu ce numéro d'identification dans les conditions prévues par ces dispositions et bénéficiait par ailleurs d'une délégation de signature en application du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement. Par suite, le moyen tiré du défaut de compétence du signataire de la décision manque en fait.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a admis à plusieurs reprises avoir détruit des éléments figurant sur sa messagerie personnelle, qui lui avaient été transmis à des fins professionnelles. Ainsi, il indique notamment dans sa note d'observation transmise le 5 décembre 2018 que " puisque sur ordre, cette affaire ne le concernait pas, l'agent était libre de gérer sa propre messagerie et l'a, avec regrets, détruite ", ce qu'il a confirmé ensuite dans ses écritures devant la juridiction. Par ailleurs, dès lors qu'il ressort de ses propres propos que les documents en cause avaient directement trait à son activité professionnelle, la circonstance qu'ils aient figuré sur sa messagerie personnelle plutôt que sur sa messagerie professionnelle est sans incidence. Ainsi, la matérialité des faits doit être considérée comme établie en ce qui concerne la destruction de documents ayant trait au service. En revanche, alors que M. A... fait valoir que l'ensemble de ces éléments avaient été auparavant transférés à sa hiérarchie, qu'il avait été invité à ne plus s'occuper des questions correspondantes et qu'il n'est résulté aucun préjudice, pour l'administration, de la destruction des éléments demeurés sur sa messagerie personnelle, la ministre se borne à affirmer que la destruction de données professionnelles était préjudiciable au service, sans apporter aucune précision sur ces données non plus que sur les raisons pour lesquelles leur destruction aurait revêtu un caractère préjudiciable. Dans ces conditions, elle n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, l'incidence pour le service des faits reprochés au requérant. Le caractère fautif des faits reprochés n'est, par suite, pas davantage établi.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il est ainsi fondé à en demander l'annulation, ainsi que celle de l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel la ministre des armées lui a infligé un blâme.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par ce dernier et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1913065 du tribunal administratif de Paris du 4 février 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la ministre des armées du 18 avril 2019 infligeant un blâme à M. A... est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2022.

La rapporteure,

M-I. C...La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21PA01691


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01691
Date de la décision : 07/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - QUESTIONS GÉNÉRALES - OBLIGATION DE MENTION DES PRÉNOM - NOM ET QUALITÉ DE L'AUTEUR DE LA DÉCISION (ART - L - 212-1 DU CRPA) - DÉROGATION AU PROFIT DES SERVICES SPÉCIALISÉS DE RENSEIGNEMENT (ART - L - 861-1 DU CODE DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE) - VÉRIFICATION QUE L'ACTE EN LITIGE ENTRE DANS LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI - EXISTENCE - CONTRÔLE DU BIEN-FONDÉ DU RECOURS À L'ANONYMISATION DE CET ACTE - ABSENCE.

01-03-01 Le requérant demande l'annulation d'un acte relatif à sa situation en qualité d'agent de l'un des services spécialisés de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et R. 811-1 du code de la sécurité intérieure. Si l'article L. 861-1 de ce code réserve aux services qu'il mentionne, dont les services spécialisés de renseignement, la possibilité de n'identifier le signataire d'une décision que par un numéro d'identification, il résulte des termes mêmes de cet article que cette faculté s'applique aux décisions relatives, notamment, à la situation des agents de ces services, catégorie à laquelle appartiennent les sanctions disciplinaires. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration n'aurait pu, sans illégalité, recourir à cette procédure pour prononcer une sanction à son encontre.

PROCÉDURE - INSTRUCTION - CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE - SERVICES SPÉCIALISÉS DE RENSEIGNEMENT - PRÉSERVATION DE L'ANONYMAT DES AGENTS DES SERVICES - ARTICLE L - 861-1 DU CODE DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE - DÉROGATION AU CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE JURIDICTIONNELLE - VÉRIFICATION QUE L'ACTE EN LITIGE ENTRE DANS LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI - EXISTENCE - CONTRÔLE DU BIEN-FONDÉ DU RECOURS À L'ANONYMISATION DE CET ACTE - ABSENCE.

54-04-03 Le requérant demande l'annulation d'un acte relatif à sa situation en qualité d'agent de l'un des services spécialisés de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et R. 811-1 du code de la sécurité intérieure. Pour répondre au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision, identifié, outre sa signature, seulement par un code, le ministre s'est prévalu des dispositions de l'article L. 861-1 du même code et de l'existence d'une décision de ses services, prise pour leur application. En demandant, dès lors, communication au ministre de cette décision et en prenant en compte les pièces produites à la suite de cette demande sans les soumettre au contradictoire, le tribunal s'est conformé à la procédure prévue par l'article L. 861-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par le tribunal du principe du contradictoire doit être écarté.Si l'article L. 861-1 du code de la sécurité intérieure réserve aux services qu'il mentionne, dont les services spécialisés de renseignement, la possibilité de n'identifier le signataire d'une décision que par un numéro d'identification, il résulte des termes mêmes de cet article que cette faculté s'applique aux décisions relatives, notamment, à la situation des agents de ces services, catégorie à laquelle appartiennent les sanctions disciplinaires. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration n'aurait pu, sans illégalité, recourir à cette procédure pour prononcer une sanction à son encontre. Pour répondre au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, le tribunal a, ainsi que le prévoit cet article L. 861-1, demandé communication de pièces non soumises au contradictoire. Il ressort de ces pièces que l'auteur de la décision en litige, qui bénéficiait par ailleurs d'une délégation de signature valide, avait bien reçu un numéro d'identification dans les conditions prévues par ces dispositions. Par suite, le moyen tiré du défaut de compétence du signataire de la décision manque en fait.Rappr. l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative fixant les règles de procédure quand une pièce est soustraite au contradictoire.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : BOUKHELOUA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-07;21pa01691 ?
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