Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2021 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités espagnoles.
Par un jugement n°2122839 du 26 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a admis Mme A..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé l'arrêté du 12 octobre 2021, a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de 10 jours, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2021, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du 26 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation fondée sur le refus de faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et lui a enjoint de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de 10 jours ;
- les autres moyens soulevés en première instance non sont pas fondés.
Par mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2022, Mme A..., représentée par Me Atger, demande à la Cour :
1°) de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête du préfet de police ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est dépourvue d'objet dès lors qu'elle s'est vu délivrer par la préfecture de police, le 6 décembre 2021, une attestation de demande d'asile en procédure normale et qu'elle a été convoquée pour un entretien à l'OFPRA le 4 février 2022 ;
- elle entend conserver l'entier bénéfice de ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Célérier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, née le 23 février 1996 à Dabakala
(Côte d'Ivoire), qui est entrée irrégulièrement sur le territoire français, a, le 22 juin 2021, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informée par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'elle avait franchi irrégulièrement les frontières de l'Espagne le 4 mars 2021, le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de Mme A... sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces autorités ayant accepté de la prendre en charge, le préfet de police a décidé le transfert de Mme A... par un arrêté du 12 octobre 2021. Il fait appel du jugement du 26 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté.
2. Mme A... ne justifiant pas avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle, les conclusions tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire sont rejetées.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :
3. S'il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a délivré à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale le 6 décembre 2021, cette mesure est intervenue en exécution du jugement du 26 novembre 2021 et ne prive pas d'objet l'appel contre ce jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par Mme A... doit être écartée.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
4. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
5. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
6. Pour annuler l'arrêté en litige comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation affectant le refus de mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement
n° 604/2013 du 26 juin 2013, le premier juge s'est fondé sur l'état psychique fragile associé à un risque suicidaire de Mme A..., sur sa mesure d'internement complet pour troubles mentaux et son renouvellement, sur son état de grossesse de plus de 4 mois à la date de l'arrêté attaqué, sur l'accord implicite de reprise en charge des autorités espagnoles et sur l'absence au dossier de tout élément permettant de s'assurer qu'un suivi équivalent pourrait être mis en place en Espagne.
7. Toutefois, d'une part, le préfet de police fait valoir à juste titre que si l'affectation mentale de Mme A... n'est pas contestée, celle-ci n'établit pas que le transfert, à la date de la décision contestée, serait susceptible d'entrainer un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, que son transfert aux autorités espagnoles interromprait le traitement dont elle bénéficie pendant la période de voyage d'une journée, ni même qu'elle ne pourrait pas bénéficier de soins adaptés à sa pathologie en Espagne.
Mme A... n'a d'ailleurs jamais invoqué son état de santé dans le cadre de sa demande d'asile, notamment au cours de l'entretien individuel du 23 juin 2021, ni même postérieurement. D'autre part, Mme A..., dont la grossesse a été médicalement constatée le 23 juin 2021, ne produit aucune pièce établissant qu'elle n'était pas en mesure de voyager vers l'Espagne à la date de l'arrêté litigieux ou qu'elle ne pourrait bénéficier d'un suivi médical en Espagne.
8. Par ailleurs, le fait que l'Espagne ait accepté la reprise en charge de Mme A... par un accord implicite est sans incidence sur la capacité des autorités espagnoles d'assurer le suivi médical adapté à sa pathologie. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté en litige au motif qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par Mme A... :
10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
11. L'arrêté prononçant le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de Mme A..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'elle avait franchi irrégulièrement les frontières espagnoles, que les autorités espagnoles, saisies d'une demande de prise en charge en application de l'article 13 de ce règlement, ont, le 29 septembre 2021, accepté implicitement de la prendre en charge en application de l'article 25 (2) du même règlement, qu'elle ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3 et 17 du règlement, qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et enfin qu'elle n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités espagnoles. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées au point précédent.
12. Il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté litigieux, rappelée ci-dessus, qu'il n'aurait pas été précédé d'un examen complet du dossier de Mme A....
13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
14. Il ressort des éléments produits par le préfet de police en première instance que Mme A... s'est vu remettre en temps utile, les 22 et 23 juin 2021, préalablement à l'entretien individuel réalisé le 23 juin 2021, les brochures " A ", intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue bambara et en langue française, dont elle a signé les premières pages. Les informations, que les brochures remises en langue française contiennent, ont été portées oralement à la connaissance de Mme A... en bambara et en dioula, langues qu'elle a déclaré comprendre, par le service d'un interprète provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
15. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
16. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié d'un entretien individuel le 23 juin 2021 dans les locaux de la préfecture de police, et qu'un résumé de cet entretien a été établi le jour même. L'intéressée ne fait état d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions susvisées, notamment au regard des garanties de confidentialité. Cet entretien a été mené par un agent de la direction de la police générale de la préfecture de police, dont l'identité n'avait pas à être révélée. Compte tenu du cachet sécurisé numéroté apposé à la fin du résumé de l'entretien, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Il n'est pas contesté que Mme A... a bénéficié lors de son entretien individuel, ainsi que le permettent les dispositions citées ci-dessus, des services d'un interprète en langue dioula, qu'elle a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration.
Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE)
n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
17. En dernier lieu, si Mme A... a soutenu qu'il n'était pas établi que le préfet de police avait procédé aux diligences requises par le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, il ressort des pièces produites par le préfet de police, devant la magistrate désignée par le président du tribunal administratif, qu'il a saisi les autorités espagnoles le 28 juillet 2021, et qu'il a obtenu leur accord implicite le 29 septembre 2021. Le moyen tiré d'une méconnaissance des articles 21 et 26 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 12 octobre 2021. Par voie de conséquence, les conclusions de Mme A... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2122839/8 du tribunal administratif de Paris du 26 novembre 2021 sont annulés.
Article 2 : La demande de Mme A... devant le tribunal administratif et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2022.
L'assesseur le plus ancien,
J-C. NIOLLET
Le président-rapporteur,
T. CELERIER
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06627