Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 9 octobre 2020 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée à l'issue de ce délai, ainsi que d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard ou, à défaut, de lui accorder une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, ou de lui accorder un délai supplémentaire de départ du territoire français et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2.000 euros à Me Loison, son avocate, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Par un jugement n°2107788/3-1 du 15 juillet 2021, le Tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 9 octobre 2020, enjoint à cette autorité de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Loison en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2021, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1, 2 et 3 de ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 15 juillet 2021 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme B....
Il soutient que :
- le tribunal a à tort jugé que Mme B... justifiait ne pouvoir bénéficier du traitement médical nécessaire dans son pays d'origine alors que cette impossibilité n'est pas établie par les documents qu'elle produit, qui ne permettent pas de contredire utilement l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
- les autres moyens de Mme B... présentés devant le tribunal ne peuvent qu'être rejetés pour les motifs développés devant les premiers juges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2021, Mme B..., représentée par Me Loison, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) d'annuler les décisions contenues dans l'arrêté du préfet de police du
9 octobre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du 10 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- et les observations de Me Loison pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante arménienne née le 1er avril 1984, est entrée en France en 2016 et a formé une demande d'asile, mais cette demande a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 août 2017 confirmée par décision du 16 février 2018 de la Cour nationale du droit d'asile. Elle est néanmoins restée sur le territoire français et a sollicité, en juillet 2018, la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 octobre 2020, le préfet de police a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloigné à l'issue de ce délai. Mme B... a dès lors saisi le tribunal administratif de Paris qui, par jugement du 15 juillet 2021, a annulé cet arrêté du 9 octobre 2020, a enjoint au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. C'est le jugement dont le préfet de police relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 425-9 de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). "
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui est atteinte d'un cancer du sein métastatique au niveau osseux et ganglionnaire en rémission, avec séquelles d'une embolie pulmonaire massive, doit faire l'objet d'une surveillance médicale constante et nécessite un traitement médical spécifique. Ainsi, saisi à deux reprises par l'administration dans le cadre de l'instruction de la demande de titre de séjour de Mme C..., le collège des médecins de l'OFII a, dans ses deux avis des 5 avril 2019 et 14 septembre 2020, retenu que cette patiente nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais en retenant dans son premier avis que cette prise en charge ne pourrait être assurée dans son pays d'origine, et dans le deuxième qu'elle pourrait y être effectuée. Toutefois, ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, le médecin oncologiste de la requérante indique dans son certificat du 20 avril 2021 que son traitement " est non substituable " et qu'en cas de substitution voire d'arrêt de son traitement, " cela compromettrait la prise en charge de son cancer et serait nuisible pour sa santé ". Par ailleurs il ressort d'un rapport de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés, en date du 18 septembre 2019, établissant très précisément quels médicaments relatifs à la pathologie de la requérante sont disponibles en Arménie et lesquels sont remboursés ou non, que les médicaments pris par la requérante ne sont pas mentionnés comme disponibles, qu'un seul médicament, le Tamoxifène, y est disponible gratuitement, mais sans que l'approvisionnement en soit garanti, et que les autres médicaments tels que le Denosumab et l'Herception sont à la charge des patients et d'un coût élevé, par rapport au salaire mensuel moyen en Arménie, l'Herception n'étant de surcroît en vente que dans quelques pharmacies. Selon les propos tenus par un praticien arménien et repris dans ce rapport, l'ensemble des prestations de base (BBP) pour cette pathologie ne couvrent aucun frais de traitement à l'exception du tamoxifène ; par ailleurs il en résulte également que l'Etat arménien ne prend en charge que deux densimétries par année, et, par suite, Mme B... ne pourrait bénéficier du suivi médical nécessité par son état, compte tenu surtout du faible salaire dont bénéficiait la requérante avant son départ pour la France. Par ailleurs il ressort également des documents médicaux produits qu'au cours des mois précédant l'intervention de l'arrêté attaqué, en date du 9 octobre 2020, elle avait dû subir deux opérations, consistant en une mastectomie gauche, en avril 2020, et une nouvelle intervention chirurgicale le 2 octobre 2020 pour " reconstruction par prothèse " mais aussi " dépose d'expandeur ". Au vu de l'ensemble de ces éléments c'est à juste titre que le tribunal a jugé que l'arrêté attaqué avait été pris en méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté. Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée.
Sur les conclusions à fins d'injonction présentées par Mme B... :
5. Le tribunal ayant déjà, par le jugement attaqué, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", les conclusions de celle-ci tendant à ce que la Cour prononce une telle injonction sont sans objet, et il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de Mme B... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins d'injonction présentées par
Mme B....
Article 3 : L'Etat versera à Me Loison, une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 avril 2022.
La rapporteure,
M-I. LABETOULLELe président,
T. CELERIER
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04661