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01/02/2022 | FRANCE | N°19PA02840

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 01 février 2022, 19PA02840


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Neurovirtual et M. D... E... ont demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l'AP-HP) à verser à la société Neurovirtual la somme de 16 115 030,40 euros, assortie des intérêts de droit ;

2°) de condamner l'AP-HP à verser à M. E... la somme de 14 700 000 euros, assortie des intérêts de droit ;

3°) d'ordonner à l'AP-HP de restituer à la société Neurovirtual le matériel mis à sa disposition pour les besoin

s de la recherche REVLOC ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP les frais de l'expertise confiée à Mme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Neurovirtual et M. D... E... ont demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l'AP-HP) à verser à la société Neurovirtual la somme de 16 115 030,40 euros, assortie des intérêts de droit ;

2°) de condamner l'AP-HP à verser à M. E... la somme de 14 700 000 euros, assortie des intérêts de droit ;

3°) d'ordonner à l'AP-HP de restituer à la société Neurovirtual le matériel mis à sa disposition pour les besoins de la recherche REVLOC ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP les frais de l'expertise confiée à Mme C... par ordonnance du 27 juin 2016.

Par un jugement N° 1716250/4-1 du 28 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser la somme de 165 030,40 euros à la société Neurovirtual et la somme de 50 000 euros à M. E..., a enjoint à l'AP-HP de restituer à la société Neurovirtual le dispositif médical mis à sa disposition, a mis les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 400 euros TTC, à la charge de l'AP-HP, a mis à la charge de l'AP-HP une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le N° 19PA02840 le 29 août 2019, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 14 novembre 2019, l'AP-HP, représentée par

Me Memlouk, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Neurovirtual et par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à leur charge une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- le jugement du 28 juin 2019 ne pouvait faire droit aux conclusions présentées par

M. E... sur un fondement contractuel, alors qu'il n'était pas partie au contrat du

15 novembre 2010 ;

- c'est à tort qu'il a estimé que l'AP-HP avait commis une faute en s'abstenant de soumettre à l'accord de la société Neurovirtual les modifications du contrat et du protocole de recherche, ainsi que l'introduction d'un critère lié aux études supérieures ;

- c'est aussi à tort qu'il a regardé l'absence de mention de la société Neurovirtual et du Dr E... sur la fiche administrative internationale " clinicaltrials.gov " relative à la recherche " REVLOC " comme un manquement à l'article 5 du contrat ;

- c'est encore à tort qu'il a regardé l'absence de communication du rapport final à la société Neurovirtual et au Dr E... et la prolongation de la durée de l'étude au-delà du délai prévisionnel, comme des manquements aux obligations prévues aux articles 6-1 et 7 du contrat ;

- c'est enfin à tort qu'il a retenu un manquement aux bonnes pratiques en matière de recherche clinique ;

- c'est donc à tort qu'il s'est fondé sur les fautes mentionnées ci-dessus pour condamner l'AP-HP à indemniser la société Neurovirtual et M. E... ;

- c'est par ailleurs à tort qu'il a retenu l'existence d'un lien de causalité entre le manquement à l'article 5 du contrat et les préjudices que M. E... aurait subis ;

- c'est également à tort, et au prix d'une insuffisance de motivation, qu'il a retenu l'existence d'un lien de causalité entre les fautes mentionnées ci-dessus et les préjudices que la société Neurovirtual aurait subis ;

- ces préjudices ne sont en tout état de cause pas établis ;

- le tribunal administratif ne pouvait enfin condamner l'AP-HP à rembourser la totalité de la somme versée par la société Neurovirtual au titre de sa participation financière pour la réalisation de l'étude ;

- les moyens soulevés par la société Neurovirtual et par M. E... au soutien de leur demande de première instance ne sont pas fondés.

Par trois mémoires en défense, enregistrés le 7 mars 2020, le 20 octobre 2021 et le

7 novembre 2021, la société Neurovirtual et M. E..., représentés par Me Le Gars, demandent à la Cour :

1°) de joindre la requête de l'AP-HP et leur requête, enregistrée sous le N° 19PA02874 ;

2°) de rejeter la requête de l'AP-HP ;

3°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 ;

- de porter à 66 360 797,06 euros le montant de la condamnation de l'AP-HP en faveur de la société Neurovirtual, et de l'assortir des intérêts à compter du 15 septembre 2017, avec capitalisation ;

- de porter à 17 358 039 euros, le montant de la condamnation de l'AP-HP en faveur de M. E..., et de l'assortir des intérêts à compter du 15 septembre 2017, avec capitalisation ;

4°) d'ordonner une expertise sur le préjudice corporel subi par M. E... ;

5°) de porter à 15 000 euros le montant de la somme mise à la charge de l'AP-HP par le tribunal administratif sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le point 4 du jugement du tribunal administratif présente M. E... comme le gérant de la société Neurovirtual, alors que le gérant de cette société est son père,

M. B... E... et alors qu'il en est le directeur scientifique ;

- c'est à tort que le point 16 de ce jugement énonce qu'il ne faisait partie du comité de pilotage, et qu'au point 4, le tribunal n'a retenu la responsabilité de l'AP-HP à son égard qu'à raison de la violation de l'article 5 du contrat ;

- les moyens soulevés par l'AP-HP ne sont pas fondés ;

- les modifications introduites dans la recherche, portant notamment sur les populations incluses, auraient dû donner lieu à une nouvelle recherche ;

- M. E... et la société Neurovirtual auraient dû en être informés au sein du comité de pilotage ;

- c'est à tort qu'au point 27 de son jugement, le tribunal a estimé que les interférences invoquées n'étaient pas suffisamment établies pour caractériser une situation de conflit d'intérêts ;

- la société Neurovirtual doit être indemnisée de son préjudice économique à hauteur de 65 725 100 euros, de son préjudice moral ainsi que de l'atteinte portée à sa réputation à hauteur de 500 000 euros, et des frais exposés pour la défense de ses intérêts, autres que les frais d'avocat, à hauteur de 20 666,66 euros ;

- M. E... doit être indemnisé de la perte de valeur de ses brevets, évaluée à

13 186 799 euros, à laquelle s'ajoute, pour les années 2014 à 2019, la perte des redevances liées aux brevets, évaluée à 2 451 240 euros ;

- il doit être indemnisé de la perte de ses salaires représentant 720 000 euros pour les années 2014 à 2020 ;

- il doit être indemnisé de son préjudice moral ainsi que de l'atteinte portée à sa réputation à hauteur de un million d'euros ;

- il y a lieu d'ordonner une expertise sur le préjudice corporel dont il souffre depuis 2017.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 20 octobre 2021, l'AP-HP conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que les moyens soulevés par la société Neurovirtual et par

M. E... au soutien de leurs conclusions d'appel incident ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au

8 décembre 2021.

II. Par une requête, enregistrée sous le N°19PA02874 le 3 septembre 2019, la société Neurovirtual et M. E..., représentés par Me Le Gars, demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 ;

2°) de porter à 66 355 997,60 euros le montant de la condamnation de l'AP-HP en faveur de la société Neurovirtual, et de l'assortir des intérêts à compter du 15 septembre 2017, avec capitalisation ;

3°) de porter à 17 358 039 euros, le montant de la condamnation de l'AP-HP en faveur de M. E..., et de l'assortir des intérêts à compter du 15 septembre 2017, avec capitalisation ;

4°) d'ordonner une expertise sur le préjudice corporel subi par M. E... ;

5°) de porter à 15 000 euros le montant de la somme mise à la charge de l'AP-HP par le tribunal administratif sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir les mêmes moyens qu'à l'appui de leurs conclusions présentées par la voie de l'appel incident dans le cadre de l'instance n°19PA02840.

La société Neurovirtual limite toutefois à 15 866,66 euros le montant des frais exposés pour la défense de ses intérêts, autres que les frais d'avocat, à hauteur desquels elle demande à être indemnisée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 2 juillet 2020 et le 20 octobre 2021,

l'AP-HP, représentée par Me Memlouk, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de la société Neurovirtual et M. E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que

- les moyens soulevés par la société Neurovirtual et par M. E... ne sont pas fondés ;

- les conclusions de M. E... qui n'était pas partie au contrat ne sont recevables que dans la mesure où elles peuvent être rattachées aux droits qu'il tient de l'article 5 du contrat ; ainsi, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'appelant n'était recevable à rechercher la responsabilité de l'exposante (AP-HP) que sur le terrain de la stipulation pour autrui, et uniquement en tant que l'article 5 du contrat a créé un droit à son bénéfice ;

- la société Neurovirtual et par M. E... ne sont pas recevables à augmenter le montant de leurs conclusions au-delà des montants de leurs demandes de première instance, soit 16 115 030,40 euros et 14 700 000 euros.

Par trois mémoires en réplique, enregistrés le 19 septembre 2020, le 20 octobre 2021 et le 7 novembre 2021, la société Neurovirtual et M. E... concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens. Ils portent à 66 360 797,06 euros, le montant de la condamnation qu'ils demandent de prononcer à l'encontre de l'AP-HP au titre du préjudice subi par la société Neurovirtual.

La société Neurovirtual précise que le montant des frais exposés pour la défense de ses intérêts, autres que les frais d'avocat, à hauteur desquels elle demande à être indemnisée, s'élève, non à 15 866,66 euros, mais à 20 666,66 euros.

La société Neurovirtual et M. E... soutiennent en outre que leur préjudice, sans s'être " aggravé ", " s'est révélé dans toute son ampleur " après la clôture de l'instruction devant le tribunal administratif.

Par une ordonnance du 8 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au

8 décembre 2021.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique,

- les observations de Me Juquin substituant Me Memlouk pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP),

- et les observations de Me Le Gars pour la société Neurovirtual et pour M. E....

Considérant ce qui suit :

1. La société Neurovirtual a mis au point une technologie utilisant, selon les termes de sa requête, un " dispositif optoélectronique capable de reproduire un environnement virtuel 3D thérapeutique " " pour le traitement des douleurs chroniques chez les patients souffrant de lombalgies ou de lombosciatiques chroniques invalidantes et résistantes aux thérapeutiques médicamenteuses ". Elle a, le 15 novembre 2010, conclu un " contrat de fourniture de dispositif médical dans le cadre de la recherche (...) n° VAL 2010/2010-139/01 MED/n°10-019 " avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Cette recherche biomédicale avait pour objet une " évaluation de l'effet antalgique d'un appareil prototype de réalité virtuelle sur une population de patients lombalgiques chroniques. Un essai contrôlé randomisé selon un schéma Zelen modifié (REVLOC) ". L'AP-HP en était le promoteur au sens de l'article L. 1121-1 du code de la santé publique. La société Neurovirtual y a apporté une contribution financière de

115 030,40 euros TTC. L'investigateur coordonnateur était le Professeur Poiraudeau de l'Hôpital Cochin, lui-même désigné comme centre investigateur. La durée prévue au contrat était de vingt-quatre mois. Cette recherche a fait l'objet d'un rapport d'analyses statistiques daté du

30 juin 2015, transmis à la société le 17 août 2015.

2. La société Neurovirtual, insatisfaite de ce rapport, entaché selon elle d'une modification des critères de l'étude, d'incohérences et d'erreurs, a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise, qui a été confiée, par une ordonnance du 27 juin 2016, à Mme A... C.... Mme C... a déposé son rapport le

18 janvier 2017.

3. La société Neurovirtual et le Docteur E..., que l'article 5 du contrat mentionné ci-dessus présente comme l'inventeur du dispositif de réalité virtuelle et le théoricien de la méthodologie du traitement par ce dispositif, estimant que l'AP-HP avait manqué à ses obligations contractuelles et aux bonnes pratiques en matière de recherche clinique, ont adressé une réclamation indemnitaire préalable à l'AP-HP le 13 septembre 2017 en vue de l'indemnisation des préjudices qu'ils soutenaient avoir subis. Cette demande ayant été implicitement rejetée, la société Neurovirtual et M. E... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'AP-HP à les indemniser.

4. Par un jugement du 28 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a condamné

l'AP-HP à verser la somme de 165 030,40 euros à la société Neurovirtual et la somme de

50 000 euros à M. E..., et lui a enjoint de restituer à la société Neurovirtual le dispositif médical mis à sa disposition. Par sa requête n° 19PA02840, l'AP-HP fait appel de ce jugement. Par leur requête n° 19PA02874 et par leurs conclusions présentées par la voie de l'appel incident dans le cadre de l'instance n°19PA02840, la société Neurovirtual et M. E... demandent à la Cour de porter à 66 360 797,06 euros et à 17 358 039 euros le montant des condamnations prononcées à l'encontre de l'AP-HP.

5. Les requêtes n° 19PA02840 de l'AP-HP et n° 19PA02874 de la société Neurovirtual et de M. E... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

En ce qui concerne les moyens de la requête de l'AP-HP :

6. En premier lieu, il ressort des points 22 et 18 à 20 du jugement attaqué que, pour faire partiellement droit aux conclusions indemnitaires dont il était saisi, le tribunal administratif s'est notamment fondé sur un manquement de l'AP-HP à l'article 5 du contrat lui faisant obligation de citer M. E... et de mentionner la société Neurovirtual dans ses publications et ses communications liées à la recherche, et sur ses manquements à ses obligations vis-à-vis de la société Neurovirtual, découlant des articles 6-1 et 7 du contrat, relatifs à la communication du rapport final de la recherche à la société Neurovirtual et à la durée de cette recherche. L'AP-HP ne fait valoir devant la Cour aucun élément nouveau de nature à remettre en cause ces motifs qu'il y a lieu d'adopter.

7. En deuxième lieu, pour retenir un manquement de l'AP-HP aux " bonnes pratiques en matière de recherche clinique " de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Neurovirtual, le tribunal administratif s'est, au point 24 de son jugement, fondé sur le rapport d'analyses statistiques du 17 août 2015, et a estimé que 25% des patients du groupe " réalité virtuelle " présentaient une lombalgie d'une durée inférieure ou égale à 2,9 mois, alors que le contrat prévoyait une lombalgie chronique ou une lombosciatique chronique, évoluant depuis plus de six mois, et alors que la quatrième version du protocole de recherche (" v.4 "), pourtant dépourvue de valeur contractuelle, prévoyait une durée de trois mois. Si l'AP-HP fait état d'une erreur de frappe affectant le rapport d'analyses statistiques, et produit devant la Cour une capture d'écran comportant d'autres chiffres pour le délai depuis le début de l'épisode actuel (de douleur), ces nouveaux chiffres mettent en évidence que 25 % (" Q1 ") des patients des groupes A (" réalité virtuelle ") et B (" contrôle ") souffraient de lombalgie et de lombosciatique respectivement depuis au plus 4,9 mois et 4,5 mois, et ne sont donc pas de nature à remettre en cause le manquement au contrat et à son annexe 1, relevé par les premiers juges. De plus,

l'AP-HP ne saurait utilement se prévaloir des chiffres du rapport concernant le délai mesuré depuis le diagnostic.

8. En troisième lieu, il ressort du point 17 du jugement attaqué que le tribunal administratif a également estimé que l'AP-HP a commis une faute à l'égard de la société Neurovirtual en ne lui soumettant pas le critère lié aux études supérieures des patients, introduit par l'investigateur bien que non prévu au contrat, alors que le principe de " randomisation " prévu par le contrat imposait que l'étude porte sur deux groupes comparables pour les facteurs pronostiqués connus et inconnus. L'AP-HP soutient toutefois à juste titre que le recours à ce critère lors de l'analyse statistique des résultats, tout comme d'ailleurs le recours au critère tiré de la profession des patients, également contesté par la société Neurovirtual devant la Cour, n'a pas affecté le respect des critères d'inclusion et de non-inclusion des patients prévus par le résumé de la recherche figurant en annexe 1 au contrat, et des autres prévisions contractuelles, et n'avait donc pas à être soumis à l'approbation de la société Neurovirtual selon les stipulations de l'article 9 du contrat relatives à sa modification.

9. L'AP-HP ne fait cependant valoir devant la Cour aucun élément nouveau de nature à remettre en cause sa responsabilité à l'égard de la société Neurovirtual à raison des autres modifications du contrat qui n'ont pas été soumises à son approbation, sur lesquelles les premiers juges se sont fondés pour estimer qu'elle avait manqué à ses obligations contractuelles prévues aux articles 9 et 10 du contrat. Il y a donc lieu de rejeter sa contestation de ces derniers manquements par adoption des motifs exposés aux points 12 à 14 de leur jugement.

En ce qui concerne les moyens soulevés par M. E... :

10. Aux termes de l'article 5 intitulé " communication - publication " du contrat : " (...) L'AP-HP s'engage à demander à l'Investigateur de citer le nom du Dr D... E... dans toutes publications ou communications liées à la recherche notamment en ce qui concerne tous textes ou communications scientifiques sur la partie : matériel et/ou méthodes ainsi que sur la page de titre parmi les auteurs de la publication liée à la Recherche (lié aux règles de Vancouver sur les textes scientifiques). Etant précisé que le Dr D... E... est l'Inventeur du prototype du Dispositif de réalité virtuelle nécessaire à la réalisation de la Recherche et le théoricien qui a mis en place cette méthodologie spécifique par ce traitement de réalité virtuelle. / L'AP-HP s'engage à demander à l'Investigateur de mentionner, dans ses publications et ses communications, le soutien apporté par la Société à la réalisation de la Recherche, en faisant figurer la mention : " Cette recherche a été réalisée grâce au soutien de la société NEUROVIRTUAL (...) " ".

11. Il ressort du point 4 du jugement attaqué que le tribunal administratif a relevé que le contrat de fourniture du dispositif médical daté du 15 novembre 2010 a été conclu par

l'AP-HP et par la société Neurovirtual, et a estimé que, si M. E... disposait d'un droit et d'une action contre l'AP-HP sur le fondement de la stipulation pour autrui de l'article 5 du contrat, cité ci-dessus, dont il était le bénéficiaire, il n'avait pas la qualité de partie à ce contrat, mais celle de tiers au contrat. En rappelant son rôle d'inventeur, reconnu à l'article 5 du contrat, de " correspondant matério-vigilance ", ainsi que prévu à l'annexe II au contrat et d'" investigateur associé " selon le protocole de recherche, et en faisant référence à la page 2 de ce protocole de recherche mentionnant son nom parmi ceux des membres du comité de pilotage, alors que les prévisions du même protocole, en particulier celles de son X-3, intitulé " Comité de pilotage ", et les autres pièces du dossier ne confirment pas son appartenance à ce comité,

M. E... n'établit pas en tout état de cause avoir eu la qualité de partie au contrat. Il n'est donc pas fondé à se plaindre du rejet de ses conclusions indemnitaires fondées sur des manquements de l'AP-HP aux stipulations du contrat autres que celles de l'article 5.

En ce qui concerne les moyens soulevés par la société Neurovirtual :

12. En premier lieu, ainsi que le tribunal administratif l'a relevé à bon droit, les changements au contrat en ce qui concerne notamment les critères d'inclusion dans la recherche, bien qu'importants, n'ont pas été d'une ampleur telle qu'ils auraient dû être considérés comme constituant une nouvelle recherche. Sur ce point, la société Neurovirtual ne saurait en tout état de cause invoquer utilement le XII-3 de la première version du protocole de recherche (" v.1 ") du 1er juillet 2010 qui n'a pas de caractère contractuel, l'article 2-1 du contrat relatif aux obligations de l'AP-HP et l'article IV de l'annexe II relatif à la qualité et aux performances de son matériel.

13. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les prévisions du protocole de recherche, en particulier celles de son X-3, intitulé " Comité de pilotage ", et les autres pièces du dossier ne permettent pas de confirmer l'appartenance de M. E... et de la société Neurovirtual à ce comité. La société Neurovirtual n'est donc pas fondée à faire état d'une faute de l'AP-HP qui s'est abstenue de les informer et de les consulter au sein du comité de pilotage.

14. En troisième lieu, le moyen tiré de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle le Professeur Poiraudeau, investigateur coordonnateur de la recherche, et plusieurs autres praticiens impliqués dans celle-ci se seraient trouvés placés, doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 27 du jugement attaqué.

Sur les préjudices subis par M. E... :

15. Pour évaluer à une somme globale de 50 000 euros le préjudice moral et le préjudice de réputation subis par M. E..., les premiers juges ont relevé qu'il était l'inventeur du dispositif mentionné ci-dessus et le théoricien d'une méthodologie du traitement de la douleur par ce dispositif, et qu'il avait été privé de la reconnaissance à laquelle il pouvait prétendre du fait de l'absence de mention de son nom sur les communications et publications liées à la recherche. Ils ont de plus estimé qu'il avait été particulièrement éprouvé par cet échec. Devant la Cour, l'AP-HP ne conteste pas sérieusement l'existence d'un lien entre sa faute au regard de l'article 5 du contrat, relevée ci-dessus, et les préjudices ainsi subis par M. E..., et ne fait état d'aucune raison de remettre en cause leur évaluation. M. E... ne démontre pas davantage qu'elle serait insuffisamment élevée.

16. Si M. E... demande en outre à être indemnisé de la perte de valeur des brevets qu'il avait demandés, des manques à gagner qu'il aurait subis sur les redevances liées à ces brevets entre 2014 et 2019 et sur les salaires qu'il aurait dû recevoir entre 2014 et 2020, ainsi que du préjudice corporel dont il aurait souffert à partir de 2017, ces divers préjudices, à en supposer la réalité établie, ne peuvent être regardés comme en lien direct et certain avec la faute de

l'AP-HP au regard de l'article 5 du contrat, relevée ci-dessus.

Sur les préjudices subis par la société Neurovirtual :

17. Devant la Cour, l'AP-HP ne conteste pas sérieusement l'existence du lien retenu par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, entre, d'une part, ses fautes au regard des articles 5, 6-1, 7 et 9 du contrat et des " bonnes pratiques en matière de recherche clinique ", relevées ci-dessus, et, d'autre part, le préjudice moral ainsi que l'atteinte à sa réputation subis par la société Neurovirtual. De plus, l'AP-HP et la société Neurovirtual ne font état d'aucune raison de remettre en cause l'évaluation de ces préjudices par les premiers juges à une somme globale de 50 000 euros compte tenu de leur importance.

18. Si la société Neurovirtual demande en outre à être indemnisée du manque à gagner qu'elle aurait subi sur l'exploitation de la technologie issue de la recherche, elle n'établit pas plus en appel qu'en première instance avoir eu une chance sérieuse d'exploiter cette technologie.

19. Enfin, la société Neurovirtual n'établit pas l'utilité pour la solution du litige des frais qu'elle soutient avoir exposés pour la défense de ses intérêts, en dehors des honoraires d'avocat.

Sur le remboursement de la participation financière de la société Neurovirtual à l'étude REVLOC :

20. La condamnation de l'AP-HP à rembourser la somme de 115 030,40 euros, versée par la société Neurovirtual au titre de sa contribution financière pour la réalisation de l'étude REVLOC, doit être confirmée par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 33 du jugement attaqué.

Sur les intérêts :

21. La société Neurovirtual et M. E... ont droit aux intérêts sur le montant des condamnations prononcées par le tribunal administratif, au taux légal à compter du 15 septembre 2017, date non contestée de la réception par l'AP-HP de leur demande préalable.

22. La capitalisation des intérêts a été demandée le 3 septembre 2019. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur la requête n° 19PA02840 de l'AP-HP :

23. Il résulte de ce qui précède que l'AP-HP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé à son encontre les condamnations rappelées au point 4.

Sur la requête n° 19PA02874 de la société Neurovirtual et de M. E... et sur leurs conclusions présentées par la voie de l'appel incident dans le cadre de l'instance n°19PA02840 :

24. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise sur le préjudice corporel subi par M. E..., ni de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'AP-HP, que la société Neurovirtual et M. E... sont seulement fondés à demander que les condamnations prononcées par le tribunal administratif soient assorties des intérêts capitalisés comme il a été dit ci-dessus, et à demander que le jugement attaqué soit réformé en conséquence.

Sur les frais et honoraires de l'expertise :

25. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, l'AP-HP n'est pas fondée à contester l'article 4 du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a mis à sa charge les frais et honoraires de l'expert.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative :

26. En mettant à la charge de l'AP-HP une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. E... et par la société Neurovirtual en première instance, le tribunal administratif s'est livré à une exacte application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

27. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties dans le cadre de la présente instance sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les sommes de 165 030,40 euros et de 50 000 euros que l'AP-HP a été condamnée à verser à la société Neurovirtual et à M. E... par le jugement du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019, porteront intérêts à compter du 15 septembre 2017. Les intérêts échus à la date du 3 septembre 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement N° 1716250/4-1 du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 est réformé conformément à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 19PA02874 de la société Neurovirtual et de M. E..., et de leurs conclusions présentées par la voie de l'appel incident dans le cadre de l'instance n°19PA02840, est rejeté.

Article 4 : La requête n° 19PA02840 de l'AP-HP est rejetée.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à la société Neurovirtual, à M. D... E....

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2022.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° s 19PA02840 - 19PA02874


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02840
Date de la décision : 01/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : LE GARS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-02-01;19pa02840 ?
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