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15/12/2021 | FRANCE | N°21PA04514

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 15 décembre 2021, 21PA04514


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 25 mai 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités bulgares aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2112068 du 28 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté du 25 mai 2021 du préfet de police, a enjoint au préfet de police

de réexaminer sa situation et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 25 mai 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités bulgares aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2112068 du 28 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté du 25 mai 2021 du préfet de police, a enjoint au préfet de police de réexaminer sa situation et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ainsi qu'un dossier de demande d'asile de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans le délai d'un mois à compter du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 100 euros au titre des frais liés à l'instance, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 août 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2112068 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté portant transfert de M. B... aux autorités bulgares ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2021, M. B..., représenté par Me Ouled, conclut au rejet de la requête du préfet de police, à ce qu'il soit admis à l'aide juridictionnelle à titre provisoire et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de police n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013 ;

- la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du

13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Aggiouri a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan né le 10 septembre 1997, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité, le 2 décembre 2020, son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 25 mai 2021, le préfet de police a décidé le transfert de M. B... aux autorités bulgares. Par un jugement du 28 juin 2021, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté du 25 mai 2021 du préfet de police, a enjoint au préfet de police de réexaminer sa situation et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ainsi qu'un dossier de demande d'asile de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans le délai d'un mois à compter du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 100 euros au titre des frais liés à l'instance, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le préfet de police relève appel des articles 2 à 4 de jugement.

Sur l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence [...] l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée [...] par la juridiction compétente ou son président [...] ". Il y a lieu, en raison de l'urgence et dans les circonstances de l'espèce, d'admettre à titre provisoire M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle en application de ces dispositions.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :

3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que le transfert de M. B... en Bulgarie était susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse des traitements inhumains et dégradants.

5. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

6. M. B..., en se bornant à se prévaloir, d'une part, des circonstances que la Commission européenne a adressé aux autorités bulgares, le 8 novembre 2018, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, puis, a transmis, le 29 juillet 2019, un avis motivé pour transposition incomplète de la directive n° 2013/32/UE de refonte sur les procédures d'asile, d'autre part, d'un article de presse, n'établit pas qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, alors que, ainsi que le fait valoir le préfet de police, la Commission européenne n'a pas recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers cet Etat. Par ailleurs, si M. B... soutient qu'il aurait subi des violences physiques lors de son interpellation par les autorités bulgares, et que sa demande d'asile a été rejetée sans entretien préalable ni instruction approfondie, il n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations. Il ne ressort donc pas des pièces du dossier que le transfert de M. B... en Bulgarie entraînerait un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 25 mai 2021 portant transfert de M. B... aux autorités bulgares méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés en première instance par M. B... :

9. En premier lieu, en application des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

10. L'arrêté du 25 mai 2021, par lequel le préfet de police a décidé le transfert de M. B... aux autorités bulgares, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il indique qu'" il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. B... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 [...], que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités bulgares le 7 décembre 2020 et auprès des autorités roumaines le 26 janvier 2021 et le 1er février 2021 [...], que les autorités roumaines ont été saisies le 6 mai 2021 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) b du règlement UE n° 604/2013, [...] que les autorités roumaines ont fait connaître leur refus le 17 mai 2021 [...] au motif que les autorités bulgares étaient devenues responsables le 12 mai 2021 de la demande d'asile de l'intéressé [...], que les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. B..., qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) b, les autorités bulgares doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. B... [...] ". L'arrêté contesté relève ensuite que " les autorités bulgares ont été saisies le 3 mai 2021 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) b du règlement n° 604/2013 " et qu'elles " ont fait connaître leur accord le 12 mai 2021 en application de l'article 18 (1) d du règlement susvisé ". Enfin, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. B... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ". Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.

11. En deuxième lieu, il ressort de ce qui a été dit précédemment au point 6 que M. B... n'établit pas qu'il serait confronté en Bulgarie à des traitements inhumains et dégradants en cas d'exécution de l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes du 2. de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " [...] Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité [...] ".

13. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. M. B... soutient qu'il a subi des traitements inhumaines et dégradants en Bulgarie, que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en cas de transfert dans cet Etat et qu'il sera renvoyé en Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée. Toutefois, en l'absence, ainsi qu'il a été dit précédemment, de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Bulgarie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé ne fait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Bulgarie à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2. de l'article 3 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peuvent qu'être écartés.

15. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police, qui ne s'est pas estimé en situation de compétence liée, n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B....

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 25 mai 2021 du préfet de police, a enjoint au préfet de police de réexaminer sa situation et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ainsi qu'un dossier de demande d'asile de l'OFPRA dans le délai d'un mois à compter du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 100 euros au titre des frais liés à l'instance. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande, au profit de son défenseur, au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : M. B... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2112068 du 28 juin 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, ainsi que les conclusions présentées devant la Cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 15 décembre 2021.

Le rapporteur,

K. AGGIOURILa présidente,

H. VINOT

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA04514 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04514
Date de la décision : 15/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : OULED

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-15;21pa04514 ?
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