Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du président de l'université Paris-Descartes du 19 avril 2019 portant prolongation d'interdiction d'accès à l'enceinte et aux locaux de la faculté de droit.
Par un jugement n° 1913197/1-2 du 20 décembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 février 2020, 11 septembre 2020 et 1er mars 2021, Mme D..., représentée par la SCP Foussard-Froger, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1913197/1-2 du 20 décembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du président de l'université Paris-Descartes du 19 avril 2019 portant prolongation d'interdiction d'accès à l'enceinte et aux locaux de la faculté de droit ;
3°) de mettre à la charge de l'université Paris-Descartes le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas signé, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît l'article R. 712-8 du code de l'éducation ;
- il constitue une mesure de police disproportionnée ;
- il méconnaît l'article L. 112-4 du code de l'éducation ;
- il participe à la discrimination et au harcèlement moral dont elle est victime et à l'atteinte à sa dignité ;
- il est entaché de détournement de pouvoir.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 mars 2020 et 12 janvier 2021, l'université de Paris, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
La Défenseure des droits, en application de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations enregistrées le 11 septembre 2020.
Par ordonnance du 13 janvier 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2021 à 12 heures.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 9 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2011-33 du 29 mars 2011, notamment son article 33 ;
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me E..., en présence de Mme D...,
- et les observations de Me C..., avocat de l'université de Paris V-Paris Descartes.
Une note en délibéré, présentée pour l'université de Paris, a été enregistrée le 25 juin 2021.
Une note en délibéré, présentée pour Mme D..., a été enregistrée le 12 juillet 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., étudiante en droit à l'université Paris Descartes, souffre d'une polypathologie entraînant un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80%, présente notamment des troubles d'élocution et nécessite une oxygénothérapie constante et une dialyse tous les deux jours. Au titre de l'année universitaire 2018-2019, elle était inscrite en master 2 Droit des obligations civiles et commerciales ainsi qu'à la préparation de l'examen du CRFPA 2019 à l'institut d'études judiciaires de l'université. Par arrêté du 21 mars 2019, le président de l'université lui a interdit l'accès à l'enceinte et aux locaux de la faculté de droit pour une durée de 30 jours. Par arrêté du 19 avril 2019, le président de l'université a prolongé l'interdiction d'accès jusqu'à la décision définitive des juridictions saisies en application de l'article R. 712-8 du code de l'éducation. Mme D... relève appel du jugement du 20 décembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 avril 2019.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il ressort des pièces du dossier que la demande de première instance, transmise et enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Paris le 20 juin 2019, comporte une erreur matérielle en mentionnant la saisine du Conseil d'Etat. Toutefois, l'université n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance est, pour ce motif, mal dirigée et irrecevable.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 19 avril 2019 :
3. Aux termes de l'article R. 712-8 du code de l'éducation : " En cas de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l'article R. 712-1, l'autorité responsable désignée à cet article en informe immédiatement le recteur chancelier. / Dans les cas mentionnés au premier alinéa : / 1° La même autorité peut interdire à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l'établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l'accès de ces enceintes et locaux. / Cette interdiction ne peut être décidée pour une durée supérieure à trente jours. Toutefois, au cas où des poursuites disciplinaires ou judiciaires seraient engagées, elle peut être prolongée jusqu'à la décision définitive de la juridiction saisie. (...) ". Une mesure interdisant l'accès aux enceintes et locaux d'une université à un étudiant édictée par le président d'une université dans le cadre des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation doit être adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et ne peut être prise que si les autorités universitaires ne disposent pas des moyens de maintenir l'ordre dans l'établissement et si les restrictions qu'elle apporte aux libertés sont justifiées par des risques avérés de désordre.
4. Pour décider par l'arrêté du 19 avril 2019 de prolonger l'interdiction d'accès de Mme D... aux locaux de la faculté de droit jusqu'à la décision définitive des juridictions saisies, le président de l'université s'est fondé sur les risques de réitération des faits du 18 mars 2019 ainsi que sur la saisine de la section disciplinaire du 26 novembre 2018, une plainte du 8 avril 2019 et un signalement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale le 4 avril 2019.
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des témoignages concordants des personnes présentes le 18 mars 2019, que Mme D... s'est introduite, sans y être invitée, dans le bureau de la directrice de l'institut d'études judiciaires et a refusé de quitter ce bureau avant d'être reconduite par les agents de sécurité. Au cours de cet incident, elle a adopté un comportement inadapté en jetant des papiers et a proféré des menaces, insultes et injures à l'encontre du personnel. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme D... a, le 20 mars 2019, menacé de faire exploser ses bouteilles d'oxygène. L'intéressée ne conteste pas utilement la matérialité des faits reprochés en produisant des attestations d'étudiants, d'habitants de sa résidence et de personnels de l'université n'ayant pas assisté à ces faits ou de son médecin concernant son absence de dangerosité.
6. Toutefois, il est constant que si les faits du 18 mars 2019 ont donné lieu à un signalement et à une plainte, l'université n'a ni engagé de procédure disciplinaire à l'encontre de Mme D... à raison de ces faits, ni, à la date de l'arrêté contesté, complété la saisine de la section disciplinaire du 26 novembre 2018 concernant des atteintes à l'ordre public pour des faits afférents à l'année universitaire 2017-2018. En prolongeant l'interdiction d'accès jusqu'à l'issue de la procédure disciplinaire engagée le 26 novembre 2018 pour des faits n'ayant pas fondé l'arrêté du 19 avril 2019, la mesure a été prise pour une durée sans lien avec les seuls faits de mars 2019 retenus pour la justifier et ne constitue dès lors pas une mesure proportionnée dans le temps. Par ailleurs, il est constant que Mme D... est inscrite durant cette même période en master 2 Droit des obligations civiles et commerciales afin de finir de passer ses examens ainsi qu'à la préparation de l'examen du CRFPA 2019 à l'institut d'études judiciaires de l'université. Si l'université fait valoir que l'interdiction ne concerne que les locaux de la faculté de droit et ne fait pas obstacle à ce qu'elle se rende dans les locaux du Service interuniversitaire de médecine préventive et de promotion de la santé et du service de médecine et à ce que les examens se déroulent dans d'autres locaux, cette prolongation d'interdiction d'accès aux locaux de la faculté de droit dans laquelle l'intéressée est inscrite est de nature à compromettre la poursuite de ses études. Dans les circonstances de l'espèce, et alors même que des personnels de l'université ont sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, les seuls risques de désordres invoqués d'une réitération des faits de mars 2019 n'étaient pas tels qu'ils justifient la mesure de prolongation d'accès aux locaux infligée à Mme D....
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. D'une part, Mme D... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocat de Mme D... n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1913197/1-2 du 20 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'arrêté du président de l'université Paris-Descartes du 19 avril 2019 portant prolongation d'interdiction d'accès à l'enceinte et aux locaux de la faculté de droit est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et à l'université de Paris.
Copie en sera adressée, pour information, à la Défenseure des droits.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., présidente de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2021.
La rapporteure,
A-S A...La présidente,
M. B...
La greffière,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00404