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21/07/2021 | FRANCE | N°17PA20775-17PA20779

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 juillet 2021, 17PA20775-17PA20779


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rodony a demandé au Tribunal administratif de la Martinique, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) au paiement de la somme de 695 987,11 euros TTC au titre du solde du marché de construction de l'unité hospitalière de la femme, de la mère et de l'enfant, assortie des intérêts moratoires, d'autre part, de condamner le CHUM au paiement de la somme de 393 675,50 euros HT, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts des intérêts, en réparat

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rodony a demandé au Tribunal administratif de la Martinique, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) au paiement de la somme de 695 987,11 euros TTC au titre du solde du marché de construction de l'unité hospitalière de la femme, de la mère et de l'enfant, assortie des intérêts moratoires, d'autre part, de condamner le CHUM au paiement de la somme de 393 675,50 euros HT, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts des intérêts, en réparation de ses préjudices consécutifs à l'allongement de la durée du chantier, enfin, de condamner le CHUM à lui restituer la retenue de garantie d'un montant total de 54 240,33 euros, assorti des intérêts au taux légal et des intérêts des intérêts. Le CHUM a demandé à titre reconventionnel la condamnation de la société Rodony au paiement de la somme de 360 289,28 euros de pénalités de retard supplémentaires.

Par un jugement n° 1300328 du 30 décembre 2016, le Tribunal administratif de la Martinique a condamné le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) à verser à la société Tunzini Antilles une somme de 46 383,72 euros TTC, assortie des intérêts moratoires au taux de 5,99 %, à compter du 6 décembre 2008 et de la capitalisation à compter du

5 décembre 2009, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, a mis à la charge du CHUM les frais de l'expertise, a rejeté le surplus de la requête ainsi que les conclusions reconventionnelles du CHUM.

Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise sur le fondement de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la Cour administrative de Paris le jugement des dossiers d'appel enregistrés à la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée sous le n° 17PA00775 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux le 28 février 2017, la société Rodony, représentée par le cabinet Griffiths Duteil associés, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1300328 du 30 décembre 2016 du Tribunal administratif de la Martinique en tant, d'une part, que son article 1er est entaché d'une erreur matérielle puisqu'il a condamné le CHUM à verser à la société Tunzini Antilles une somme de 46 383,72 euros TTC en lieu et place de la société Rodony et, d'autre part, en ce qu'il a limité le montant de cette condamnation à la somme de 46 383,72 euros TTC augmentée des intérêts moratoires ;

2°) de condamner le CHUM à lui verser la somme de 695 987,11 euros TTC au titre du solde du marché, de l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'allongement de la durée d'exécution des travaux et du remboursement des pénalités de retard qui lui ont été appliquées à tort ;

3°) de condamner le CHUM à lui verser la somme de 54 240,33 euros au titre de la restitution de la retenue de garantie, augmentée des intérêts moratoires capitalisés ;

4°) de mettre à la charge du CHUM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 1er du jugement attaqué est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il désigne comme bénéficiaire de la condamnation du CHUM une société qui n'est pas partie à l'instance alors qu'il résulte des points 17 et 21 du jugement qu'il s'agit de la société Rodony ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu le solde du décompte final tel qu'elle l'avait établi alors que l'expert a établi ce décompte et retenu la somme de 115 634,84 euros TTC au titre du solde hors réclamations ;

- ainsi que l'expert l'a reconnu, la société Rodony n'a aucune responsabilité dans l'allongement du délai d'exécution du marché ; cet allongement résulte d'une défaillance dans l'exercice des pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution du marché de la part du CHUM qui aurait dû prendre toutes les mesures utiles destinées à contraindre les entreprises à respecter les délais initiaux du marché ou du moins, tenir compte de la défaillance de certaines entreprises et établir un nouveau planning d'exécution ; elle doit, en conséquence, d'une part, être indemnisée des préjudices en résultant, consistant dans l'immobilisation durant 31 mois des moyens affectés au chantier (196 633 euros HT), ses frais financiers (28 417 euros HT), le temps passé à l'établissement du projet de décompte final et de sa demande indemnitaire (4 500 euros HT) et la perte d'exploitation (192 542, 65 euros HT) et, d'autre part, se voir restituer les pénalités de retard prélevées sur les situations de travaux émises, d'un montant de 132 152,29 euros HT ; l'expert a validé l'existence et le montant des préjudices liés à l'immobilisation durant 31 mois des moyens affectés au chantier et aux pertes d'exploitation ainsi que l'absence d'application de toute pénalité de retard ; en outre, la société Rodony avait alerté le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre des difficultés qu'elle rencontrait et de l'impossibilité de tenir les délais initialement convenus ; si la Cour devait maintenir ces pénalités, elle sollicite leur réduction dès lors qu'elles représentent près de 50% du marché et sont donc manifestement excessives ;

- elle sollicite la restitution de la retenue de garantie d'un montant de 54 240,33 euros dès lors qu'elle a manifesté son intention de réaliser les travaux de levée des réserves et que le maître d'ouvrage ne justifie ni la réalisation de ces travaux, ni leur règlement.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2019, le CHUM représenté par Me C... D... conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles, l'a condamné à verser à la société Rodony la somme de 360 289,28 euros et a mis à sa charge les frais d'expertise, et à la condamnation de la société Rodony à lui verser la somme de 5 000 euros de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement devra être confirmé en ce qu'il a fixé le solde du marché de la société Rodony à un montant de 42 794,97 euros HT dès lors qu'en application de l'article 13.3 du CCAG, l'entrepreneur est lié par les indications figurant au projet de décompte final et que les conclusions de la société Rodony n'étaient recevables que dans la limite de 422 093,51 euros HT au titre des surcoûts liés à l'allongement du chantier et 42 749,97 euros HT au titre du solde du marché ;

- l'allongement de la durée d'exécution du marché ne découle pas d'une faute imputable au CHUM ou d'une sujétion imprévue ; ce dernier a demandé régulièrement aux différents intervenants dont la société Rodony, de respecter leurs délais d'exécution par des mises en demeure et leur a infligé des sanctions contractuelles ; l'absence de planning contractuel ne manifeste aucun manquement de la part du CHUM ; en tout état de cause, la société Rodony n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute invoquée et la réalité et le quantum des préjudices dont elle demande l'indemnisation ;

- le montant des sommes réclamées est injustifié ; elle ne justifie pas le caractère effectif des immobilisations de moyens humains sur le chantier dès lors qu'elle ne produit aucun contrat de travail ou bulletin de salaire ; les demandes à ce titre sont surévaluées ; la prétendue perte d'exploitation est surévaluée, le pourcentage réclamé de 25 % est très supérieur au taux moyen de frais généraux d'une entreprise du secteur des BTP ; la demande au titre du temps passé à établir la demande indemnitaire ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'il s'agit d'une obligation prévue par les articles 13 et 50 du CCAG ;

- la société Rodony a commis plusieurs manquements à ses obligations contractuelles responsables d'une partie de l'allongement du chantier ; elle n'a pas mobilisé de moyens suffisants en termes de personnels pour assurer la bonne exécution du marché et est responsable de 753 jours de retard, ce qui lui vaut une pénalité globale de 376 432,23 euros ; elle a été absente à 51 réunions de chantier, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros, et a transmis à 102 reprises des documents avec plus d'une journée de retard, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros ; elle a transmis avec retard son dossier des ouvrages exécutés (DOE) en méconnaissance de l'article 5.4.2.3 du CCAP ce qui lui vaut une pénalité de 9 690 euros et son projet de décompte final en méconnaissance de l'article 13.31 du CCAG ce qui lui vaut une pénalité de 5 508,75 euros ; elle est également redevable de 4 922,02 euros au titre du compte prorata ; le montant global des pénalités s'élève à 402 673 euros HT ;

- le jugement devra être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à la restitution de la retenue de garantie dès lors que la réception du lot n° 10 a été assortie de nombreuses réserves qui n'ont pas été levées et que le délai de garantie du parfait achèvement a pris fin ;

- le jugement devra être réformé en ce qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant au paiement de pénalités supplémentaires ; le tribunal a insuffisamment apprécié le préjudice subi par le CHUM qui s'élève à la somme de 402 673 euros ; le rejet de cette demande est insuffisamment motivé ;

- le jugement devra être réformé en ce qu'il a mis à sa charge les frais d'expertise.

La société Rodony a présenté un mémoire en réplique enregistré le 25 mai 2021.

II. Par une requête enregistrée sous le n°17PA00779, le 13 mars 2017 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux et un mémoire en réplique enregistré le 12 juillet 2019 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) représenté par Me C... D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1300328 du 30 décembre 2016 du Tribunal administratif de la Martinique, en tant qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles et a mis à sa charge les frais d'expertise ;

2°) de condamner la société Rodony à lui verser la somme de 360 289,28 euros au titre des pénalités de retard ;

3°) de mettre à la charge de la société Rodony les frais d'expertise taxés par décision du

17 janvier 2013 ;

4°) de rejeter l'appel incident de la société Rodony ;

5°) de mettre à la charge de la société Rodony la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué a insuffisamment motivé le rejet de ses conclusions reconventionnelles tendant au paiement de pénalités supplémentaires de retard et devra être annulé ;

- le jugement devra être réformé en ce qu'il a mis à sa charge les frais d'expertise ;

- le jugement devra être confirmé en ce qu'il a fixé le solde du marché de la société Rodony à un montant de 42 794,97 euros HT dès lors qu'en application de l'article 13.3 du CCAG, l'entrepreneur est lié par les indications figurant au projet de décompte final et que les conclusions de la société Rodony n'étaient recevables que dans la limite de 422 093,51 euros HT au titre des surcoûts liés à l'allongement du chantier et 42 749,97 euros HT au titre du solde du marché ;

- l'allongement de la durée d'exécution du marché ne découle pas d'une faute imputable au CHUM ou d'une sujétion imprévue ; il a exercé son pouvoir de direction du chantier en demandant régulièrement aux différents intervenants, dont la société Rodony, de respecter leurs délais d'exécution par des mises en demeure et leur a infligé des sanctions contractuelles ; l'absence de planning contractuel ne manifeste aucun manquement de la part du CHUM ; en tout état de cause, la société Rodony n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute invoquée et la réalité et le quantum des préjudices dont elle demande l'indemnisation ;

- le montant des sommes réclamées est injustifié ; elle ne justifie pas le caractère effectif des immobilisations de moyens humains sur le chantier dès lors qu'elle ne produit aucun contrat de travail ou bulletin de salaire ; les demandes à ce titre sont surévaluées ; la prétendue perte d'exploitation est surévaluée, le pourcentage réclamé de 25 % est très supérieur au taux moyen de frais généraux d'une entreprise du secteur des BTP ; la demande au titre du temps passé à établir la demande indemnitaire ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'il s'agit d'une obligation prévue par les articles 13 et 50 du CCAG ;

- la société Rodony a commis plusieurs manquements à ses obligations contractuelles responsables d'une partie de l'allongement du chantier ; elle n'a pas mobilisé de moyens suffisants en termes de personnels pour assurer la bonne exécution du marché et est responsable de 753 jours de retard, ce qui lui vaut une pénalité globale de 376 432,23 euros ; elle a été absente à 51 réunions de chantier, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros, et a transmis à 102 reprises des documents avec plus d'une journée de retard, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros ; elle a transmis avec retard son dossier des ouvrages exécutés (DOE) en méconnaissance de l'article 5.4.2.3 du CCAP ce qui lui vaut une pénalité de 9 690 euros et son projet de décompte final en méconnaissance de l'article 13.31 du CCAG ce qui lui vaut une pénalité de 5 508,75 euros ; elle est également redevable de 4 922,02 euros au titre du compte prorata ; le montant global des pénalités s'élève à 402 673 euros HT ;

- le jugement devra être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à la restitution de la retenue de garantie dès lors que la réception du lot n° 10 a été assortie de nombreuses réserves qui n'ont pas été levées et que le délai de garantie du parfait achèvement a pris fin ;

- le jugement devra être réformé en ce qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant au paiement de pénalités supplémentaires ; le tribunal a insuffisamment apprécié le préjudice subi par le CHUM qui s'élève à la somme de 402 673 euros.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 18 juin 2019, la société Rodony, représentée par le cabinet Griffiths Duteil associés, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement attaqué en tant, d'une part, que son article 1er est entaché d'une erreur matérielle puisqu'il a condamné le CHUM à verser à la société Tunzini Antilles une somme de 46 383,72 euros TTC en lieu et place de la société Rodony et, d'autre part, en ce qu'il a limité le montant de cette condamnation à la somme de 46 383,72 euros TTC augmentée des intérêts moratoires, à la condamnation du CHUM à lui verser la somme de 695 987,11 euros TTC au titre du solde du marché, de l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'allongement de la durée d'exécution des travaux et du remboursement des pénalités de retard qui lui ont été appliquées à tort, à la condamnation du CHUM à lui verser la somme de 54 240,33 euros au titre de la restitution de la retenue de garantie, augmentée des intérêts moratoires capitalisés, enfin, à la condamnation du CHUM à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 1er du jugement attaqué est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il désigne comme bénéficiaire de la condamnation du CHUM une société qui n'est pas partie à l'instance alors qu'il résulte des points 17 et 21 de ce jugement qu'il s'agit de la société Rodony ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu le solde du décompte final établi par la société Rodony alors que l'expert a établi ce décompte et retenu la somme de 115 634,84 euros TTC au titre du solde hors réclamations ;

- ainsi que l'expert l'a reconnu, la société Rodony n'a aucune responsabilité dans l'allongement du délai d'exécution du marché ; cet allongement résulte d'une défaillance dans l'exercice des pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution du marché de la part du CHUM qui aurait dû prendre toutes les mesures utiles destinées à contraindre les entreprises à respecter les délais initiaux du marché ou du moins, tenir compte de la défaillance de certaines entreprises et établir un nouveau planning d'exécution ; elle doit, en conséquence, d'une part, être indemnisée des préjudices en résultant, consistant dans l'immobilisation durant 31 mois des moyens affectés au chantier (196 633 euros HT), ses frais financiers (28 417 euros HT), le temps passé à l'établissement du projet de décompte final et de sa demande indemnitaire (4 500 euros HT) et la perte d'exploitation (192 542, 65 euros HT) et, d'autre part, se voir restituer les pénalités de retard prélevées sur les situations de travaux émises, d'un montant de 132 152,29 euros HT ; l'expert a validé l'existence et le montant des préjudices liés à l'immobilisation durant 31 mois des moyens affectés au chantier et aux pertes d'exploitation ainsi que l'absence d'application de toute pénalité de retard ; en outre, la société Rodony avait alerté le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre des difficultés qu'elle rencontrait et de l'impossibilité de tenir les délais initialement convenus ; si la Cour devait maintenir ces pénalités, elle sollicite leur réduction dès lors qu'elles représentent près de 50% du marché et sont donc manifestement excessives ;

- elle sollicite la restitution de la retenue de garantie d'un montant de 54 240,33 euros dès lors qu'elle a manifesté son intention de réaliser les travaux de levée des réserves et que le maître d'ouvrage ne justifie ni la réalisation de ces travaux, ni leur règlement.

La société Rodony a présenté un mémoire en réplique enregistré le 25 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier et l'ordonnance du 17 janvier 2013 par laquelle le président du Tribunal administratif de la Martinique a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. H....

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour le centre hospitalier universitaire de Martinique.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement notifié le 30 janvier 2003, le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) a confié l'exécution du lot n° 10 " serrurerie métallerie" du marché de construction de l'unité hospitalière de la femme, de la mère et de l'enfant à la société Rodony, pour un prix forfaitaire de 909 940,68 euros TTC, la maîtrise d'œuvre étant assurée par M. F..., M. I..., M. J..., M. E..., Mme K..., la société Lucigny Talhouet et associés (LTA) et le cabinet Arnoux Sarl, la société Guez Caraïbes étant chargée de la mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC), le bureau d'études étant confié à la société Ingerop SAS et la SEMAFF exerçant une mission de maîtrise d'ouvrage déléguée. Sept avenants ont été signés pour des travaux supplémentaires, pour un montant total de 161 166,80 euros HT. Le marché, qui a débuté en mars 2003, a accusé un retard global de 30 mois avec une réception fixée au 29 février 2008. La société Rodony a demandé au Tribunal administratif de la Martinique de l'indemniser des surcoûts qu'elle estime avoir supportés du fait des retards d'exécution de son lot, d'annuler les pénalités de retard qui lui ont été infligées et de condamner le CHUM à lui restituer le montant desdites pénalités ainsi qu'au paiement du solde du marché. Par un jugement du

30 décembre 2016 dont la société Rodony et le CHUM relèvent appel par deux requêtes, le tribunal a condamné le CHUM à verser " à la société Tunzini Antilles " une somme de 46 383,72 euros TTC, assortie des intérêts moratoires capitalisés, a mis à la charge du CHUM les frais de l'expertise, a rejeté le surplus de la requête ainsi que les conclusions reconventionnelles de ce dernier.

2. Les requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Si le CHUM soutient que le rejet de ses conclusions reconventionnelles tendant au paiement de pénalités supplémentaires est insuffisamment motivé, il ressort du point 15 du jugement attaqué que pour rejeter cette demande, le tribunal a estimé qu' " eu égard aux conditions de déroulement du chantier et, notamment à la multiplicité des causes des retards d'exécution, exclusivement imputables aux opérateurs, sans que l'expert ait pu déterminer l'incidence exacte de chacune d'elle sur l'allongement de la durée du chantier, il convient, dans ces circonstances particulières, de limiter le montant des pénalités à la charge de la société Rodony à la somme justifiée de 132 880,67 euros, déjà prélevée par le centre hospitalier universitaire de Martinique ". Par suite, le jugement est sur ce point suffisamment motivé.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. La société Rodony soutient que l'article 1er du jugement attaqué est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il désigne comme bénéficiaire de la condamnation du CHUM la société " Tunzini Antilles ", qui n'est pas partie à l'instance alors qu'il résulte des points 17 et 21 dudit jugement qu'il s'agit d'elle-même. Il y a lieu, en effet, en l'absence de toute contestation sur ce point de la part du CHUM, et dès lors que cette erreur de plume n'a pas eu d'influence sur le jugement, d'en rectifier l'article 1er en substituant à la mention " société Tunzini Antilles ", la mention " société Rodony ".

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de la société Rodony :

5. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que l'exécution du marché de construction de l'unité hospitalière de la femme, de la mère et de l'enfant prévue de mars 2003 à juin 2005, a connu un retard de 30 mois et que les travaux n'ont été réceptionnés que le

18 mars 2008, avec effet au 29 février 2008. La société Rodony soutient que ce retard, dont résulte pour elle divers préjudices dont elle demande l'indemnisation, a été causé par la défaillance du CHUM dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle du marché, en se prévalant du rapport d'expertise. Toutefois, d'une part, si ce rapport impute à la maîtrise d'ouvrage une responsabilité de 8 mois dans l'allongement des délais du chantier, il ne démontre nullement que la caducité du planning de travaux initial, non actualisé contractuellement invoquée par l'expert, aurait constitué par elle-même une cause de cet allongement dont les conséquences seraient imputables au maître d'ouvrage, ni aucune autre faute de ce dernier dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle. D'autre part, la société Rodony, qui se borne dans son mémoire en réclamation à invoquer la responsabilité des autres entreprises dans l'allongement de la durée globale de son intervention, en invoquant " les conséquences des retards de ses prédécesseurs qu'il soit Gros œuvre peintre (marouflages et pontages) ou encore VRD et espaces verts ", ne démontre pas davantage l'existence de fautes de la part du maître d'ouvrage. Il en résulte que la société Rodony n'est pas fondée à demander la condamnation du CHUM au paiement d'une quelconque somme au titre des retards pris dans l'exécution du marché.

En ce qui concerne les pénalités de retard :

7. La société Rodony soutient qu'elle doit se voir restituer les pénalités de retard prélevées sur les situations de travaux émises, d'un montant de 132 152,29 euros HT et sollicite si la Cour devait maintenir ces pénalités, leur réduction dès lors qu'elles représentent près de 50% du marché et sont donc, selon elle, manifestement excessives. Le CHUM soutient que le tribunal a insuffisamment apprécié le préjudice subi au titre des retards de la société Rodony dont le montant s'élève à la somme de 402 673 euros HT dès lors que la société Rodony qui n'a pas mobilisé de moyens suffisants en termes de personnels pour assurer la bonne exécution du marché, est responsable de 753 jours de retard, ce qui lui vaut une pénalité globale de 376 432,23 euros, qu'elle a été absente à 51 réunions de chantier, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros, qu'elle a transmis à 102 reprises des documents avec plus d'une journée de retard, ce qui lui vaut une pénalité de 3 060 euros, qu'elle a transmis avec retard son dossier des ouvrages exécutés (DOE) ce qui lui vaut une pénalité de 9 690 euros, ainsi que son projet de décompte final ce qui lui vaut une pénalité de 5 508,75 euros et qu'elle est également redevable de 4 922,02 euros au titre du compte prorata.

8. D'une part, si le rapport d'expertise préconise, ainsi que le fait valoir la société Rodony, de ne pas appliquer de pénalités de retard aux entreprises en l'absence de planning contractualisé et souligne que ces pénalités calculées par l'OPC sur la base des instructions du maître d'ouvrage, présentent des incohérences et " une répartition partisane", il résulte également de l'instruction, en particulier des comptes rendus d'avancement du chantier et du rapport de fin de chantier du 17 mai 2008 de l'OPC aux termes duquel : " Les effectifs de cette société n'ont pas dépassé trois ouvriers sur le chantier, lorsque ces derniers n'étaient pas en atelier pour la fabrication des ouvrages. Approvisionnement calamiteux qui explique à lui seul la quasi-totalité du retard de l'entreprise. Retard flagrant dans la pause de vantelles en comble (...) ", qu'un retard de

1 220 jours lui est imputable duquel a été déduit le retard de 467 jours de son prédécesseur direct, le lot gros œuvre, soit en retard de 753 jours. En outre, le montant de 132 152,29 euros HT de pénalités, correspondant à ces 753 jours représente moins de 13% du montant total de 999 821,80 euros HT du marché, composé du montant initial augmenté des montants des sept avenants et non 50% comme le prétend la société Rodony. Par suite, en l'absence de tout élément produit par la société appelante relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir le caractère manifestement excessif de ces pénalités, il n'y a pas lieu pour la Cour d'en réduire le montant, comme elle le demande à titre subsidiaire.

9. D'autre part, si le CHUM soutient que la société Rodony est redevable d'une somme totale de 402 673 euros HT au titre des pénalités pour ses absences à 51 réunions de chantier, pour ses transmissions tardives de documents et du dossier des ouvrages exécutés (DOE) ainsi que de son projet de décompte final et qu'elle est également redevable de 4 922,02 euros au titre du compte prorata, il n'en justifie pas par les pièces qu'il produit.

10. Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement attaqué sur ces points.

En ce qui concerne la restitution de la retenue de garantie :

11. Si la société Rodony sollicite la restitution de la retenue de garantie d'un montant de 54 240,33 euros en se bornant à soutenir qu'elle a manifesté son intention de réaliser les travaux de levée des réserves et que le maître d'ouvrage ne justifie ni la réalisation de ces travaux, ni leur règlement, il y a lieu également de confirmer sur ce point le jugement attaqué par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

Sur les frais de l'expertise :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive du CHUM, les frais de l'expertise taxés et liquidés par ordonnance du 17 janvier 2013 du Président du Tribunal administratif de la Martinique.

Sur les frais des instances :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : A l'article 1er du jugement n°1300328 du 30 décembre 2016 du Tribunal administratif de la Martinique, la mention : " société Tunzini Antilles " est remplacée par la mention : " société Rodony ".

Article 2 : Le surplus de la requête n° 17PA20775 de la société Rodony et ses conclusions incidentes dans l'affaire n° 17PA20779 sont rejetés.

Article 3 : La requête n° 17PA20779 du CHUM et ses conclusions incidentes dans l'affaire n°17PA20775 sont rejetées.

Article 4 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive du CHUM.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rodony et au centre hospitalier universitaire de Martinique.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente de chambre,

- Mme G..., présidente assesseure,

- Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2021.

La rapporteure,

M. G...La présidente,

M. B...

La greffière,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 17PA20775...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA20775-17PA20779
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CABINET ALMA AVOCATS ; CABINET ALMA AVOCATS ; CABINET ALMA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-07-21;17pa20775.17pa20779 ?
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