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26/05/2021 | FRANCE | N°19PA02142

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 26 mai 2021, 19PA02142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... H... et Mme J... I... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le président de l'Assemblée nationale a déployé deux bannières arc-en-ciel du mouvement Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT) de chaque côté de la porte monumentale de l'Assemblée Nationale entre le 29 juin et le 1er juillet 2018.

Par un jugement n° 1812688 du 3 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande comme portée devant une juri

diction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par une requ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... H... et Mme J... I... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le président de l'Assemblée nationale a déployé deux bannières arc-en-ciel du mouvement Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT) de chaque côté de la porte monumentale de l'Assemblée Nationale entre le 29 juin et le 1er juillet 2018.

Par un jugement n° 1812688 du 3 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 4 juillet 2019, Mme B... H..., représentée par la SCP Jacques Trémolet de Villers Thierry Schmitz et Guillaume le Maignan, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du président de l'Assemblée Nationale du 28 juin 2018 ;

3°) de mettre à la charge du président de l'Assemblée Nationale la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme H... soutient que :

- la compétence de la juridiction administrative pour connaître des actes parlementaires ne saurait se limiter aux actes énumérés par l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ;

- l'acte critiqué, qui ne relève ni de la fonction législative, ni de la fonction de contrôle de l'action gouvernementale, est détachable des attributions constitutionnelles du Parlement ; le caractère politique de la décision ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif se reconnaisse compétent pour en connaître ;

- aucun texte ne donne compétence au président de l'Assemblée nationale pour procéder au pavoisement de la façade du Palais Bourbon sans l'accord des députés ;

- la décision contestée contrevient à l'obligation de neutralité du service public car le drapeau arc-en-ciel exprime des revendications sociétales qui ne font pas consensus ;

- la décision contestée, dans la mesure où elle associe l'Assemblée Nationale à la communauté LGBT au détriment de l'immense majorité hétérosexuelle qui se trouve ainsi discriminée, méconnaît le principe d'égalité devant la loi ;

- la France ne connait que le drapeau tricolore ; en pavoisant l'entrée du Palais Bourbon aux couleurs de l'arc-en-ciel, le président de l'Assemblée Nationale a encouragé un communautarisme qui conduit à la dissolution de la Nation ;

- la décision est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2019, l'Assemblée nationale, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme H... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Assemblée Nationale soutient que :

- les litiges relatifs aux actes parlementaires qui, par application du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, n'ont pas le caractère de décisions administratives, échappent à la compétence de la juridiction administrative ; la décision contestée n'entre pas dans le champ des actes limitativement énumérés à l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ;

- le président de l'Assemblée Nationale, élu par ses pairs, a le pouvoir de manifester le soutien politique de l'Assemblée à une cause, au besoin par le pavoisement ; aucun texte ne réserve à une instance particulière compétence pour décider de ce pavoisement ;

- le soutien politique accordé à une cause par une assemblée parlementaire, lieu du débat et de la discussion politique, ne porte pas atteinte au principe d'égalité ni au principe de neutralité du service public ; il n'implique pas que ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette cause soient discriminés ;

- l'Assemblée Nationale n'a pas entendu substituer la bannière arc-en-ciel aux couleurs nationales.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 18 novembre 2020.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;

- le règlement de l'Assemblée nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour Mme H..., et les observations de

Me A... pour l'Assemblée Nationale.

Considérant ce qui suit :

1. Par un communiqué de presse du 29 juin 2018 intitulé " L'Assemblée Nationale s'engage contre l'homophobie ", l'Assemblée Nationale a annoncé que le président de l'Assemblée Nationale, alors M. K... G..., avait décidé de pavoiser le Palais Bourbon du drapeau arc-en-ciel à l'occasion de la Marche des fiertés qui avait lieu à Paris le 30 juin 2018. Mme H... et Mme I... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette décision. Mme H... relève appel du jugement du 3 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

2. Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée relative aux fonctionnements des assemblées parlementaires : " L'Etat est responsable des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires. / Les actions en responsabilité sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître. / Les agents titulaires des services des assemblées parlementaires sont des fonctionnaires de l'Etat dont le statut et le régime de retraite sont déterminés par le bureau de l'assemblée intéressée, après avis des organisations syndicales représentatives du personnel. Ils sont recrutés par concours selon des modalités déterminées par les organes compétents des assemblées. La juridiction administrative est appelée à connaître de tous litiges d'ordre individuel concernant ces agents, et se prononce au regard des principes généraux du droit et des garanties fondamentales reconnues à l'ensemble des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat visées à l'article 34 de la Constitution. La juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics. / Dans les instances ci-dessus visées, qui sont les seules susceptibles d'être engagées contre une assemblée parlementaire, l'Etat est représenté par le président de l'assemblée intéressée, qui peut déléguer cette compétence aux questeurs ".

3. Il résulte de ces dispositions que les litiges relatifs aux dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires, les litiges d'ordre individuel concernant les agents titulaires des services des assemblées parlementaires et les litiges individuels en matière de marchés publics sont les seules instances susceptibles d'être engagées contre une assemblée parlementaire. Il ressort par ailleurs du communiqué de presse de l'Assemblée Nationale du 29 juin 2018 que la décision d'arborer une bannière arc-en-ciel sur le portail d'entrée du Palais Bourbon, rue de l'université, le jour de la Marche des fiertés du 30 juin 2018, " symbolis(ait) l'engagement de la Représentation nationale dans la lutte contre toutes les discriminations et contre l'homophobie ". La décision contestée qui, contrairement à ce que soutient la requérante, n'est pas détachable des fonctions constitutionnelles du Parlement ni dissociable de l'exercice de la souveraineté nationale par une assemblée parlementaire, échappe de ce fait par nature au contrôle du juge de l'excès de pouvoir. Sa demande, que la juridiction administrative n'a pas compétence pour connaitre, était donc irrecevable. Mme H... n'est pas, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

4. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme H... tendant à ce que soit mise à la charge du président de l'Assemblée Nationale, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de Mme H... la somme de 3 000 euros à verser à l'Assemblée Nationale sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme H... est rejetée.

Article 2 : Mme H... versera à l'Assemblée Nationale la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... H... et à l'Assemblée Nationale.

Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. E..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.

L'assesseur le plus ancien,

M-F... Le président de la formation de jugement,

président-rapporteur,

Ch. E...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au président de l'Assemblée Nationale en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA02142 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02142
Date de la décision : 26/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Pouvoirs publics et autorités indépendantes - Parlement.

Procédure - Introduction de l'instance - Décisions pouvant ou non faire l'objet d'un recours - Actes ne constituant pas des décisions susceptibles de recours.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ARCO-LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-05-26;19pa02142 ?
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