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20/05/2021 | FRANCE | N°20PA00640

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 20 mai 2021, 20PA00640


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

D'une part, Mme M... N..., M. R... N..., M. Q... N..., et M. S... N... ont, respectivement, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions en date du 22 juin 2018 par lesquelles la garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé pour chacun d'eux d'autoriser le changement de leur nom en " Mouravieff ", ensemble les décisions respectives du 18 septembre 2018 par lesquelles elle a rejeté leurs recours gracieux. D'autre part, M. J... N... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annu

ler la décision du 25 janvier 2019 par laquelle la garde des sceaux,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

D'une part, Mme M... N..., M. R... N..., M. Q... N..., et M. S... N... ont, respectivement, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions en date du 22 juin 2018 par lesquelles la garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé pour chacun d'eux d'autoriser le changement de leur nom en " Mouravieff ", ensemble les décisions respectives du 18 septembre 2018 par lesquelles elle a rejeté leurs recours gracieux. D'autre part, M. J... N... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 janvier 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser son changement de son nom en " Mouravieff ".

Par un jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 le tribunal administratif de Paris, après les avoir jointes, a fait droit à ces demandes et a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, d'examiner à nouveau les demandes des intéressés dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

I. Par un recours enregistré, le 19 février 2020, sous le n° 20PA00640, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. S... N... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- la filiation de M. René N... est légalement établie à l'égard de M. D... N... ; les analyses ADN produites, sans autorisation judiciaire, ne sont pas recevables et sont juridiquement sans incidence sur cette filiation ; la déclaration de désaveu de paternité émanant de M. D... N... n'a pas fait l'objet d'une procédure judiciaire ; c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu que les décisions contestées sont entachées d'une erreur de fait quant au défaut d'établissement de la filiation alléguée ;

- l'absence de liens biologiques avec un parent n'est pas de nature à caractériser des circonstances exceptionnelles justifiant un intérêt légitime à changer de nom, ni, en l'espèce, l'attachement des demandeurs à la famille de M. L... Mouravieff ;

- les demandeurs ne peuvent se prévaloir de l'extinction du nom " Mouravieff " dès lors qu'ils ne justifient pas d'un lien de parenté juridiquement établi à l'égard du porteur de ce nom.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, M. S... N..., représenté par Me H..., conclut au rejet du recours du garde des sceaux, ministre de la justice, et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3°000 euros au titre de l'article L.°761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

II. Par un recours enregistré, le 19 février 2020, sous le n° 20PA00641, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. R... N... devant le tribunal administratif de Paris.

Il présente les mêmes moyens et arguments que dans l'instance n° 20PA00640.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, M. R... N..., représenté par Me H..., conclut au rejet du recours du garde des sceaux, ministre de la justice, et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3°000 euros au titre de l'article L.°761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

III. Par un recours enregistré, le 19 février 2020, sous le n° 20PA00642, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. Q... N... devant le tribunal administratif de Paris.

Il présente les mêmes moyens et arguments que dans l'instance n° 20PA00640.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, M. Q... N..., représenté par Me H..., conclut au rejet du recours du garde des sceaux, ministre de la justice, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3°000 euros au titre de l'article L.°761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

IV. Par un recours enregistré, le 19 février 2020, sous le n° 20PA00643, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme M... N... devant le tribunal administratif de Paris.

Il présente les mêmes moyens et arguments que dans l'instance n° 20PA00640.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, Mme M... N..., représentée par Me H..., conclut au rejet du recours du garde des sceaux, ministre de la justice et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3°000 euros au titre de l'article L.°761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

V. Par un recours enregistré, le 19 février 2020, sous le n° 20PA00644, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1821023, 1821025, 1821026, 1821027, 1903400 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. J... N... devant le tribunal administratif de Paris.

Il présente les mêmes moyens et arguments que dans l'instance n° 20PA00640.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, M. J... N..., représenté par Me H..., conclut au rejet du recours du garde des sceaux, ministre de la justice et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par un courrier du 15 avril 2021, en application des dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, un projet de décret autorisant les consorts N... à changer leur patronyme en " Mouravieff ", dans un délai de trois mois à compter de sa notification.

Par des lettres enregistrées le 20 avril 2021 dans chacune des instances n°°20PA00640, 20PA00641, 20PA00642, 20PA00643, et 20PA00644, le garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté ses observations en réponse à cette information.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme K...,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- les observations de Me G..., représentant les consorts N....

Considérant ce qui suit :

1. MM. Jean Philippe et Pierre François N..., fils de M. René N... et nés respectivement en 1953 et 1955, d'une part, et Mme M... N..., MM. Raphaël et Jules Louis N..., petits-enfants de M. René N... et nés respectivement en 1993, 1995 et 1997, d'autre part, ont chacun demandé à changer leur nom en " Mouravieff ". Par des décisions du 22 juin 2018, confirmées par le rejet des recours gracieux formés à leur encontre le 18 septembre 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté les demandes respectives de MM. Jean Philippe et Pierre François N..., ainsi que de Mme M... N..., et M. Q... N.... Par une décision du 25 janvier 2019, ce ministre a en outre rejeté la même demande de changement de nom présentée par M. J... N.... Les intéressés ont, par cinq demandes distinctes, saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation des décisions ministérielles susmentionnées. Par un jugement du 19 décembre 2019, dont le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel devant la Cour, le tribunal administratif de Paris, après avoir joint ces demandes, y a fait droit et, après avoir annulé les décisions attaquées, a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, d'examiner à nouveau les demandes de changement de nom présentées par les intéressés dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

2. Les recours n° 20PA00640, n° 20PA00641, n° 20PA00642, n° 20PA00643 et n° 20PA00644, sont dirigés contre le même jugement ayant fait droit aux demandes d'annulation de décisions rejetant les demandes respectives de changement de nom des consorts N... et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le motif d'annulation des décisions litigieuses retenu par les premiers juges :

3. Les intimés font valoir que leur père et grand-père respectif, W... Julien Wladimir N... (1927-2005) était en réalité le fils, non pas d'Henri N..., dont il porte le nom, mais de Vladimir Mouravieff (1902-1952), deuxième époux E... A... (1900-1972), qui avait divorcé en 1932 du premier, épousé en 1924 mais dont elle était séparée après quelques mois de mariage, alors qu'il avait abandonné le domicile conjugal.

4. Les cinq décisions du garde des sceaux, ministre de la justice rejetant les demandes de changement de nom présentées par les intimés se fondent, quant au motif d'extinction du nom sollicité, sur l'absence de filiation légalement établie entre Vladimir Mouravieff et W... N..., faute de reconnaissance, comme son fils, de ce dernier par le premier, qui s'oppose au relèvement du nom sollicité. En ce qui concerne le motif affectif invoqué par les demandeurs, compte tenu de l'absence de liens alléguée avec Henri N..., T... N..., comme d'eux-mêmes, les décisions rappellent qu'un motif affectif ne suffit pas à caractériser un intérêt légitime à changer de nom, sauf circonstances exceptionnelles, et qu'à supposer cette situation établie, ceux-ci ne pourraient porter le nom de " Mouravieff ", leur filiation avec le porteur de ce nom n'étant pas démontrée.

5. Pour annuler les cinq décisions litigieuses, les premiers juges ont considéré qu'il avait commis une erreur de fait en se fondant, pour les deux motifs précités sur lesquels les demandes de changement de nom ont été effectuées, sur la circonstance que leur lien de filiation avec M. L... Mouravieff n'était pas établi.

6. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. ". Le relèvement d'un nom afin d'éviter son extinction ne saurait s'appliquer à un nom d'usage mais suppose qu'il soit établi que le nom en cause a été légalement porté, notamment, par un ascendant de celui qui demande à changer de nom. Par ailleurs, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

7. Aux termes de l'article 320 du code civil : " Tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait. " Il est constant que si Henri N... a déclaré à Mme E... A..., par exploit d'huissier du 21 juillet 1932, produit au dossier, qu'il entendait entreprendre une action en désaveu de paternité à l'égard de M. René N..., cette déclaration n'a jamais été suivie d'effet. La seule filiation légalement établie T... N... demeure donc toujours celle qui le lie à Henri N.... Dans ces conditions, malgré la production par les consorts N... d'un rapport d'analyse génétique, daté du 11 avril 2019, dont il résulte qu'ils sont apparentés à un individu né Mouravieff et en dépit de la forte probabilité - d'ailleurs confortée par le jugement de divorce du 22 mars 1932 qui énonce qu'aucun enfant n'est né de l'union d'Henri N... avec Irène A... - que leur ascendant est effectivement issu de l'union de cette dernière avec M. L... Mouravieff, l'absence au dossier de toute décision de justice ayant infirmé cette filiation légale, fait obstacle à ce que leur lien de parenté avec M. L... Mouravieff, porteur du nom sollicité, soit considéré comme établi.

8. Le garde des sceaux, ministre de la justice est par conséquent fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé, pour annuler ses décisions de rejet des demandes de changement de nom faites par les consorts N..., qu'il avait commis une erreur de fait en retenant l'absence de tout lien de filiation légalement établi entre leur ascendant et Vladimir Mouravieff.

9. Il appartient, toutefois, à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts N... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par les consorts N... à l'encontre des décisions rejetant leur demande de changement de nom :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " À compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'État et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs (...) ". Il est constant que les décisions contestées par les consorts N... rejetant leurs demandes de changement de nom, prises les 22 juin 2018 et 25 janvier 2019, ont été signées par Mme U...-M... C..., nommée sous-directrice du droit civil, à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice par un arrêté du Premier ministre et de la garde des sceaux, ministre de la justice du 7 mai 2018, publié au Journal officiel le 10 mai suivant, produit au dossier, pour une durée d'un an, à compter du 21 mai 2018. Mme U...-M... C..., était donc compétente, en vertu des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005, pour signer les décisions contestées. Le moyen tiré l'incompétence de l'auteur des décisions litigieuses doit donc être écarté.

11. En deuxième lieu, les décisions de rejet contestées se réfèrent aux dispositions de l'article 61 du code civil, et comme il a déjà été dit au point 4, se fondent, d'une part, quant au motif de la demande tiré du risque d'extinction d'un nom porté par un ascendant, sur la circonstance que la filiation n'est pas établie à l'égard de Vladimir Mouravieff, et, d'autre part, quant au motif affectif, sur le fait qu'à supposer établie la circonstance de l'absence de liens biologiques et affectifs avec Henri N..., l'autorisation sollicitée ne pourrait être accordée compte tenu de l'absence de filiation démontrée avec le porteur du nom Mouravieff. Les décisions contestées comportent ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent et sont, dès lors, suffisamment motivées. Le moyen tiré du défaut de motivation des décisions litigieuses doit donc être écarté.

12. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le nom de " Mouravieff " serait en tout état de cause menacé d'extinction, dès lors que le père de Vladimir P..., Sergueï Vladimirovitch O..., a eu un autre fils, I... O..., qui s'est également installé en France. Ce dernier a eu lui-même un fils, F... Mouravieff, porteur du nom, et une fille, Élisabeth P..., dont le fils porte le même nom. La circonstance que ces descendants de la branche issue de Nikita O... vivent aujourd'hui en Russie est sans incidence sur la continuité du port du nom de Mouravieff dans la branche familiale de Sergueï Vladimirovitch O.... Le moyen tiré du risque d'extinction du nom sollicité doit donc être écarté.

13. En quatrième et dernier lieu, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

14. Pour rejeter le motif d'ordre affectif invoqué par les consorts N... pour demander le changement de leur nom, le garde des sceaux, ministre de la justice s'est fondé sur l'absence d'établissement d'une filiation légale pour rejeter leur demande sur ce motif, alors même qu'aucun principe non plus qu'aucune règle ne soumet la caractérisation de l'intérêt légitime exigé par le premier alinéa de l'article 61 du code civil, à l'existence d'un quelconque lien de filiation ou même de parenté avec le porteur du nom sollicité.

15. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté qu'Irène A..., ascendante des intimés, s'est mariée avec Henri N..., en mai 1924 mais que, dès la fin de cette même année, ce dernier, se révélant infidèle, a abandonné le domicile conjugal pour s'installer à l'étranger avec sa maîtresse dont il a eu un fils, l'intéressé ayant d'ailleurs attesté lui-même, par acte sous seing privé de janvier 1925, versé au dossier, s'être volontairement séparé de sa femme. Il en ressort également que W... N..., fils d'Irène A..., est né en août 1927 et , comme il a été déjà été dit au point 7, d'une part, que le jugement du 22 mars 1932 du tribunal de première instance de Belfort prononçant le divorce E... A... et d'Henri N..., aux torts exclusifs de ce dernier, mentionne qu'aucun enfant n'est issu de leur union et, d'autre part, qu'Henri N... a en outre signifié par exploit d'huissier du 21 juillet 1932 son intention d'engager une action en désaveu en paternité à l'égard T... N.... Il en ressort enfin qu'Irène A... s'est remariée avec Vladimir Mouravieff en décembre 1932, que W... N... a été exclusivement élevé dans cette union, sans aucun contact avec la famille du premier époux de sa mère, et qu'il est reconnu par les membres de la famille de ce dernier comme étant effectivement son fils - l'un de ses trois prénoms étant d'ailleurs Wladimir, et qu'il a en outre hérité en 1973 de la soeur de ce dernier, Catherine.

16. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que les enfants et petits-enfants T... N... n'ont jamais connu Henri N..., considéré comme ayant déshonoré leur grand-mère et arrière-grand-mère respective, et ont toujours vécu au sein, et se ont toujours sentis membres, de la famille P.... Alors que le nom patronymique est autant un élément d'identification personnelle que de rattachement à une lignée, l'ensemble de ces circonstances doit être regardé comme revêtant un caractère exceptionnel de nature à caractériser l'intérêt légitime requis par le premier alinéa de l'article 61 du code civil permettant, pour un motif d'ordre affectif, de déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

17. Il résulte de ce qui précède que, les consorts N... justifiant d'un intérêt légitime au changement de nom sollicité au sens et pour l'application des dispositions susmentionnées de l'article 61 du code civil, le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris, a annulé tant ses décisions des 22 juin 2018 rejetant les demandes de changement de leur nom en " P... " présentées par MM. Jean Philippe et Pierre François N..., Mme M... N..., et M. Q... N..., et celles du 18 septembre 2018 rejetant le recours gracieux des intéressés, que sa décision du 25 janvier 2019 rejetant la demande aux mêmes fins de M. J... N....

Sur l'application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :

18. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure.".

19. Eu égard au motif d'annulation des décisions du garde des sceaux, ministre de la justice des 22 juin 2018 et 25 janvier 2019 retenu par le présent arrêt, l'exécution complète de ce dernier implique nécessairement, non pas seulement, comme l'ont décidé les premiers juges, qu'il soit procédé à un nouvel examen des demandes des intimés, mais qu'il soit enjoint audit ministre de présenter au Premier ministre des projets de décret autorisant le changement du nom respectif de M. R... N..., de M. S... N..., , de Mme M... N..., de M. Q... N..., et de M. J... N..., en "P... " et ce, dans un délai trois mois à compter de sa notification.

Sur les frais liés à l'instance :

20. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser respectivement à chacun à M. R... N..., M. S... N..., Mme M... N..., M. Q... N... et M. J... N..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions des recours du garde des sceaux, ministre de la justice sont rejetées.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant le changement de nom respectif de M. R... N..., de M. S... N..., de Mme M... N..., de M. Q... N..., et de M. J... N..., en " P... ".

Article 3 : L'État versera à M. R... N..., M. S... N..., Mme M... N..., M. Q... N..., et M. J... N... une somme de 750 euros, chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. R... N..., à M. S... N..., à Mme M... N..., à M. Q... N... et à M. J... N....

Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- Mme K..., premier conseiller,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2021.

Le président,

S. DIÉMERT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20PA00640, 20PA00641, 20PA00642, 20PA00643, 20PA00644


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00640
Date de la décision : 20/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : FARTHOUAT-ASSELINEAU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-05-20;20pa00640 ?
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