Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Athenais a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner solidairement la ville de Paris et le préfet de police à lui verser la somme de 2 264 082,14 euros, à titre principal, et de 606 271,14 euros à titre subsidiaire, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des restrictions apportées à la circulation routière et piétonne dans la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris.
Par un jugement n° 1801280/3-2 du 9 octobre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 décembre 2019, le 23 octobre 2020 et le 5 février 2021, la société Athenais, représentée par Me C..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 9 octobre 2019 ;
2°) de condamner solidairement la Ville de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 2 959 543,56 euros ou, en tout état de cause, une somme qui ne peut être inférieure à 1 225 923,67 euros à parfaire en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des restrictions apportées à la circulation routière et piétonne dans la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris et de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, en restreignant la circulation routière dans la rue du Faubourg Saint-Honoré, le préfet de police a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et de la ville de Paris dès lors que cette mesure n'est ni adaptée ni proportionnée à l'objectif de protection du siège des institutions de la République ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité sans faute de la ville de Paris et de l'Etat est engagée pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; les mesures prises par le préfet de police ont eu pour conséquence directe de restreindre l'accès de la clientèle au magasin ; le préjudice qu'elle a subi revêt un caractère spécial et anormal ;
- elle n'a pas commis de faute de nature à exonérer la responsabilité de l'administration dès lors que le choix de son emplacement a été effectué près de cinquante ans auparavant ; il ne peut lui être reproché qu'elle ne pouvait ignorer les conséquences du choix de l'emplacement de son magasin à proximité du palais de l'Elysée ;
- la perte de chiffre d'affaires s'élève à la somme de 2 307 396 euros ; la perte de résultat net s'élève à 993 670 euros à parfaire ; la perte de revenus locatifs s'élève à la somme de 64 225,14 euros ; son préjudice moral s'élève à la somme de 50 000 euros ; le préjudice total s'élève à la somme de 2 959 543,56 euros et ne pourra pas être regardé comme inférieur à 1 225 923,67 euros.
Par un mémoire enregistré le 24 septembre 2020, la ville de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Athenais la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les mesures de police municipale prises par le préfet de police sur le fondement de l'article L. 2512-14 du code général des collectivités territoriales engagent la responsabilité de la ville de Paris et non celle de l'Etat ;
- les mesures de police en litige ont été prises dans le but d'assurer la protection du palais de l'Elysée dans le cadre de la prévention des risques d'attentat ; elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ni à la liberté du commerce et de l'industrie ; elles ne sont donc pas constitutives d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les préjudices invoqués par la société Athenais ne revêtent pas de caractère anormal et spécial ;
- les baisses de recettes de la société Athenais ne présentent aucun lien de causalité avec les mesures de restriction de la circulation en litige ;
- la société Athenais n'établit pas la réalité de son préjudice résultant du caractère excessif de ses commerces situés au 82 et 84 de la rue du Faubourg Saint-Honoré, de celui résultant de la perte de revenus locatifs ni de son préjudice moral ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- s'agissant de la responsabilité pour faute, les mesures de restriction de la circulation et de stationnement sont proportionnelles et nécessaires au but de sauvegarde de l'ordre public recherché ;
- s'agissant de la responsabilité sans faute, le préjudice allégué n'est ni spécial ni anormal ; la requérante n'apporte pas la preuve que le préjudice allégué serait distinct de l'aléa inhérent à l'exploitation de son fonds de commerce ;
- elle n'établit pas la réalité des préjudices invoqués ni le lien de causalité direct et certain ;
- la société Athenais a commis une faute en s'installant à proximité du Palais de l'Elysée dès lors qu'elle ne pouvait ignorer l'éventualité d'une mesure de sécurité publique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me D..., représentant la société Athenais,
- et les observations de Me E..., représentant la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. La société Athénais est locataire de deux locaux situés au 82 et 84 de la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris où elle exploite un commerce de prêt-à-porter et de vente de chaussures pour enfants. Elle est également propriétaire d'un local commercial au numéro 86 de la même rue. Par courrier du 16 novembre 2011, elle a sollicité, auprès de la ville de Paris et du préfet de police, l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la restriction de circulation des véhicules et des piétons dans la portion de rue où se situent les locaux qu'elle exploite. Il n'a pas été répondu à cette demande. Par un jugement du 9 octobre 2019, dont la société Athenais relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 264 082,14 euros, à titre principal, et de 606 271,14 euros à titre subsidiaire, en réparation de ces préjudices.
Sur la responsabilité pour faute :
2. Il résulte de l'instruction qu'à la suite des attentats survenus le 7 janvier 2015 dans les locaux du journal " Charlie Hebdo ", le préfet de police a, sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 2512-14 du code général des collectivités publiques, pris l'arrêté n° 2016-01162 du 14 septembre 2016 interdisant le circulation automobile dans la portion de la rue du faubourg Saint-Honoré comprise entre l'avenue de Marigny et la rue de Duras et la circulation piétonne sur le trottoir du côté des numéros impairs dans la portion de la même rue comprise entre l'avenue de Marigny et la rue de l'Elysée. Le préfet de police a reconduit ces mesures en 2017 par les arrêtés n° 2017-00398 et n° 2017-00883. Ces mesures, qui ont pour objectif la protection du Palais de l'Elysée, portent sur une portion de rue d'environ deux cents mètres. Contrairement à ce que soutient la requérante, la circulation des piétons sur le trottoir côté pair de la rue, où se situent les locaux en cause, n'est pas interdite et n'est pas soumise à la présentation d'un badge réservé aux riverains. Dans ces conditions, au regard du but dans lequel elles ont été adoptées, ces restrictions ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir et à la liberté de commerce et d'industrie et ne sont pas constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris.
Sur la responsabilité sans faute :
3. Les mesures légalement prises, dans l'intérêt général, par les autorités de police peuvent ouvrir droit à réparation sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques au profit des personnes qui, du fait de leur application, subissent un dommage qui excède l'aléa qu'impliquait leur situation et revêt le caractère d'un préjudice anormal et spécial.
4. En premier lieu, la société Athenais fait valoir qu'elle aurait subi une perte de revenus du fait, d'une part, de la diminution de son chiffre d'affaires résultant de la baisse de fréquentation des commerces qu'elle exploite et, d'autre part, des loyers excessifs mis à sa charge. Il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires de la société Athenais était en baisse depuis 2013 mais a recommencé à croître à compter de 2018 alors que les mesures de police étaient toujours en application. Le rapport de l'INSEE produit par la ville de Paris fait état d'une " année 2016 difficile " pour le commerce non alimentaire et précise également que " Les ventes en magasins spécialisés d'habillement-chaussure continuent de diminuer, alors que la consommation de ces produits augmente légèrement en 2017 ; les consommateurs privilégient un peu plus les achats sur Internet. ". Si la société Athenais produit un article du journal " Les échos " précisant que la rue du Faubourg Saint-Honoré est l'une des rues les moins rentables du monde en raison du ratio entre l'affluence de piétons et le prix du bail commercial, ce document, datant de 2019, n'est pas spécifique à la portion de rue objet des mesures de police en litige. Les autres coupures de journaux figurant au dossier sont trop générales. Le témoignage également produit n'est pas de nature à remettre en cause, à lui seul, les éléments précédemment énoncés. Enfin, si la requérante fait valoir que l'interdiction de la circulation automobile la prive d'une clientèle qui se déplace uniquement en véhicule avec chauffeur, cette circonstance n'est pas établie alors même qu'elle précise que sa clientèle est principalement composée de piétons de passage faisant des achats spontanés. Ainsi qu'il a été dit au point 2, il n'est pas établi que la circulation des piétons sur le trottoir côté pair de la rue du Faubourg Saint-Honoré serait entravée par les mesures en cause. Par suite, la requérante ne démontre pas que la baisse de son chiffre d'affaires serait la conséquence nécessaire des restrictions à la circulation piétonne et automobile mises en place par le préfet de police à compter de 2015. En outre, elle n'apporte pas non plus la preuve du caractère excessif des loyers qu'elle paie au titre des locaux qu'elle occupe au 82 et 84 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Si elle produit le rapport d'un expert établi à sa demande et fixant la valeur locative à 87 000 euros, ce document n'est pas de nature à démontrer le lien entre la hausse des loyers en cause et les mesures de police.
5. En deuxième lieu, s'agissant du préjudice né du défaut de paiement d'une partie des loyers dus par la société occupant les locaux dont la société Athenais est propriétaire au 86 de la rue du Faubourg Saint Honoré, il ne résulte pas de l'instruction que la liquidation judiciaire de la société locataire ayant entraîné la perte de loyers soit la conséquence nécessaire des mesures de restriction de la circulation dans cette rue.
6. En dernier lieu, la société Athenais ne démontre pas que le préjudice moral dont elle demande réparation du fait de " la détresse des riverains et des commerçants " constitue un préjudice personnel.
7. Par suite, la responsabilité de la ville de Paris du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut pas être engagée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Athenais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville de Paris et de l'Etat, qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Athenais, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Athenais la somme de 1 500 euros demandée par la ville de Paris, au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Athenais est rejetée.
Article 2 : La société Athenais versera à la ville de Paris la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Athenais, au préfet de police et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021, à laquelle siégeaient :
Mme A..., président,
M. Mantz, président assesseur,
Mme B..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
M. A...Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au préfet de police et au préfet de la région d'Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03974