Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société VM2 a demandé au Tribunal administratif de Paris :
1°) d'annuler le marché conclu le 19 novembre 2018 entre le Laboratoire national de métrologie et d'essais et la société Photon Lines portant sur la fourniture d'un système de caméra ultra-rapide ;
2°) de condamner le Laboratoire national de métrologie et d'essais à lui verser la somme de 10 500 euros HT en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de ce marché.
Par un jugement n° 1907939/3-1 du 4 février 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 avril 2020 et 22 février 2021, la société VM2, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1907939/3-1 du 4 février 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler le marché conclu le 19 novembre 2018 entre le Laboratoire national de métrologie et d'essais et la société Photon Lines portant sur la fourniture d'un système de caméra ultra-rapide ;
3°) de condamner le Laboratoire national de métrologie et d'essais à lui verser la somme de 10 500 euros HT en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de ce marché ;
4°) de mettre à la charge du Laboratoire national de métrologie et d'essais le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre n'était pas irrégulière dès lors que le défaut d'une pièce n'est pas de nature à rendre une offre irrégulière dans la mesure où toutes les exigences du règlement de la consultation ne sont pas obligatoires, que le règlement de la consultation était imprécis, que les éléments afférents à la décomposition du prix étaient présentés dans son offre et que le pouvoir adjudicateur devait l'inviter à régulariser son offre en application de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 ;
- le laboratoire ne pouvait invoquer l'irrégularité de son offre pour la première fois devant le juge ;
- le marché a été conclu au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la consultation méconnaît le principe d'égalité de traitement des candidats ;
- le laboratoire a apporté des modifications présentant un caractère substantiel aux documents de consultation sans procéder à la publication d'un avis de publicité rectificatif et sans reporter la date de remise des offres ;
- le laboratoire a procédé à des erreurs manifestes dans l'analyse des offres ;
- le laboratoire a commis des irrégularités lors de la mise en oeuvre des sous-critères ;
- le laboratoire n'a pas fait application de l'ensemble des critères et sous-critères définis en neutralisant le sous-critère relatif au logiciel et à l'évolution du système ;
- elle disposait d'une chance sérieuse d'obtenir le marché ;
- elle a droit à l'indemnisation du manque à gagner subi qu'elle évalue à la somme de 10 500 euros HT.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2020, le Laboratoire national de métrologie et d'essais, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société VM2 le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société VM2 ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la société Photon Lines, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me Monin, avocat de la société VM2,
- et les observations de Me Monaji, avocat du Laboratoire national de métrologie et d'essais.
Considérant ce qui suit :
1. Le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) a lancé une consultation sous la forme d'une procédure adaptée le 21 septembre 2018 en vue de la passation d'un marché de fourniture d'un système de caméra ultra-rapide. Le marché a été attribué le 19 novembre 2018 à la société Photon Lines. La société VM2, dont l'offre a été classée en deuxième position, a formé un recours gracieux et une demande indemnitaire préalable par courrier du 28 décembre 2018, qui ont été rejetés par courrier du 22 février 2019. La société VM2 relève appel du jugement du 4 février 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce marché et à l'indemnisation de ses préjudices résultant de son éviction irrégulière.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
3. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
4. Aux termes de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, alors en vigueur : " I. - Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre. / Il communique aux candidats et aux soumissionnaires qui en font la demande écrite les motifs du rejet de leur candidature ou de leur offre dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Si le soumissionnaire a vu son offre écartée alors qu'elle n'était ni inappropriée ni irrégulière ni inacceptable l'acheteur lui communique, en outre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché public. (...) ".
5. Les dispositions de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 imposant, pour les marchés passés selon une procédure adaptée, à l'acheteur, lorsqu'il a décidé de rejeter une offre, de notifier ce rejet au soumissionnaire concerné, et si ce dernier en fait la demande, de lui communiquer les motifs du rejet de son offre, n'interdisent pas à l'acheteur, après avoir satisfait à cette exigence, de procéder ultérieurement à une nouvelle communication pour compléter ou préciser ces motifs, voire pour procéder à une substitution de motifs.
6. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue de l'examen des offres, le Laboratoire national de métrologie et d'essais a notifié à la société VM2 le rejet de son offre, classée en seconde position. A la demande de la société VM2, le laboratoire a, par courrier du 17 décembre 2018, explicité les motifs de rejet de son offre et a indiqué en outre que son offre était irrégulière au motif qu'elle ne comportait pas la grille de décomposition des prix expressément prévue à l'article 3.6 du règlement de consultation, à peine d'irrégularité de l'offre déposée. D'une part, le motif d'irrégularité ayant été retenu par le pouvoir adjudicateur lors du rejet de son offre, la société VM2 ne peut soutenir que le Laboratoire national de métrologie et d'essais s'est prévalu pour la première fois en première instance de l'irrégularité de son offre. D'autre part, alors même qu'il a procédé à son examen et à son classement, l'acheteur peut se prévaloir du caractère irrégulier de l'offre présentée par l'auteur du recours en contestation de la validité du contrat pour soutenir que celui-ci n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque.
7. Aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016, alors en vigueur : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) / II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. (...) / IV. - La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres. ".
8. Il résulte de ces dispositions que l'acheteur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d'éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c'est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières. Si dans les procédures d'appel d'offres, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l'offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu'elle n'est pas anormalement basse et que la régularisation n'a pas pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s'agit toutefois que d'une simple faculté qui lui est offerte, et non d'une obligation.
9. Aux termes de l'article 3.6 du règlement de la consultation du marché : " Contenu de l'offre. L'offre qui sera rédigée en langue française, devra être composée impérativement des éléments suivants en s'appuyant sur les matrices transmises par le LNE : (...) Offre financière (devis + onglet 4 de la " grille réponse fournisseur " complété). Le défaut de remise de la décomposition des prix pourra constituer un motif d'élimination de l'offre. Le LNE considère comme irrecevable une offre ne respectant pas les exigences, formes ou cadres de réponse du présent dossier de consultation ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du règlement de la consultation du marché, que la grille de réponse du fournisseur, correspondant au modèle de décomposition des prix, a été remise aux candidats pour présenter leur offre et que l'article 3.6 de ce règlement indiquait de manière précise d'une part que l'offre devait comporter une offre financière avec la " grille réponse fournisseur " complétée et d'autre part que le défaut de remise de la décomposition des prix pouvait constituer un motif d'élimination de l'offre. La seule circonstance que le règlement de la consultation ne mentionnait pas la décomposition du prix dans la liste des éléments à fournir ne saurait entacher d'imprécision cette exigence du règlement de la consultation, contrairement à ce que soutient la société appelante. Il résulte de l'instruction que le document concernant la décomposition des prix, dont il n'est pas contesté qu'il ne figurait pas dans l'offre remise par la société VM2, constitue une exigence du règlement de la consultation présentant une utilité pour l'appréciation des offres. Si la société VM2 fait valoir que son offre comportait une proposition financière détaillée, il résulte de l'instruction que les informations fournies concernant le prix du matériel et les conditions de garantie ne mentionnaient pas l'ensemble des informations listées dans le document relatif à la décomposition des prix prévu par le règlement de la consultation. Ainsi qu'il a été dit au point 8, la société n'est pas fondée à soutenir qu'il appartenait au Laboratoire national de métrologie et d'essais de lui demander de régulariser son offre en produisant la décomposition des prix et qu'en l'absence d'une telle demande de régularisation, son offre ne pouvait être regardée comme irrégulière. L'offre déposée par la société VM2 n'était pas complète et conforme aux prescriptions du règlement de la consultation et était, par suite, irrégulière.
11. Ainsi qu'il a été dit au point 2, un concurrent évincé ne peut invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que des manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat en rapport direct avec son éviction. Un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait soulever d'autre moyen que ceux en rapport direct avec cette irrégularité ou que le juge devrait relever d'office.
12. Eu égard au caractère irrégulier de l'offre qu'elle a présentée, les manquements dont la société VM2 se prévaut, qui tiennent à la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats, à la modification du dossier de consultation, à l'erreur d'appréciation dans l'analyse des offres, à l'irrégularité dans la mise en oeuvre des sous-critères et à la neutralisation d'un sous-critère ne peuvent être regardés comme en rapport direct avec son éviction et ne sont pas au nombre de ceux que le juge du contrat devrait relever d'office. Par suite, ces moyens doivent être écartés comme inopérants.
13. Lorsque l'offre d'un candidat évincé était irrégulière, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage de la faculté de l'autoriser à régulariser son offre n'est pas de nature, par elle-même, à ce qu'il soit regardé comme n'ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que l'offre de la société VM2 était irrégulière. Par suite, et en l'absence d'invitation à la régulariser, la société était dépourvue de toute chance d'obtenir le contrat et n'avait ainsi droit à aucune indemnisation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société VM2 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du Laboratoire national de métrologie et d'essais, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société VM2 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société VM2 une somme de 1 500 euros à verser au Laboratoire national de métrologie et d'essais sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société VM2 est rejetée.
Article 2 : La société VM2 versera au Laboratoire national de métrologie et d'essais une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société VM2, à la société Photon Lines et au Laboratoire national de métrologie et d'essais.
Délibéré après l'audience du 26 février 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2021.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. A...Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pouvoir à l'exécution de la présente décision.
N°20PA01154 7