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01/12/2020 | FRANCE | N°19PA02672

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 01 décembre 2020, 19PA02672


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'État à lui verser la somme de 376 869,15 euros en réparation des préjudices subis du fait du traitement qui lui a été réservé par la France depuis la fin de la guerre d'Algérie jusqu'à aujourd'hui.

Par un jugement n° 1708943 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2019, M. B..., représenté par Me E..., de

mande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708943 du 11 juin 2019 ;

2°) de condamner l'Etat ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'État à lui verser la somme de 376 869,15 euros en réparation des préjudices subis du fait du traitement qui lui a été réservé par la France depuis la fin de la guerre d'Algérie jusqu'à aujourd'hui.

Par un jugement n° 1708943 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2019, M. B..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708943 du 11 juin 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 376 869,15 euros.

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- il est de notoriété publique que les harkis ont été accueillis en France dans des conditions déplorables ;

- il a vécu à la rue pendant de longs mois et a été exposé à des actes d'hostilité de la population française ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'absence de prise en charge, et alors même qu'il n'aurait pas été soumis au régime particulier imposé aux harkis hébergés dans des camps ;

- il renouvelle ses demande de première instance : une " indemnité compensatrice " d'un montant total de 76 869,15 euros correspondant, à hauteur de 46 792,93 euros, aux préjudices matériels liés à la dépossession des biens meubles et immeubles dont il était propriétaire en Algérie (9 681,96 euros) et à la circonstance qu'il n'a pas bénéficié des aides spécifiques de l'État à l'acquisition de la résidence principale et à l'amélioration de celle-ci instituées respectivement par les articles 7 et 8 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 (37 110,97 euros), et, à hauteur de 30 076,22 euros, aux préjudices moraux liés à sa captivité en Algérie ainsi qu'au non-versement de l'allocation prévue à l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 (14 917,41 euros), de l'allocation forfaitaire complémentaire prévue à l'article 2 de la loi

n° 94-488 du 11 juin 1994 (22 678,93 euros) et de l'allocation de reconnaissance prévue à l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1999 (30 000 euros) ; d'autre part, à une

" indemnité réparatrice " de 300 000 euros correspondant, premièrement, à hauteur de 50 000 euros, au préjudice moral lié à l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de s'intégrer dans la société française, deuxièmement, à hauteur de 50 000 euros également, au préjudice lié à la perte de chance sérieuse d'obtenir un meilleur niveau de qualification et, en conséquence, un emploi plus rémunérateur, troisièmement, à hauteur là encore de 50 000 euros, au préjudice moral lié aux troubles psychologiques induits par l'accueil inacceptable qui lui a été réservé par la France, quatrièmement et enfin, à hauteur de 150 000 euros, au préjudice moral lié aux " troubles psycho-traumatiques " induits par les souffrances qu'il a endurées après-guerre dans son pays d'origine.

Par un mémoire, enregistré le 13 octobre 2020, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- la créance est prescrite ;

- ni les conditions dans lesquelles le requérant a vécu après son arrivée en France, ni la faute de l'Etat, ni les préjudices ne sont justifiés.

Par lettre du 14 octobre 2020, Me E... a informé la Cour du décès de M. B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- et les conclusions de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... B..., né le 1er janvier 1932 en Algérie, a combattu en qualité de harki au sein des forces supplétives et assimilées ayant servi dans ce pays. Il a demandé que l'Etat soit condamné à réparer les préjudices résultant des violences subies en Algérie après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962 et de l'absence de mesures prises pour lui assurer un accueil décent après son arrivée en France. Il relève appel du jugement du 11 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Les premiers juges aux points 9 et 10 de leur jugement n'ont pas mis en doute la qualité de harki de M. B... ni, de manière générale, les conditions d'accueil qui leur ont été réservées mais pour rejeter la demande, ils ont relevé que le requérant ne fournissait pas d'éléments suffisants pour établir que les autorités françaises auraient manqué à des obligations qu'au demeurant il n'identifiait pas. Ce faisant, le tribunal qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments du requérant, a suffisamment répondu au moyen tiré de ce que la responsabilité de l'Etat français est engagée du fait des manquements de l'Etat aux droits fondamentaux et libertés fondamentales dans le traitement réservé aux harkis et à leurs familles à leur arrivée en France. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la faute commise par l'Etat en ne protégeant pas les harkis contre les violences subies par eux en Algérie :

3. M. B... soutient que les sévices et les mauvais traitements subis par lui en Algérie, après le 8 juillet 1962 jusqu'à ce qu'il ait pu quitter le territoire de cet Etat ont été rendus possibles par les choix des autorités françaises d'abandonner les hommes qui s'étaient battus pour lui. Cependant, les préjudices physiques, matériels et moraux qui en ont résulté pour lui ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la faute. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices liés à l'absence d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française.

Sur les conclusions relatives aux préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles :

4. Si M. B... fait état de la situation d'abandon dans laquelle il a été laissé dès qu'il a été en mesure de rejoindre le territoire français, de l'absence de structures d'accueil qui l'a conduit à dormir dans la rue pendant plusieurs semaines, des manifestations d'hostilité et les propos racistes de la part de certains individus, de l'obligation de cumuler les emplois précaires, pénibles et mal rémunérés pour subvenir à ses besoins, des difficultés rencontrées pour faire venir sa famille en France, de la perte de chance d'obtenir des conditions d'existence meilleures, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de solliciter ou d'obtenir les aides spécifiques créées par le législateur au bénéfice des rapatriés, les éléments qu'il produit sont insuffisants pour permettre à la Cour de déterminer les conditions précises dans lesquelles M. B... a vécu après son arrivée en France, la durée de sa situation de précarité et d'apprécier l'existence d'une faute de l'Etat et l'étendue des préjudices pour lesquels il demande réparation.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale soulevée par le ministre, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables de l'abstention de la France à faire obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962 sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié aux ayants droit de M. F... B... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA02672


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02672
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : URBI et ORBI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-01;19pa02672 ?
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